La mission Mangalyaan est une excellente surprise dans
l'histoire déjà relativement chargée de l'exploration robotique
martienne,
puisqu'elle marque l'entrée de l'Inde dans le club très fermé des pays
ayant la capacité à envoyer des sondes spatiales vers la planète rouge.
Jusqu'à présent, seuls les Etats-Unis (NASA), l'Europe (avec l'Agence
Spatiale Européenne) et la Russie ont été en mesure d'atteindre Mars,
certes avec des résultats
mitigés selon les pays. Mangalyaan a vu le jour suite à une étude de faisabilité réalisée en 2010. Comme à l'époque de la guerre froide entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, l'un des objectifs de l'Inde est de battre d'autres pays asiatiques dans la course à l'espace. L'orbiteur a donc d'abord et avant tout été lancé pour une question de prestige. En 1998, le Japon avait été le premier à tenter d'atteindre Mars avec la sonde Nozomi, qui, criblée par des problèmes techniques, n'a jamais pu se placer en orbite. La Chine s'était ensuite positionnée en embarquant, à bord de la sonde russe Phobos-Grunt, un microsatellite, Yinghuo-1. Un choix contestable, vu le palmarès malheureux des russes avec la planète rouge, et qui a abouti à un résultat désastreux, Phobos-Grunt n'ayant même pas réussi à quitter l'orbite terrestre peu après son lancement en novembre 2011. Avec son véhicule porteur, le satellite chinois a fini dans l'océan pacifique. L'Inde a donc saisi sa chance en lançant à son tour une sonde vers Mars. Le coût de la mission est estimé à 56 millions de d'euros (75 millions de dollars), dont 19 millions d'euros (25 millions de dollars) pour l'orbiteur lui-même. Il s'agit d'une fraction du coût de la sonde américaine MAVEN (671 millions de dollars), lancée au même moment. Si la différence peut paraître choquante, il faut néanmoins rappeler que Mangalyann n'est qu'un démonstrateur technologique, là où MAVEN est un véritable laboratoire volant, et que le cout de la vie en Inde n'a absolument rien à voir avec celui du pays le plus puissant de l'Occident. Cela ne dévalue en rien l'exploit réalisé par l'agence spatiale indienne. Excepté l'Europe avec Mars Express, aucun pays n'a effectivement jamais réussi à atteindre Mars dès la première tentative. Pour l'Inde, Mangalyaan (qui en sanskrit signifie "le véhicule martien", mais qui est aussi connue sous le sigle de MOM, pour Mars Orbiter Mission) représente d'abord et avant tout un démonstrateur technologique, qui devra permettre de tester les capacités de ce pays à concevoir, construire, lancer et opérer une sonde interplanétaire. L'inde a également dû déployer tout un réseau de stations au sol pour assurer le suivi de l'orbiteur tout au long des différentes phases de la mission. La mission scientifique d'observation de la planète Mars est quant à elle relativement courte. En six mois (peut-être dix), Mangalyaan devra se livrer à l'étude de la surface (reliefs, minéralogie) et de l'atmosphère de la planète rouge, cible scientifique principale de la sonde américaine MAVEN, lancée la même année. L'orbiteur indien a été catapulté avec succès le 5 novembre 2013 depuis le centre spatial indien de Satish Dhawan (SHAR), situé à Sriharikota, par une fusée PSLV-XL C25 (Polar Satellite Launch Vehicle). Injectée sur une orbite terrestre de parking, la sonde est restée environ un mois dans le voisinage de notre planète, le temps pour elle d'effectuer une série de six manœuvres orbitales, qui avaient pour but de rehausser l'apogée (le point de l'orbite le plus éloigné de la Terre) de 23 500 km (altitude atteinte à la première orbite) à 192 000 km (dernière orbite avant le départ vers Mars). Il est relativement rare pour les sondes martiennes de devoir rester aussi longtemps en orbite terrestre avant de pouvoir enfin se propulser vers Mars. La sonde russe Phobos-Grunt, lancée le 8 novembre 2011, soit deux années auparavant, utilisait elle aussi cette technique, mais sur une durée bien plus courte, ce qui ne l'a pas empêché d'échouer, et de ne jamais quitter le voisinage terrestre. Mangalyaan devait initialement être lancé vers Mars grâce à une fusée GSLV, mais suite à plusieurs échecs au lancement, l'agence spatiale indienne a finalement préféré porter son choix sur le lanceur PSLV dans sa configuration XL (six petits boosters latéraux d'appoints étant alors attachés au premier étage), pour des raisons évidentes de sûreté. Le lanceur PSLV n'a cependant pas la puissance suffisante pour propulser directement une sonde aussi lourde que Mangalyaan directement sur une trajectoire martienne. C'est pourquoi le satellite a été injecté sur une orbite de parking terrestre, à partir de laquelle elle a dû effectuer une série de manœuvres. Le tableau suivant liste les changements d'orbite effectués après le lancement :
Grâce à l'assistance gravitationnelle fournie par la Terre et l'allumage du moteur principal lors de chaque passage au périgée, la sonde a acquis une vitesse de plus en plus grande, jusqu'à pouvoir être en position d'atteindre la vitesse de libération terrestre (11,2 km/s) et de quitter définitivement la sphère d'influence gravitationnelle de notre planète, au-delà de laquelle les forces qui s'exercent sur la sonde sont uniquement dues au soleil, pour s'élancer sur une orbite héliocentrique de transfert vers Mars (orbite de Hohmann). Le 30 novembre 2013, quinze jours après la dernière modification de son orbite terrestre, Mangalyaan s'est donc arrachée aux griffes de la gravité terrestre pour partir définitivement en direction de sa cible, la planète rouge, poussée en avant par les effluves brûlantes sortant de la tuyère de son moteur principal, qui a fonctionné pendant environ 22,5 minutes (manœuvre TMI, trans-Mars injection). La phase de croisière a duré environ 5 mois (300 jours) le long d'une orbite de transfert Terre - Mars de Hohmann, et a été rythmée par des manœuvres de correction de trajectoire (TCM), réalisées le 11 décembre 2013, puis le 11 juin 2014. La trajectoire était suffisamment précise pour qu'aucun autre ajustement ne soit nécessaire, à l'exception d'une ultime manœuvre en vue de positionner correctement la sonde pour la procédure de mise en orbite. A l'issue d'un périple de 680 millions de kilomètres dans l'espace interplanétaire, Mangalyaan s'est préparée pour la phase critique d'insertion en orbite martienne (MOI). Quelques jours avant cette étape cruciale, la dernière manœuvre de correction de trajectoire a été effectuée non pas avec les moteurs de contrôle d'attitude, mais avec le moteur LAM, et ce au détriment de la précision de la manœuvre. L'agence spatiale indienne appréhendait effectivement grandement le redémarrage de ce moteur, qui était resté inactif pendant 295 jours. LAM n'a fonctionné que quatre secondes, mais les données collectées ont suffi à rassurer les responsables de la mission sur l'état opérationnel du système de propulsion. L'insertion en orbite martienne a eu lieu le mercredi 24 septembre 2014 à 03h47 heure française, soit deux jours seulement après l'arrivée de la sonde américaine MAVEN (22 septembre 2014). La manœuvre a débuté lors du passage au périapse de la sonde, avec la mise à feu du moteur LAM, qui a fonctionné pendant 23 minutes et 9 secondes environ, pour freiner la sonde et permettre sa capture par le champ de gravité martien. Le tableau ci-dessous indique le déroulement des événements.
A l'issue de la manœuvre d'insertion orbitale, Mangalyaan s'est positionnée sur une orbite elliptique inclinée à 150°, avec un périapse de 421,7 km d'altitude et un apoapse de 76 993 km, qui sera parcourue en 72,8 heures. L'orbite visée possédait un périapse de 423 km et une apoapse de 80 000 km, pour une période de 75 heures. L'agence spatiale indienne a donc placé Mangalyaan autour de Mars avec une précision excellente. Au vu des contraintes de poids, il n'était pas possible pour Mangalyaan d'emporter suffisamment d'ergols pour rejoindre une orbite circulaire. A l'issue de la mise en orbite, il ne reste que 40 kg d'ergols dans les réservoirs, ce qui va limiter la durée de vie de la mission. La majeure partie du carburant a été consommé par les manœuvres terrestres et la capture orbitale. Mangalyaan devrait rester active pendant au moins 5 mois. La section ci-dessous décrit les différents sous-systèmes qui composent l'orbiteur Mangalyaan. Si vous n'êtes pas familier avec ce sujet, je vous recommande de parcourir le dossier intitulé anatomie d'une sonde martienne, il facilitera grandement la lecture de ce qui suit. Structure Si l'on ne tient pas compte des ergols, l'orbiteur indien est relativement léger, puisqu'il ne pèse que 500 kg. Il s'architecture autour d'un châssis en forme de cube d'environ 1,5 mètre de côté. Sa structure est similaire à celle de la sonde lunaire indienne Chandrayaan 1. Le bus a été fabriqué en utilisant de l'aluminium en nid d'abeille recouvert de matériaux composites. L'ensemble de la sonde est durcie pour rester aux conditions hostiles du milieu interplanétaire. Propulsion Mangalyaan dispose d'un moteur principal développant une poussée de 440 newtons, baptisé LAM (Liquid Apogee Motor), qui sera mis à contribution en orbite terrestre, pour les manœuvres orbitales (relèvement de l'apogée), ainsi que pour le freinage nécessaire à la mise en orbite martienne. Il consomme de l'hydrazine et du tétroxyde d'azote (MMH et N2O4). Dans le cas où le moteur LAM ne puisse pas être utilisé pour la mise en orbite, les moteurs de contrôle d'attitude seront mis en œuvre comme solution de secours. La sonde embarque quelques 852 kg d'ergols (le carburant pèse donc plus lourd que la sonde elle-même !), dans des réservoirs d'une capacité de 390 litres. Le système de propulsion dispose d'un certain nombre de redondances pour s'assurer qu'il restera opérationnel pendant toute la durée de la mission. Pour diminuer le risque de corrosion du système de propulsion par les ergols et les fuites, Mangalyaan dispose de deux lignes d'arrivée du carburant, qui possède chacune un jeu de valves et de régulateurs. La première ligne a été utilisée pour les multiples rehausses de l'orbite terrestre après le lancement et la première manœuvre de correction de trajectoire, avant d'être condamnée par des bouchons pyrotechniques. La seconde ligne est dédiée à la manœuvre d'insertion orbitale. Huit petites fusées d'appoint de 22 newtons sont fixées sur le fuselage pour les manœuvres de contrôle d'attitude (changement de l'orientation, désaturation des roues à réaction). La sonde possède également quatre roues à réactions. Navigation Pour s'orienter dans l'espace, l'orbiteur va s'appuyer sur une centrale de navigation interstitielle dotée de gyroscopes et d'accéléromètres. Des senseurs stellaires et solaires permettent également de naviguer aux étoiles. Alimentation en énergie La sonde tire son énergie d'un seul panneau solaire composé de trois sections mesurant 1,8 sur 1,4 mètres (soit une surface totale de 7,56 m2), qui fourniront une puissance maximale de 840 watts une fois en orbite martienne. Ils sont couplés à une batterie unique au lithium qui assure le stockage de l'électricité. Ordinateur de bord L'intelligence de bord s'appuie sur un processeur militaire 16 bits cadencé à 20 Mhz qui ne supporte certes plus du tout la comparaison avec ce qui se trouve désormais dans le moindre smartphone, mais qui a largement fait ses preuves dans le domaine de l'exploration spatiale. La sonde dispose de 16 giga-octets de mémoire pour le stockage des données (solid state recorder, SSR). Télécommunication La sonde indienne est suivie par le centre de contrôle ISTRAC (réseau de commande, télémétrie et suivi de l'organisation indienne pour la recherche spatiale) à Peenya, Bangalore, avec l'aide des antennes indiennes de 18 mètres et 32 mètres de diamètre de Byalalu. La NASA a également proposé son aide pour la phase de navigation, ainsi que pour les communications, par le biais des stations du Deep Space Network situées à Canberra (Australie), Madrid (Espagne) et Goldstone (Californie). L'agence spatiale nationale sud-africaine fournit également un support, et deux navires indiens ont également été affrétés spécialement pour le lancement. Mangalyaan est équipé avec trois antennes : l'une à faible gain, la seconde à gain moyen, et la troisième à grand gain. Cette dernière, une coupole de 2,2 mètres de diamètre, servira de moyen de communication principal avec le réseau indien de communication. Les communications s'effectuent en bande S. Mangalyaan embarque 5 instruments scientifiques, pour un poids relativement faible de 13 kg (la masse d'ergols nécessaire au lancement de la sonde vers Mars ayant fortement grevé la capacité d'emport des instruments). Ainsi, Mangalyaan emmène avec elle dix fois moins d'équipements en termes de poids que Mars Express, pour une masse totale équivalente. Il faut cependant rappeler que la mission est d'abord et avant tout un démonstrateur technologique. La charge utile ne comprend que des instruments classiques, qui ont déjà volés sur de nombreux autres orbiteurs. Elle se détaille de la façon suivante :
Il est peu probable qu'au cours de sa mission, la sonde Mangalyann effectue une découverte qui aurait échappée aux engins américains qui étudient l'astre rouge depuis des décennies (et dans une moindre mesure à la sonde européenne Mars Express). Cependant, un tel cas est néanmoins possible, et si l'orbiteur indien doit rentrer dans l'histoire d'un point de vue scientifique, ce sera sans doute par le biais de son détecteur de méthane. Pour en savoir plus :
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D'une hauteur de 44,5 mètres, doté de quatre étages (deux à propulsion liquide, deux à propulsion solide), le lanceur PSLV-XL a été choisi pour propulser la sonde indienne Mangalyaan vers Mars. Sa puissance relativement faible par rapport à la fusée initialement prévue (GSLV) explique l'utilisation de l'assistance gravitationnelle en orbite terrestre, ainsi que la masse conséquente allouée aux ergols, au détriment de l'instrumentation scientifique (Crédit photo : ISRO).
En ce début d'après-midi du 5 novembre 2013, une fusée PSLV-XL, emportant l'orbiteur Mangalyaan dans sa coiffe, s'arrache de la surface terrestre. C'est la 25éme mission de ce lanceur, qui décolle depuis le centre spatial de Satish Dhawan à Sriharikota, une île située en bordure du golfe du Bengale dans le sud de l'Inde, dans l'Etat Andhra Pradesh. Initialement prévu le 28 octobre 2013, le lancement a été reporté au 5 novembre, pour permettre à deux navires de suivi d'atteindre leurs positions dans l'océan pacifique près des îles Fiji (l'objectif de ces derniers est d'acquérir des données télémétriques critiques durant la phase de non visibilité des stations au sol. Le lanceur a dans un premier temps positionné la sonde (d'un poids de 1337 kg) sur une orbite de parking inclinée de 19,2°, avec un périgée de 264 km et un apogée de 23 904 km (crédit photo : ISRO).
Schéma représentant la trajectoire de Mangalyaan : en (1), les différentes orbites liées aux manœuvres d'assistance gravitationnelle, en (2) l'injection sur une orbite de transfert héliocentrique et en (3), l'insertion en orbite martienne (crédit photo : ISRO).
La sonde Mangalyaan ne possède pas la puissance nécessaire pour atteindre une orbite circulaire autour de Mars. Elle suivra donc une orbite elliptique inclinée à 150°, avec un périapse à 365,3 km et un apoapse à 80 000 km, qu'elle parcourra en 76,72 heures (crédit photo : ISRO).
Si le satellite Mangalyaan est avant tout un démonstrateur technologique pour l'Inde, il doit également se livrer à une étude détaillée de l'atmosphère martienne et de la surface de la planète rouge (crédit photo : droits réservés).
L'orbiteur Mangalyaan est structuré autour d'un châssis en forme de cube, auquel est attaché un panneau solaire composé de trois sections, un moteur brûlant de l'hydrazine, et une antenne grand gain (crédit photo : Nesnad).
Emplacement des cinq instruments scientifiques : photomètre Lyman (LAP), caméra (MCC), détecteur de méthane (MSM), spectromètre infrarouge (TIS) et enfin spectromètre de masse (MENCA) (crédit photo : ISRO). Description des principales étapes de la manœuvre d'insertion orbitale. A cause de son passage derrière le globe de Mars, les communications avec la Terre ont été coupées quelques minutes après l'allumage du moteur LAM. Cliquez sur l'image pour l'agrandir (crédit photo : ISRO).
La sonde Mangalyann s'est placée avec succès en orbite autour de Mars dans les premières heures de la nuit du 24 septembre 2014, à l'issue d'une manœuvre propulsive d'une durée de 23 minutes environ (crédit photo : ISRO).
La première image de la surface martienne obtenue par la caméra MCC de la sonde indienne Mangalyaan. On distingue une portion de l'étendue noire de Syrtis Major, située entre les basses plaines du nord et les hauts plateaux du sud. D'un point de vue historique, Syrtis Major a été la première formation jamais aperçue par l'homme à la surface de Mars. Elle fut en effet découverte en 1659 par Christian Huygens. Au moment de la prise de vue, l'altitude était de 7300 km et la résolution spatiale est de 376 mètres par pixel. C'est beaucoup mieux que les premières images de Mariner IV, mais ce n'est pas non plus du HiRISE ! (crédit photo : ISRO).
Le globe martien, imagé par la sonde Mangalyaan le 28 septembre 2014 depuis une altitude de 74500 km, à proximité de l'apoapse. Le centre du disque est occupé par les terrains sombres de Terra Meridiani (site d'atterrissage du rover Opportunity). La région claire d'Arabia Terra est également bien visible juste au-dessus. Une tempête de poussière se développe dans les hautes latitudes nordiques. Grâce à son orbite elliptique, la sonde indienne est actuellement la seule à pouvoir réaliser ce genre de clichés depuis l'orbite (même si la caméra technique VMC de Mars Express peut aussi photographier la planète rouge dans sa globalité). L'image rappelle les photographies réalisées par le télescope spatial Hubble, mais la résolution est bien supérieure (crédit photo : ISRO). |
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