Mars Science

Des champs magnétiques fossiles

Décidément, on se souviendra longtemps de l'apport décisif du magnétomètre (Magnetometer/Electron Reflectometer ou MER) de la sonde Mars Global Surveyor dans la compréhension du champ magnétique martien. Outre le fait que ce magnétomètre vient de mettre en évidence une éventuelle tectonique de plaques sur la planète rouge, il a également permis de préciser la nature exacte du champ magnétique martien, en particulier son origine et son évolution.

Le 15 septembre 1998, les données retournées par le magnétomètre de la sonde indiquent clairement que Mars possède un champ magnétique. Jusque là, les scientifiques n'étaient pas certains de la présence d'un champ magnétique autour de la planète rouge Mars (malgré l'étude de certaines sondes, comme Mars 2, Mars 3, la série Mars 4, Mars 5 et Mars 6, Phobos 1 et Phobos 2). Mais ce champ magnétique est bien différent du champ magnétique d'autres planètes, comme celui de la Terre.

La Terre possède un champ magnétique global, généré grâce à la rotation d'un noyau de métal liquide (effet dynamo). Il semble que Mars a également connu, dans sa jeunesse, un champ magnétique global. Mais les résultats de Global Surveyor attestent que la dynamo qui le générait est maintenant éteinte. Ce que l'on observe encore sur Mars, ce sont juste des champs magnétiques rémanents, des reliques encore détectables d'un passé ou la planète rouge ressemblait à la Terre. Le champ observé est plus fort que prévu, même si sa force n'excède pas 1/800éme de la force du champ magnétique terrestre. Il possède une polarité similaire à celui de la Terre. Ces champs sont localisés à des endroits bien précis de la croûte martienne. Ils devraient produire des interactions plus complexes que celles observables avec les autres planètes, car ils tournent en même temps que Mars.

Ces résultats vont devoir être corrélés avec les données topographiques recueillies par la caméra et l'altimètre laser de la sonde Mars Global Surveyor. Cela permettra peut être d'identifier des particularités topographiques à la surface de Mars et de retracer l'histoire interne de la planète.

Faire d'un malheur bonne fortune

Les observations très fines du champ magnétique martien et de ses propriétés par Global Surveyor n'auraient pas été possibles si la sonde Mars Global Surveyor avait suivi son planning. On se souvient que l'aérofreinage de Mars Global Surveyor avait vu sa durée rallongée d'un an suite à un problème avec l'un de ses panneaux solaires. Mais l'allongement de la période d'aérofreinage n'a pas été un énorme souci pour les scientifiques mais plutôt une aubaine, car la sonde en a profité pour commencer l'observation de la planète rouge. L'orbite que la sonde parcourait alors était bien différente de l'orbite définitive de cartographie. Le périapse était très proche de la surface martienne (120 km en moyenne), bien en dessous de l'ionosphère, une couche de gaz ionisée de la haute atmosphère martienne. L'ionosphère est la cause de nombreuses perturbations et interférences qui peuvent dégrader les résultats enregistrés par le magnétomètre.

Contrairement à l'ionosphère terrestre, l’ionosphère martienne n'est pas protégée du vent solaire par un champ magnétique intense. Le vent solaire pénètre à l'intérieur de l'ionosphère martienne et génère des champs magnétiques complexes qui peuvent empêcher l'observation des anomalies magnétiques de la croûte. Une orbite qui passe en dessous de l’ionosphère est très intéressante car la sonde est proche des anomalies magnétiques que l'on veut mesurer, et elle est éloignée des champs magnétiques perturbateurs de l’ionosphère. Le réflectomètre à électrons signale juste au magnétomètre que la sonde vient de passer sous l’ionosphère, et celui ci peut commencer les mesures.

Les résultats qui ont été accumulés pendant la phase de freinage atmosphérique étaient donc de bien meilleures qualités que ce à quoi on s'attendait initialement. Bref, voila une malchance (un panneau solaire qui flanche et une année de retard) qui se transforme en bonne fortune ! L'orbite actuelle de cartographie (437 km pour le périapse) expose le magnétomètre à beaucoup trop d'interférences, et les inversions du champ magnétique n'auraient par exemple pas pu être détectés.

Grandeur et décadence

Le champ magnétique est un facteur très important à prendre en compte pour comprendre l'histoire et l'évolution d'une planète. La présence d'un noyau de métal liquide au cœur d'une planète et d'une dynamo active suggère l'existence d'une source de chaleur interne. Celle ci se manifeste par exemple au niveau d'une tectonique de plaques et par la présence de volcans à la surface de la planète. On peut donc parier sur le fait que Mars devait être une planète très active et dynamique d'un point de vue géologique, à l'image de la Terre. Avec une atmosphère plus épaisse et de l'eau liquide à sa surface, nous avions là un environnement particulièrement favorable à l'apparition de la vie. De plus, un champ magnétique global protège la surface de toute une foule de particules impropres à la vie, comme celles du vent solaire ou des rayons cosmiques.

A l'instar des super-géantes bleues qui brûlent leur vie par les deux bouts, Mars a vécu en accéléré ! En vivant sa vie à cent à l'heure, elle a du avoir une jeunesse éclatante. Mais toute médaille à son revers et le drame a fini par se produire.

A cause d'une taille inférieure à celle de la Terre, Mars avait emmagasiné moins de chaleur, et la petite planète l'a perdue plus facilement. Lentement mais inexorablement, la planète va commencer à se refroidir. Si Mars a connu une tectonique des plaques, ces dernières s'immobilisent et cessent leur lent déplacement. Le volcanisme s'arrête, et l'atmosphère, qui perd là sa principale source de ravitaillement en gaz carbonique, commence à se raréfier. A l'intérieur, la situation n'est pas bien meilleure. Le noyau liquide se solidifie progressivement. Petit à petit, la dynamo ralenti, puis fini par s'arrêter, entraînant la disparition du champ magnétique global. De l'activité magnétique de Mars, il ne reste plus alors que des amas rocheux qui, grâce à des minéraux doués de propriétés magnétiques (comme la magnétite), ont emprisonné en leur sein le champ magnétique qui prévalait à l'époque de leur formation. La surface, mise à nu par la perte du bouclier magnétique, reçoit maintenant de plein fouet les particules du vent solaire et des rayons cosmiques, qui peuvent enfin exercer leurs actions destructrices. La planète a fini par se figer complètement. La planète rouge est devenue une planète morte.

Le visage que Mars nous offre aujourd'hui est en fait bouleversant. Car c'est celui que la Terre aura lorsqu'elle aussi, elle aura perdu toute chaleur. Le système solaire nous offre une chance unique. Celle de pouvoir admirer, via une autre planète, la vieillesse et l'agonie de la planète Terre.

Pour en savoir plus :

Go ! Chroniques martiennes : Remise en question de la date d’apparition du champ magnétique martien.

Champ magnétique terrestre

Le champ magnétique terrestre est généré par effet dynamo, sous l'effet de la rotation d'un noyau liquide métallique. Ce champ est global (Crédit photo : droits réservés).

Champ magnétique martien

De plus en plus, on suspecte Mars d'avoir connu dans sa jeunesse un champ magnétique global, similaire à celui de la Terre. Mais ce champ n'existe plus aujourd'hui, car la dynamo martienne s'est éteinte. Pourtant, la planète rouge présente encore une activité magnétique. Certaines régions sont encore magnétisées et conservent un champ local fossile, vestige de l'ancien champ magnétique global (Crédit photo : droits réservés).

Champ magnétique

Interaction du vent solaire (composé de particules chargées électriquement, ions et électrons) avec la planète Mars. Un champ magnétique global devait protéger la jeune planète contre ces rayonnements nocifs (Crédit photo:  MER Science Team).

L'étude du champ magnétique martien a profité d'un problème qui s'est mué en avantage. Pendant la phase de freinage atmosphérique, la sonde pouvait passer sous l'ionosphère (ligne verte) et effectuer des mesures bien plus précises que celles qui sont possibles depuis l'orbite de cartographie finale, (ligne pointillée blanche, en plein dans l'ionosphère). A toute chose, malheur est bon ! (Crédit photo : MER Science Team).

 

 Champ magnétique

Ce diagramme montre une coupe de la planète Mars avec le noyau (en rouge) et les lignes de force du champ magnétique qui en émanent. Apparemment, l'effet de dynamo qui était à l'origine de ce champ magnétique global s'est arrêté (Crédit photo : MER Science Team).

Champ magnétique

Cette image montre l'orientation et l'intensité des anomalies magnétiques (plus les lignes sont longues, plus le champ est intense) mesuré par le magnétomètre de Mars Global Surveyor durant l'un de ses passages près de la planète. La source de ces anomalies semble être située près de la surface de Mars, sans doute dans la croûte (Crédit photo : MER Science Team).

 Champ magnétique

La plupart des passages rapprochés de la sonde Mars Global Surveyor avec la surface de Mars révèlent la présence d'anomalies magnétiques. Une carte détaillée du magnétisme de la croûte martienne permettra de retracer l'histoire de la dynamo (maintenant éteinte) et l'évolution de la surface de Mars (Crédit photo : MER Science Team).

 

Ce schéma montre la concentration en électrons mesurée par le réflectomètre à électrons de la sonde Mars Global Surveyor alors qu'elle traversait l’ionosphère de Mars pendant la phase de freinage atmosphérique. Quand la sonde est rentrée dans l’ionosphère (représentée par l'anneau grisé, le dessin n'étant pas à l’échelle), la concentration en électron a brutalement augmenté, avec un maximum dans la limite inférieure de l’ionosphère. Puis cette concentration a chuté à nouveau brusquement. L'altitude à laquelle se produit cette baisse dépend de l'état de l'atmosphère (densité, température). Cette information va permettre l’étude et la comparaison de l’ionosphère de Mars avec celles des autres planètes (Crédit photo : MER Science Team).

 

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