Mars Observer

Mars Observer était la première sonde d'une série de missions planétaires destinée à étudier la géologie et le climat de la planète Mars. C'était également la première mission de la NASA à se diriger vers Mars depuis les sondes Viking en 1975. Ses objectifs étaient :
  • de déterminer la composition élémentaire et la minéralogie de la surface martienne.
  • d'étudier la topographie et le champ de gravité (gravimétrie).
  • d'établir la nature du champ magnétique martien.
  • d'étudier la distribution (d'un point de vue spatial et temporel), l'abondance, les apports et les pertes en éléments volatiles (eau, CO2) et de la poussière sur un cycle saisonnier.
  • d'explorer la structure et la circulation de l'atmosphère.

La cartographie de Mars devait s'effectuer par cycle de 26 jours. A travers la masse gigantesque d'information qu'elle devait retourner (de 80 à 90 gigabytes de données), Mars Observer aurait aider à décrypter l'histoire géologique et climatique de Mars, ainsi que son évolution interne. Les données auraient permis une étude comparative détaillée de Mars avec les autres planètes telluriques, dont la Terre.

La mission

Mars Observer a été lancé du centre spatial Kennedy par une fusée Titan III le 25 septembre 1992.  Le poids de la sonde était de 1018 kg à sec.

Au total, le voyage a duré 11 mois et la sonde a parcouru une distance de 720 millions de kilomètres. Trois manœuvres de correction de trajectoire ont eu lieu pendant le trajet interplanétaire pour guider l'engin vers Mars. Les équipes au sol en ont de plus profité pour calibrer et vérifier les instruments scientifiques. Une collecte de données a même pu avoir lieu (à deux reprises par le magnétomètre et le GRS et à une reprise pour l'expérience radio).

Le 19 août 1993, une fois arrivée à proximité de Mars, la sonde devait allumer son moteur principal (alimenté par un mélange d'hydrazine monométhylé et de tétraoxyde d'azote) pendant 29 minutes pour ralentir et permettre à la gravité martienne de la capturer. L'orbite de capture était fortement elliptique et pendant quatre mois, grâce à des manœuvres propulsives, la sonde devait la modifier pour atteindre son orbite finale de cartographie (en passant successivement par 7 orbites intermédiaires). Lors de cette phase de transition, trois instruments devaient commencer à collecter des données (GRS, MAG/ER et TES).

L'orbite de cartographie était une orbite circulaire presque polaire (inclinaison de 93°), d'une période de 2 heures et d'une altitude de 378 km. La phase de cartographie proprement dite devait durer un an. En plus des multiples observations qu'elle avait à mener, la sonde devait aussi servir vers la fin de sa mission (en octobre 1995) de relais radio. Elle était effectivement destinée à recevoir et relayer vers la Terre les données provenant des atterrisseurs et des pénétrateurs de la mission Russe Mars 94 (qui est devenue Mars 96), grâce au relais radio MBR (Mars Balloon Relay). Mars Observer devait aussi supporter la mission Mars 96 (rebaptisé Mars 98), qui n'aura finalement pas lieu. Celle-ci devait emporter avec elle, en plus d'une astromobile, un ballon atmosphérique, d'ou le terme Balloon. Le relais radio était fourni par le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) en France.

La durée de vie de Mars Observer était de 3 ans (la durée de vie d'une sonde spatiale est principalement déterminée par la quantité restante de carburant du système de contrôle d'attitude et par l'état des batteries qui alimentent le vaisseau quand celui ci quitte le côté ensoleillé de la planète).

Les instruments scientifiques

La sonde emportait une caméra (MOC),  un altimètre laser (MOLA), un spectromètre d'émission thermique (TES), un magnétomètre - reflectomètre à électrons (MAG/ER), un spectromètre gamma (GRS), un radiomètre infrarouge (PMIRR), une expérience de gravimétrie (Radio Science) et un relais radio (MBR, Mars Balloon Relay). De part l'importance des données qui devaient être fournies par Mars Observer, la NASA a décidé de redistribuer la charge utile dans des missions de replacement, dont Mars Global Surveyor. Les instruments sont donc présentés en détail avec les missions concernées. Mars Global Surveyor emporte six des huit instruments de Mars Observer (MOC, MOLA, TES, MAG/ER, Radio Science et Mars Relais). Les deux instruments restants (le PMIRR et le GRS) partiront respectivement vers Mars grâce aux missions Mars Surveyor 98 et Mars Odyssey.

La fin de Mars Observer

Le vendredi 20 août 1993, Mars Observer reçoit les instructions nécessaires pour son insertion en orbite, qui doit avoir lieu le 24 août 1993 à 1:24 pm. Parmi les séquences de commandes, la pressurisation des réservoirs d'ergols et la désactivation du système de transmission.

Pendant le voyage interplanétaire, le carburant nécessaire pour les trois manœuvres de correction de trajectoire a été éjecté vers le moteur par la pression établie au niveau des réservoirs avant le lancement. Mais l'allumage du moteur principal pour l'insertion en orbite nécessitait la connexion des réservoirs avec le réservoir de pressurisation (hélium). Une grande quantité de gaz était nécessaire pour permettre la bonne alimentation en carburant du moteur principal. La valve qui commande l'ouverture du réservoir d'hélium et qui permet au gaz de s'écouler via un tube en acier de faible diamètre vers le régulateur de pression et les réservoirs de carburant est actionnée par des petites charges explosives. L'allumage des charges est effectuée par l'ordinateur central de la sonde. Lors de leur explosion, une onde de choc traverse la sonde et se répercute dans chaque composant électronique, dont certains sont susceptibles d'être endommagés. Parmi cette catégorie, on trouve les tubes des amplificateurs du système radio. C'est pourquoi les systèmes de transmission ont été coupés pendant 9 minutes le samedi 21 août 1993 à 5:21, alors que la phase de pressurisation avait lieu. Cette manipulation avait déjà eu lieu plusieurs fois pendant le vol. Pourtant, cette fois ci, le contact ne sera jamais rétabli.

Une heure après sa capture par la planète rouge, la sonde devait entrer en contact avec la Terre. En tenant compte du délai de propagation des ondes (19 minutes pour parcourir à la vitesse de la lumière la distance Mars - Terre), l'antenne de la station de Goldstone, en Californie, devait recevoir un signal à 2:40 pm.

Contre toute attente, les techniciens au sol ne reçoivent aucun signal en provenance de Mars Observer. Quelques minutes après s'être rendu compte du problème, les énormes antennes du Deep Space Network se tournent vers la position probable de Mars Observer et les équipes au sol entament une série de manœuvres pour tenter de reprendre contact. Des centaines de bandes radio sont scannés, en vain.

Pourtant, quelques heures après la perte de contact, le moral des équipes au sol est encore au beau fixe. Il ne s'agit peut être que d'un problème temporaire du système de transmission. La prochaine opportunité de communication avec la sonde doit avoir lieu le mercredi 25 août 1993 à 2:56. Effectivement, une séquence particulière du programme de la sonde (command loss timer) doit s'enclencher après 120 heures de silence radio et permettre à la sonde de localiser la Terre. Dans le cas ou celle ci n'a effectivement rien reçu, et si l'horloge de bord est bien capable de décompter 120 heures, elle attend patiemment pendant 24 heures un message de la Terre.

Mercredi 25 août 1993. Le silence radio est total.

Mais tout n'est pas perdu pour autant et une lueur d'espoir subsiste. Car si la sonde n'a toujours pas reçu de signal radio en provenance de la Terre après les 24 heures fatidiques, elle doit se placer d'elle même dans un mode spécial et pointer son antenne faible gain vers la Terre. Les équipes au sol s'attendent donc à recevoir un signal le jeudi 26 août 1993.

Le signal tant attendu ne vient pas. Il ne viendra jamais.

Dès le début, la situation est apparue catastrophique, et chaque jour qui passait confirmait ce que personne ne voulait croire : la perte de la mission Mars Observer. C'est pourtant dans ce climat que les techniciens vont suivre toutes les pistes qui ont une chance d'aboutir. Plusieurs groupes vont se pencher sur le problème : l'équipe de Mars Observer bien sûr, mais aussi un groupe du quartier général de la NASA, un autre du JPL et un troisième du constructeur de l'engin Martin Marietta. Les activités de récupération dureront deux mois, après quoi elles seront abandonnées. Après des mois penchés sur les documents de conception de la sonde, les données télémétriques reçues juste avant la perte de contact et les résultats de tests effectués sur des composants de rechange, les différents groupes de travail sont arrivés aux mêmes conclusions.

Les explications possibles

Les véritables raisons de la perte de contact avec la sonde Mars Observer demeurent inconnues et elles le resteront sans doute toujours. On ne sait même pas si la sonde s'est mise en orbite autour de Mars en suivant les instructions de son programme ou si elle a survolé Mars pour se placer sur une orbite héliocentrique. Mars Observer, lors de la perte de contact, possédait effectivement toutes les informations pour se placer d'elle-même en orbite martienne, sans l'aide de la Terre. Le cérémonial de l'insertion en orbite a d'ailleurs été respecté le 24 août 1994, alors que la sonde était déjà muette depuis 3 jours.

L'explication la plus couramment admise est un problème d'étanchéité au sein du système de propulsion. La valve reliant le réservoir de tétraoxyde d'azote fuait, ce qui a conduit à une accumulation substantielle du fluide dans les tubulures du système de propulsion pendant les 11 mois de la phase de croisière. Au moment de la pressurisation des réservoirs d'ergols par injection d'hélium, l'hydrazine est rentrée en contact avec le tétraoxyde d'azote accumulé dans la canalisation, ce qui a provoqué une rupture catastrophique de cette dernière. A ce moment là, plusieurs évènements ont pu avoir lieu :

  • La rupture a provoqué l'épanchement violent d'une grande quantité d'hélium et d'hydrazine monométhylé (MMH) sous les plaques de protections thermiques. Ces fluides se sont mis à circuler de façon désordonnée à l'intérieur du corps de l'orbiteur, produisant alors une force qui mit la sonde en vrille. La mise en rotation a du activer le mode de sauvegarde, mais ce dernier a certainement du être incapable de faire sortir la sonde de sa vrille. Parce que les panneaux solaires n'étaient plus pointés vers le Soleil et que les batteries n'étaient plus rechargées, Mars Observer s'est retrouvée à court d'énergie, empêchant le transmetteur de fonctionner (sous l'effet de la rotation brutale, l'antenne principale s'est peut-être aussi brisée).
  • Liquide corrosif par nature, l'hydrazine a sans doute attaqué de nombreux circuits électroniques en provoquant des court-circuits dévastateurs au sein de l'orbiteur.
  • La rencontre inopinée entre l'hydrazine et le tétraoxyde d'azote dans les tubulures du système de propulsion a peut-être donné lieu à une explosion qui s'est transmise aux réservoirs et qui a pulvérisée la sonde.

Si l'explication de la fuite est la bonne, Mars Observer n'a pas pu se placer en orbite martienne et la sonde, ou plutôt son épave, a survolé Mars avant de continuer sa route autour du Soleil.

Une défaillance de l'horloge centrale (RXO ou Redundant Crystal Oscillator), un système indispensable au calculateur de Mars Observer, est également possible. En "battant la mesure" cette horloge permet à l'ordinateur de traiter les différents événements. Une défaillance de l'horloge centrale empêche donc l'ordinateur d'effectuer son travail. Or, il se trouve que les circuits électroniques de l'horloge utilisaient  un transistor (2N3421) qui avait déjà posé des problèmes sur d'autres sondes spatiales. Deux de ces transistors, provenant tous d'un lot connu pour être défectueux, étaient installés sur les deux horloges de la sonde (la principale et celle de secours). Ce problème potentiel avait été mis en évidence 55 jours avant l'arrivée sur Mars, après 9 mois de voyage. Lors de la pressurisation des réservoirs, un transistor de chaque horloge a peut être cessé de fonctionner. Il se peut également que la bascule automatique entre l'horloge principale (défectueuse) vers l'horloge de secours (saine) n'ait pas eu lieu. Dépourvue d'horloge centrale, la sonde n'était alors plus récupérable.

Enfin, la NASA a aussi invoqué une défaillance du système électrique causée par un court-circuit, une surpressurisation du réservoir de tétraoxyde d'azote conduisant à une rupture catastrophique à cause d'un régulateur de pression défaillant, ou encore l'éjection accidentelle d'une pièce d'une valve pyrotechnique dans le réservoir d'hydrazine ou à l'intérieur de la sonde.

Deux stratégies avaient été mises au point pour récupérer le contact avec Mars Observer. L'une comprenait le téléchargement d'un nouveau jeu d'instructions pour la mise en orbite dans les 24 heures qui suivaient l'insertion orbitale initiale, de manière à provoquer à nouveau la capture de la sonde par Mars 36 heures plus tard. Cette option, qui nécessitait la reprise des communications dans les deux sens, aurait consommé tout le carburant et placé la sonde sur une orbite parcourue en 40 jours. La seconde possibilité tablait sur le fait que la sonde se soit échappée de la gravité martienne pour voyager sur une orbite héliocentrique. Dans ce cas, la sonde, après un petit tour autour du Soleil, serait revenue à proximité de la planète rouge deux ans plus tard, ou une nouvelle insertion en orbite aurait pu être tentée. Là encore, un rétablissement des communications était nécessaire.

Plusieurs techniques ont été mises au point pour s'assurer du sort de la sonde. On a par exemple proposé de rechercher directement l'engin avec le télescope spatial Hubble. Mars Observer était cependant non seulement trop proche du Soleil du point de vue de Hubble, mais aussi bien trop petite pour que cette technique aboutisse. La NASA a également tenté d'utiliser la petite balise du relais radio (Mars Balloon Relay) que la sonde emportait pour communiquer avec le ballon des missions russes. Cinq antennes de radiotélescopes aux Etats-Unis, au Canada et en Angleterre (dont l'énorme antenne du radiotélescope d'Arecibo à Porto Rico) ont été utilisées pendant cinq mois pour tenter de capter le signal très faible (d'une puissance de 1 watt) de la balise. Si le signal avait été reçu, cela aurait signifié que la sonde était intacte, qu'elle était alimentée électriquement et qu'elle pouvait recevoir des commandes. Ce ne fut pas le cas, et les immenses oreilles des radiotélescopes n'ont jamais capté le moindre murmure électronique en provenance de Mars.

Une perte considérable

La perte de Mars Observer le 21 août 1993 a été un événement dramatique. Aucun des objectifs de missions n'a été accompli, même si quelques données ont été effectivement collectées lors du trajet Terre - Mars. Perte financière, échec technique, la disparition de Mars Observer a aussi fortement ralenti le programme d'exploration de Mars. La planète rouge s'est par contre offerte un beau trophée, sur un tableau de chasse déjà bien rempli ...

Lancement de Mars Observer

La sonde Mars Observer s'élance vers Mars à bord du puissant lanceur Titan III E en septembre 1992 (Crédit photo : NASA/JPL).

Mars Observer

La sonde Mars Observer montre ici ses six panneaux solaires (7,0 x 3,7 mètres), son antenne grand gain de 1,5 mètres de diamètre fixée à l'extrémité d'un mat de 5,5 mètres ainsi que les deux perches (de 6 mètres chacune) du magnétomètre (MAG/ER) et du spectromètre gamma (GRS). Pendant le trajet Terre -Mars, l'antenne grand gain a été déployée, ainsi que les deux mats des instruments GRS et MAG/ER (mais de manière partielle). Pendant le voyage interplanétaire, seulement quatre des six panneaux solaires étaient utilisés pour réduire la puissance générée, à cause de la proximité du Soleil. Deux batteries Nickel Cadmium fournissaient l'énergie lors du passage du côté non éclairé de Mars, après la mise en orbite (Crédit photo : droits réservés).

Photo de Mars par Mars Observer

Le 26 juillet 1993, Mars Observer se trouvait à 5,8 millions de km de son objectif et à 28 jours de sa rencontre avec la planète. La sonde n'enverra pas d'autres clichés. Le 21 août, le contact fut définitivement perdu avec la Terre (Crédit photo : NASA/JPL).

Une antenne du Deep Space Network

Une des antennes du Deep Space Network (DSN). Le 21 août 1993, les communications avec Mars Observer cessent brutalement. Pendant plusieurs jours, les équipes au sol vont essayer de reprendre contact avec la sonde. Mais l'espoir diminue avec chaque jour qui passe. La sonde Mars Observer restera muette. Cela faisait 22 ans que les américains n'avaient pas perdu de sonde. Leur dernier échec datait du 8 mai 1971. Ce jour la, la sonde Mariner 8 n'avait pas pu quitter la gravité terrestre à cause d'une défaillance de son lanceur (Crédit photo : droits réservés).

Mars Observer

Vue d'artiste de Mars Observer. On distingue à nouveau les six panneaux solaires, l'antenne grand gain et les deux perches supportant le spectromètre gamma et le magnétomètre. Le traumatisme causé par la perte de Mars Observer finira par disparaître des mémoires. Tous les instruments embarqués sur la sonde seront finalement redistribués entre plusieurs missions. 6 de ces instruments sont déjà en orbite autour de Mars, à bord de la sonde Mars Global Surveyor. Mars Climate Orbiter emportait avec elle le radiomètre, mais cet instrument sera de nouveau perdu lorsque la sonde se désintégrera pendant sa mise en orbite le 23 septembre 1999. Le dernier instrument, le spectromètre gamma, sera embarqué sur l'orbiteur de la mission Mars Odyssey. Avec quelques années de retard, Mars livrera quand même ses secrets. La seule chose que l'on ne saura jamais, c'est la nature de l'événement responsable de la mort de Mars Observer (Crédit photo : droits réservés).

Schéma technique de l'orbiteur Mars Observer. Cliquez sur l'image pour l'agrandir (Crédit photo : NASA/JPL).

 

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