Sous le sol, la glace !

Le destin de l'eau

Y a-t-il de l'eau sur Mars ? Voici sans doute l'une des questions qui revient le plus souvent à propos de la planète rouge ! Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas la bonne question. En effet, le problème n'est pas de savoir s'il y a eu ou non de l'eau sur Mars, mais bien de savoir ou elle a bien pu disparaître !

La planète Mars est apparue dans la même région du système solaire que la planète Terre et il n'y a pas de raisons qu'au cours de sa formation, elle n'ait pas accumulé autant d'eau que sa sœur jumelle. L'inventaire détaillé des matériaux à partir desquels les deux planètes se sont assemblées doit être similaire. Pendant la formation de la planète, l'eau a été libérée par dégazage des matériaux du manteau et par l'intense activité volcanique qui régnait alors. Les comètes ont également pu apporter une quantité d'eau non négligeable à la jeune planète, qui possédait au final de vastes quantités du précieux liquide.

L'eau a joué un rôle majeur au cours de l'histoire géologique de la planète rouge. On peut citer par exemple les fameux chenaux d'inondations, témoins de cataclysmes d'une ampleur difficilement imaginable, ou la surface s'est soudain retrouvée submergée par des flots aux débits titanesques, ou encore les lits d'écoulement plus calmes que sont les réseaux de vallées.

Cependant, si tous les scientifiques spécialistes de Mars reconnaissent le rôle de l'eau et sa présence en surface au début de l'histoire martienne, il n'en est pas de même pour son destin. Une chose est sûre, elle n'existe plus à la surface de Mars. La pression atmosphérique est bien trop faible pour cela. De plus, l'atmosphère de Mars est pauvre en vapeur d'eau ( 0,03 % en moyenne). Si cette vapeur d'eau pouvait être condensée de manière à former une couche d'eau uniforme à la surface de Mars, cette couche aurait une épaisseur de 0,01 mm, alors que l'on estime que l'eau jadis présente sur Mars formait au moins une couche de 100 m d'épaisseur. Les formes d'érosion que l'on observe à la surface de Mars sont très vieilles (certaines vallées qui traversent les vieux terrains cratérisés de l'hémisphère sud datent du premier milliard d'années).

Si l'eau a coulé sur Mars il y a plusieurs milliards d'années, c'est que l'atmosphère était beaucoup plus dense. Puis un certain nombre de mécanismes se sont mis en place et Mars a perdu sa précieuse atmosphère. Certains chercheurs, plutôt pessimistes, pensent que la plus grande partie de l'eau a disparue à ce moment la. On peut imaginer qu'après les inondations catastrophiques qui ont eu lieu au début de l'histoire martienne, d'énormes quantités d'eau se sont transformées en glace, avant de pouvoir être absorbées par le sous-sol. Lentement mais inexorablement,  les étendues glacées se mettent à fumer et se subliment dans l'atmosphère. L'eau finit alors par se perdre dans l'espace ou subi une photodissociation par le rayonnement UV. Mars, c'est malheureux mais c'est comme ça, n'est peut être plus qu'un vaste désert à l'échelle planétaire. Des formidables ressources en eau martienne, il ne reste plus que quelques gouttes. Nul besoin de s'évertuer à la chercher, il n'y en a tout simplement plus !

D'autres scientifiques sont plus optimistes et ne voient aucune raison sérieuse pour que Mars ait laissé son eau disparaître définitivement dans les profondeurs glacées de l'espace. Si Mars n'a rien perdu de son eau, alors ou est-elle donc ? Nous venons de le voir, l'atmosphère martienne n'en contient que des traces, et les calottes polaires ne renferment pas plus que le contenu d'une baignoire, la ou on devrait normalement trouver le volume d'une piscine olympique !

A l'image des réservoirs souterrains et secrets des Fremens, habitants de la planète Arrakis et personnages de science fiction inventés par le génial Frank Herbert, l'eau martienne a choisi pour sa retraite forcée les profondeurs et l'obscurité du sous-sol. Sous une surface aride et désolée, Mars cacherait  effectivement une très grande quantité d'eau, principalement sous la forme de glace. Le sous-sol martien renfermerait carrément la presque totalité des ressources en eau de la planète ! Cette eau serait présente sous trois formes principales : liée chimiquement à certains minéraux comme les argiles, interstitielle (contenue dans les pores et les fractures des roches) ou présente sous une forme compacte (poche de glace de dimensions diverses).

Dans ce chapitre, nous allons étudier les éventuelles réserves souterraines de la planète rouge. D'abord d'un point de vue théorique, en étudiant les paramètres physiques qui commandent la répartition de la glace, puis ensuite en dressant la liste des caractéristiques qui prouvent que le sous-sol martien renferme bien des richesses d'eau et de glace.

Un sol comme une éponge

La capacité de la croûte martienne à retenir de fortes quantités d'eau dépend principalement de sa porosité et de la présence de fractures. A l'origine, la croûte martienne était constituée de roches solides et compactes, mais elle a été soumise très tôt à un stress permanent : celui des impacts météoritiques. Les cratères d'impact jouent un grand rôle dans l'évolution des surfaces planétaires. Ils sont les principaux responsables de la dislocation, de la fragilisation, de la fragmentation et de la désagrégation des couches rocheuses superficielles. Les impacts produisent premièrement une très grande quantité de matériaux friables et poreux (les éjecta, dispersés tout autour du point d'impact, et les brèches d'impact, des matériaux très hétérogènes, amalgame de roches d'origine diverses brisées, mélangées puis ressoudées ensembles). L'énergie dégagée lors d'un impact est également suffisante pour fissurer intensément le lit rocheux sous-jacent.

Mars a connu un bombardement météoritique intense, en particulier au début de la formation du système solaire. La planète a été littéralement criblée par les cratères d'impact, et les vieux plateaux de l'hémisphère sud gardent encore la trace de ce mauvais traitement. On a estimé qu'au cours de l'histoire géologique martienne, les multiples impacts météoritiques ont donné naissance à une couche d'éjecta de 2 kilomètres d'épaisseur, répartie sur la totalité de la planète ! La structure de la croûte martienne est donc similaire à celle de l'écorce lunaire. On trouve en surface un épais dépôt bréchique intercalée ici et la avec des coulées volcaniques ou des dépôts sédimentaires (il ne faut pas oublier qu'à part les cratères d'impact, d'autres phénomènes géologiques avaient lieu sur Mars, comme le volcanisme, l'érosion et la sédimentation). Le dépôt repose sur une base rocheuse extrêmement fracturée. Le tout forme une couche superficielle hautement poreuse qui entoure la planète et que l'on nomme mégarégolite.

Comme nous venons de le voir, le mégarégolite est fortement poreux. Cependant la porosité diminue avec la profondeur. Le mégarégolite se tasse en effet sous son propre poids et à partir d'une certaine profondeur, la taille des pores entre les particules rocheuses tombe à zéro, car la pression lithostatique (c'est à dire la pression de l'encaissant rocheux) est suffisante pour fermer les pores et les lèvres des fractures. La profondeur à partir de laquelle la porosité tombe en dessous de 1% est appelée niveau d'auto-compaction. Ce niveau est important, car il définit la limite inférieure du mégarégolite. La profondeur du niveau d'auto-compaction dépend du taux de porosité du mégarégolite, mais certains facteurs peuvent jouer un rôle important. La présence d'eau à l'intérieur d'un pore peut par exemple contrebalancer la pression lithostatique qui tend à le fermer. Ainsi, une croûte humide possède une porosité qui persiste à une profondeur bien supérieure à celle d'une croûte totalement sèche. L'eau peut aussi jouer le rôle inverse, en diminuant la porosité par différents mécanismes (par exemple en précipitant certaines substances qui vont obstruer les pores rocheux).

De vastes quantités d'eau !

Si nous sommes sûrs que la croûte superficielle martienne est poreuse, nous ne connaissons cependant pas la valeur exacte de cette porosité, faute de mesures directes. On peut cependant estimer la quantité totale d'eau que pourrait contenir le mégarégolite en choisissant des valeurs probables pour cette porosité. Pour une première estimation, nous choisirons une porosité de 20 %, c'est à dire une porosité similaire à celle du matériau lunaire (brèches d'impact). Pour une porosité égale à 20 %, le mégarégolite martien pourrait contenir l'équivalent d'une couche de 540 mètres d'eau recouvrant la totalité de la planète Mars et le niveau d'auto-compaction apparaîtrait à une profondeur de 8  kilomètres.

La deuxième estimation sera faite avec une valeur de 50 % pour la porosité. C'est une valeur assez élevée, qui provient des expériences menées par les deux atterrisseurs Viking sur le sol martien. La capacité totale du mégarégolite passe alors à 1400 mètres d'eau pour un niveau d'auto-compaction situé à 11 km de profondeur. Cette valeur de 50 % n'est cependant pas vraiment représentative de la porosité réelle de la croûte superficielle martienne. Le résultat fourni par les atterrisseurs Viking a en effet été obtenu en analysant une fine couche de sol affleurant en surface et surmontant un substratum sans doute beaucoup moins poreux. La présence de sédiments éoliens dans les échantillons a du jouer un rôle non négligeable dans le fort taux de porosité observé.

Une porosité de 20 % semble donc plus raisonnable qu'une porosité de 50 %, et c'est cette valeur que nous retiendrons pour la suite. La quantité d'eau piégée dans le mégarégolite doit être en fait bien supérieure à 540 mètres, car la glace ne s'est sans doute pas accumulé juste au niveau des pores rocheux. Il existe sans doute dans le sous-sol martien de vastes lentilles entièrement constituées de glace, comme c'est le cas sur Terre par exemple. De plus, nous avons déjà signalé que Mars a du connaître, dans sa jeunesse, l'eau sous la forme liquide. Il y a des milliards d'années, on devait trouver à la surface de la planète rouge des rivières, des lacs et peut être même un océan. Quand la planète Mars s'est mise à se refroidir progressivement, les lacs ont du se transformer en étendues glacées et l'océan martien a du lentement se figer. Quelques-unes de ses énormes étendues d'eau congelée se sont peut être ensuite retrouvés enterrés sous plusieurs dizaines de mètres de sols et de poussières, avant d'avoir pu totalement disparaître par sublimation (passage directe de l'état solide à l'état gazeux, sans passer par une phase liquide). Aujourd'hui, ces vestiges glacés existent peut être encore dans les profondeurs du sous-sol martien. Si c'est le cas, ils doivent contribuer de manière non négligeable aux ressources en eau de la planète rouge.

Le pergélisol martien

Aujourd'hui, avec des températures moyennes situées bien en dessous de zéro, le sol de Mars est la plupart du temps gelé et il constitue ce que l'on appelle un pergélisol ou permafrost. Sur Terre, on désigne le permafrost comme étant la couche du sol ou la température ne doit pas dépasser 0°C degrés sur une période de deux ans. On le voit, cette définition se réfère uniquement aux températures et ne tient pas compte de la présence de glace dans le sol. Un permafrost peut être tout à fait sec ! Malheureusement, on utilise souvent ce terme pour désigner un sol riche en glace dans de nombreux ouvrages. Il faut l'avouer, c'est un raccourci bien pratique et je l'utilise d'ailleurs dans quelques chapitres de ce site (y compris celui la !). Mais il serait préférable d'utiliser un terme moins ambigu pour faire référence à la couche du mégarégolite qui est en permanence gelé (et qui renferme donc forcément l'eau sous la forme de glace). Cette couche est désigné sous le nom savant de cryolithosphère.

Il est facile de définir la limite supérieure de la cryolithosphère. C'est le niveau ou la température passe en dessous du point de congélation à partir de la surface. La limite inférieure est par contre moins bien connue, car elle dépend du flux géothermique (c'est à dire de la chaleur dégagée en permanence par l'intérieur chaud de la planète Mars) et de la conductivité thermique de la croûte (la manière dont cette chaleur se propage à l'intérieur de la croûte). La profondeur de la base de la cryolithosphère dépend aussi du point de fusion de l'eau, qui peut descendre en dessous de zéro si l'eau contient une grande quantité de sels dissous. Il est connu que le sol martien contient des quantités non négligeables de sels (principalement du chlorure de sodium, du chlorure de magnésium et du chlorure de calcium). La présence d'une grande quantité de sels dans le sol martien se manifeste par l'apparition en surface d'une croûte durcie, ou les particules sont liées entre elles par un ciment constitué de sels précipités. Quoi qu'il en soit, l'épaisseur estimée de la cryolithosphère serait de 1 km à 3 km au niveau de l'équateur, contre 3 km à 8 km au niveau des pôles. On le voit, l'épaisseur de la cryolithosphère dépend principalement de la latitude. Ce n'est pas un hasard, car la latitude est le principal paramètre qui va conditionner la répartition de la glace à l'échelle du globe martien.

Stabilité et distribution de la glace

Dans les conditions actuelles qui règnent sur Mars, les réserves de glace du sous-sol peuvent être instables. Avec une température moyenne supérieure au point de congélation, la glace a tendance à se sublimer. Elle se transforme directement en vapeur d'eau, et celle ci se met à diffuser à travers les roches avant de se perdre finalement dans l'atmosphère martienne. Le taux de disparition de la glace dépend principalement de la capacité de la vapeur d'eau à se frayer un chemin dans les matériaux qui compose le sous-sol pour atteindre la surface. Il est assez hasardeux d'essayer de quantifier cette perte en eau au cours du temps, car de nombreux facteurs sont pour l'instant inconnu.

Retenons cependant que la glace n'est pas stable partout sur Mars et suivant la latitude, on définit des régions de plus ou moins grande stabilité. L'existence de glace en équilibre avec la vapeur d'eau atmosphérique est restreinte au niveau des moyennes et hautes latitudes (au delà de 40°).

Les endroits ou la glace est la plus stable sont bien entendu les pôles. Au niveau du pôle sud, la glace est stable toute l'année sur une profondeur de plusieurs kilomètres. C'est également le cas en ce qui concerne le pôle nord, même si la glace peut devenir instable près de la surface au milieu de l'été, la surface étant alors soumise de manière permanente à la chaleur des rayons solaires. Au niveau des hautes et moyennes latitudes, la glace est stable toute l'année pour des profondeurs supérieures à 1 mètre. Au dessus de 1 mètre, la glace est stable une partie de l'année, et instable le reste du temps.

La situation est bien plus préoccupante pour les basses latitudes. Dans ces régions, la température moyenne est supérieure à celle du point de congélation de la glace et celle ci est alors instable, quelque soit la profondeur du sol. De nombreuses preuves attestent pourtant de l'existence de glace dans le sous-sol au niveau des régions équatoriales au cours des temps géologiques. Si la glace était présente en quantité au niveau des régions équatoriales au tout début de l'histoire martienne, la plus grande partie a du disparaître par sublimation et diffusion dans l'atmosphère martienne, sur une grande profondeur. La croûte superficielle équatoriale doit donc être maintenant déshydratée sur quelques centaines de mètres. Par contre, à cause d'une température plus basse, les pertes ont du être moins importantes vers les hautes latitudes, et le pergélisol peut monter plus haut et affleurer plus prés de la surface. La couche de sol desséché ne devrait pas atteindre plus de quelques dizaines de mètres vers 35° de latitude.

La profondeur du toit du pergélisol varierait donc entre 300 mètres et 1500 mètres en zone équatoriale contre 150 à 300 mètres pour les hautes latitudes. Un minimum est atteint au niveau des régions d'Acidalia Planitia et d'Utopia Planitia avec une profondeur de 30 mètres seulement. Une discontinuité est observée dans la profondeur du toit du pergélisol vers les 35 °-40 ° de latitude, peut être parce que l'on passe à ce niveau la frontière ou la glace proche de la surface devient stable toute l'année.

Si les réserves de glace des régions équatoriales n'existent sans doute plus aujourd'hui, il n'est cependant pas illusoire de croire qu'il existe peut être encore des poches glacées dans ces régions, la sublimation de la glace ayant pu être stoppée ou contrariée par la présence de couches indurées ou cimentées dans le sous-sol. Les réserves équatoriales de glace se sont peut être aussi reconstitués à l'occasion des pluies diluviennes qui frappaient la surface. La circulation d'eau souterraine à l'échelle de la planète ou le dégazage des matériaux constituant le manteau ont également pu compenser les pertes par sublimation.

La stabilité de la glace dépend fortement de l'obliquité de la planète Mars. Pour l'obliquité actuelle, on assume que la glace est instable quelque soit la profondeur pour une latitude inférieure à 50°. Pour une obliquité plus faible, la ligne de stabilité remonte vers les pôles, et la surface des régions caractérisées par une instabilité de la glace augmente. Si au contraire l'obliquité augmente, les conditions de stabilité changent fortement. Selon certains modèles, une obliquité de 32 ° rendrait la glace stable sur la totalité de la planète, même pour une profondeur faible. Le sol serait donc en permanence gelé. Notons aussi que le découpage en trois régions reste général. Des variations locales d'albédo ou d'inertie thermique peuvent créer des différences sensibles, en faisant remonter ou descendre la couche de glace ! Par exemple, il serait possible de trouver de la glace à une faible profondeur au niveau des basses latitudes pour des sols à faible inertie thermique (comme Tharsis, Elysium ou Arabia Terra), alors qu'il doit être impossible d'en trouver au niveau de régions ou les sols possèdent une inertie thermique plus élevée.

De l'eau sous la glace ?

En tenant compte des variations de profondeur du plancher de la cryolithosphère et en admettant que sa porosité soit de 20 %, la cryolithosphère contiendrait un volume d'eau équivalent à une couche de 374 mètres entourant la totalité de la planète Mars. Comme la capacité du mégarégolite pour cette porosité est de 540 mètres, cela laisse un réservoir de stockage de 177 mètres en dessous de la cryolithosphère. Une fois que tous les pores de la cryolithosphère ont été saturés en glace, le reste doit logiquement s'accumuler sous une forme liquide en dessous pour constituer des réservoirs souterrains d'eau. La présence d'eau liquide dans les profondeurs du sous-sol martien est possible grâce à deux facteurs. Le premier concerne la température. A partir d'un certain niveau, la température augmente avec la profondeur. A une distance d'environ 3 kilomètres sous la surface pour l'équateur et de 5 kilomètres sous les pôles, la température du sous-sol atteint la valeur fatidique de 0°C et l'eau liquide peut alors exister. Le deuxième facteur n'est autre que la pression. A des profondeurs importantes (plusieurs kilomètres), la pression lithostatique (c'est à dire la pression exercée par les roches) doit être suffisamment forte pour permettre à des nappes d'eau d'exister. Utopie ou non, Mars a toutes les chances de posséder encore maintenant un vaste réseau d'aquifères, à quelques kilomètres de la surface.

Le cycle est bouclé !

Nous avons parlé à de nombreuses reprises des possibilités de sublimation de la glace, qui se transformait en vapeur d'eau. On pourrait croire que lorsque cette vapeur rencontre l'atmosphère martienne, elle est considérée comme perdue. Mais l'histoire ne s'arrête pas la ! Il se pourrait bien que la plupart de l'eau perdue par sublimation ou éjecté lors des éruptions volcaniques ou des impacts météoritique se soit finalement retrouvée prisonnière au niveau des pôles, dans les fameux dépôts stratifiés. Les dépôts seraient suffisamment épais pour qu'un phénomène de fonte se produise à leur base. L'eau libérée s'enfoncerait dans le mégarégolite et irait finalement rejoindre les réservoirs souterrains des basses latitudes. Ainsi, Mars a pu connaître une importante circulation d'eau souterraine, entre l'équateur et les pôles. C'est l'équivalent d'un océan de plusieurs centaines de mètres et recouvrant la totalité de la planète qui se serait ainsi déplacé des pôles vers l'équateur au cours de l'histoire géologique de la planète Mars !

Des signes qui ne trompent pas

Nous venons de voir un certain nombre de considérations théoriques concernant la glace martienne. Malgré tout le sérieux des calculs et des modèles qui ont été mis en œuvre pour définir les zones possibles d'existence de la glace dans le sous-sol martien, nous n'avons pas encore vu une seule preuve directe de l'existence de cette fameuse glace. Bien entendu, nous l'avons vu à plusieurs reprises, les réservoirs de glace sont souterrains, et il n'est pas question de les observer de manière directe. Mais à quoi bon espérer que la majorité des ressources en eau de la planète Mars se trouvent dans le sous-sol, si celui ci s'avère finalement aussi sec que le désert du Sahara ?

Heureusement pour nous, la glace souterraine est loin de passer inaperçue pour des observateurs attentifs. Même enfouie à des centaines de mètres sur la surface, elle va influencer la nature des terrains qui la surmontent. La présence de glace dans le sous-sol laisse des traces nettes en surface. Et les caméras des orbiteurs qui ont tourné pendant des années autour de la planète rouge n'ont pas manqué de les enregistrer. Ce sont maintenant ces preuves directes qui vont nous intéresser... la suite dans quelques semaines !

Pour en savoir plus :

Go ! Chroniques martiennes : La planète Mars est un glaçon !
Go ! Chroniques martiennes : La glace a-t-elle été à l’œuvre sur Mars ?
Go ! Chroniques martiennes : Des glaciers sur Mars.
Go ! De l'eau sur Mars ?
Go ! Les terrains polygonaux vus par la sonde Mars Global Surveyor.

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Coupe longitudinale de la croûte martienne du pôle nord au pôle sud. La glace peut exister dans le sous-sol sous une forme stable uniquement aux latitudes et aux profondeurs ou la température est inférieure au point de congélation. En dehors de ces régions, la glace est instable et finit par se sublimer complètement. Des réservoirs de glace peuvent éventuellement survivre s'ils sont protégés de l'atmosphère par une couche protectrice imperméable. Les zones noires représentent les régions du sous-sol ou la température ne descend pas en dessous du point de congélation de l'eau. La zone en pointillé blanc et noir représente la région ou la glace est instable une certaine partie de l'année. L'épaisseur du pergélisol atteint 3 à 8 km dans les moyennes et hautes latitudes, contre 1 à 3 km dans les basses latitudes. Le niveau d'auto-compaction se situe entre 8 et 11 km. Après cette limite, la taille des pores du pergélisol est proche de zéro, et il ne peut plus contenir de glace (Crédit photo : droits réservés).

Structure du sous-sol martien

Structure de la croûte superficielle martienne. La surface planétaire martienne a été fortement affectée par les impacts météoritiques. L'énorme quantité d'énergie dégagé au moment des chocs avec la surface a fracturé intensément le socle rocheux. Chaque impact a de plus éjecté à la surface un volume très important d'éjecta. La croûte superficielle de Mars a donc une structure similaire à l'écorce lunaire. On trouve en surface une couche épaisse de brèches d'impact, interrompue par moment par des coulées de lave et des dépôts sédimentaires. Cette couche friable, peu compacte et poreuse repose sur la base rocheuse fracturée. On pourrait penser que l'espace libre entre les particules du sol représente un volume plus important que les fissures rocheuses, mais la géométrie de celles ci leur donne un rôle au moins aussi important que les pores dans la capacité totale du régolite. Au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans les profondeurs du sol, la porosité diminue, car le sol a tendance à se tasser sur lui même. Au delà de la limite d'auto-compaction, le matériau est parfaitement compact (Crédit photo : droits réservés).

Glace compacte

Si la planète Mars contient encore une grande quantité d'eau, et au vu des faibles quantités retenues dans les deux seuls réservoirs que l'on peut observer directement (l'atmosphère et les calottes polaires), alors cette eau doit être stockée dans le sous-sol, sous la forme de glace interstitielle, contenue dans les pores et les fissures. Le sous-sol martien ne contient cependant pas uniquement de la glace interstitielle mais aussi des poches de glace compacte, comme celle de la photographie ci dessus (sur ce cliché, la glace affleure quelques centimètres sous la surface et constitue le cœur d'un magnifique pingo (Crédit photo : droits réservés).

Solifluxion

Non, nous ne sommes pas sur Mars, mais bien au Canada ! La couche superficielle rouge riche en fer glisse lentement sur la pente du versant, à cause notamment du mécanisme de solifluxion. La solifluxion, en lissant parfaitement les reliefs, marque fortement le paysage. Sur Mars, on observe au niveau de certaines régions un nivellement de ce type, preuve indirecte de la présence de glace dans le sous-sol (Crédit photo : droits réservés).

Pingo

Dans cette plaine isolée, gelée, battue par les vents, une seule petite colline se dresse fièrement. Ce monticule n'est autre qu'un pingo, une poche de glace compacte qui, en se formant, a eu assez de puissance pour soulever la surface. Les pingos constituent des indicateurs particulièrement visibles de la présence de glace dans le sous-sol (Crédit photo : droits réservés).

Ces collines martiennes sont entourés par des coulées de terrains dont le profil est convexe. Elles ressemblent à s'y méprendre à des petites mottes de beurre dont la surface aurait fondu pour s'accumuler en nappe liquide tout autour. C'est l'une des principales évidences de la présence de grande quantité de glace dans le sol martien (Crédit photo : NASA/JPL).

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Les éjectas fluidisés autour de certains cratères d'impact (ici le cratère Yuty dans Chryse Planitia, 18 km de diamètre) seraient la preuve de la présence d'une quantité importante de glace dans le sous sol martien. Sous la chaleur de l'impact, la glace a fondu et le sol est devenu boueux, ce qui explique les écoulements fluides qui bordent le cratère (Crédit photo : NASA/JPL).

Calotte polaire Nord

La calotte polaire Nord. On pense qu'une quantité importante d'eau est piégée ici, sous la glace de CO2 (Crédit photo : NASA/JPL).

Carte de la teneur en glace du sous-sol martien dressée par Mars Odyssey

En 2002, la sonde Mars Odyssey mis en évidence de vastes quantités de glace dans le sol de Mars. Les deux cartes ci-dessus ont été dressées par le spectromètre à neutrons NS de Mars Odyssey. Elles montrent la répartition des neutrons de moyennes énergies (épithermiques) dans le premier mètre de la surface martienne. Les régions violettes ou bleues indiquent les zones ou les neutrons sont ralentis par d'importantes quantités d'hydrogène, un indicateur de la présence de glace dans le sol. La carte du haut a été obtenue peu après le début de la mission de Mars Odyssey, à la fin de l'été austral. Elle montre que de formidables concentrations d'hydrogène existent bien au-delà de la calotte polaire sud, dans une région allant du pole jusqu'à 60° de latitude sud. D'après les calculs, l'eau représenterait 60 % du volume du sol ! Au moment de l'acquisition des données, la région polaire nord était recouverte par une calotte de dioxyde de carbone solide, qui masquait alors la surface nordique aux instruments de Mars Odyssey. La carte inférieure a été prise au début de l'été nordique. La disparition de la calotte saisonnière de dioxyde de carbone révèle que l'hémisphère nord possède lui aussi d'impressionnantes quantités de glace (apparemment supérieures d'un tiers à celles de l'hémisphère sud). A cette période de l'année, l'hiver austral venait juste de débuter, et avec lui le dépôt du manteau saisonnier de dioxyde de carbone sur la région polaire (comme en témoigne clairement la baisse d'intensité du signal neutronique) (Crédit photo : NASA/JPL).

 

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