L'exploration spatiale, fenêtre de tir de 1960 et 1962, les premières sondes soviétiques

L'exploration de Mars par les sondes spatiales, entreprise voilà un peu moins de 30 ans, a changé pour toujours notre vision de la planète rouge. Pour la première fois peut être depuis que l'homme a porté son regard vers cet astre mystérieux, la planète Mars apparaissait telle qu'elle était réellement.

Il est parfois difficile à notre époque de se rappeler le peu de choses que l'on connaissait sur Mars avant l'arrivée des sondes. Les télescopes, lunettes, spectromètres, photomètres et autres polarimètres avaient pourtant permis d'amasser quantité de données. Mais au final, on n'en savait que très peu, sans compter que de nombreuses informations étaient tout simplement erronées ou fausses. Si l'on n'accordait plus aucune véracité aux fameux canaux martiens, on était loin de se douter que de nombreuses autres idées tenues pour vraisemblables étaient en fait aussi fausses que les élucubrations fantasmagoriques de Lowell.

De la surface de Mars, on ne connaissait qu'une dichotomie naïve. Mars était découpé, partagé entre d'un côté des régions brillantes et claires, la plupart du temps permanentes et de coloration jaune-orangé, que l'on assimilait à des déserts et de l'autre, des régions sombres, plus diffuses, teintés de bleu ou de vert, que l'on prenait pour des étendues de végétation, après y avoir vu des océans. Une végétation sur Mars ? Aujourd'hui, cette simple idée fait sourire, mais hier encore, on y croyait fermement (on pensait à des végétaux sans chlorophylle, semblables à des lichens). Les calottes polaires devaient être uniquement constituées de glace d'eau (impossible qu'il y fasse assez froid pour que le CO2 se condense) et on ne recensait que trois types de nuages, des jaunes (correctement assimilés à des nuages poussiéreux), des bleus et des blancs. La surface martienne ne semblait pas posséder de reliefs importants, à part peut être quelques montagnes isolées, comme semblait le suggérer la cime enneigée de Nix Olympica. On était loin de se douter que Nix Olympica n'était autre que le plus formidable volcan du système solaire, Olympus Mons (dont le sommet culmine quand même à 26 kilomètres d'altitude !) et que la neige de sa cime n'était pas autre chose que des nuages de glace couronnant son sommet. La pression atmosphérique se comptait en centaines de millibars, le CO2 n'était qu'un constituant mineur et la majeure partie de l'atmosphère martienne devait être formée d'azote (98,5 %).

Tout cela allait être balayé par les sondes spatiales. Ce qui n'ôte rien, bien sûr, au respect que l'on doit accorder aux pionniers de l'étude de la planète Mars. Le livre de Gérard de Vaucouleurs, la physique de la planète Mars, reste un de mes préférés et ma première rencontre avec Audouin Dollfus, personnage mythique d'une époque de légende, est toujours présente dans ma mémoire.

L'histoire de l'exploration spatiale de Mars est un récit fascinant, entre larmes et cris de joie. Les découvertes les plus extraordinaires y côtoient les pires catastrophes. Mars a toujours été une planète difficile à observer au télescope, et elle résiste aussi énormément aux sondes spatiales. Les scientifiques disent pour plaisanter que Mars possède une solide défense aérienne, mais cette métaphore est assez proche de la réalité. Certaines sondes n'ont jamais réussi à s'échapper de la gravité terrestre, et d'autres ont été littéralement foudroyées au sommet de leur gloire, là ou l'on s'y attendait le moins, au moment précis ou elles allaient enfin pouvoir accomplir leur mission, après de nombreuses années d'attente et d'espoir.

Onze seulement des trente engins que nous avons lancé vers la planète rouge ont réussi leur mission. Voici leur histoire.

Les premiers essais soviétiques

L'histoire de l'exploration spatiale de la planète rouge s'ouvre en 1960 avec un premier essai des soviétiques, qui a lieu très peu de temps après le lancement de Spoutnik en octobre 1957, l'événement historique qui marqua le début de la conquête spatiale. Après l'exploit de Spoutnik, les planètes ont vite commencé à attirer l'attention. Très vite, il a été décidé, aussi bien du côté soviétique que du côté américain, de profiter de toutes les opportunités de lancement (qui ont lieu environ tous les 26 mois) pour lancer des assauts vers la planète rouge.

Les soviétiques puis les russes ont toujours été très intéressés par la planète Mars, même si cette dernière n'allait pas les accueillir les bras ouverts. Des défaites cuisantes et humiliantes les attendaient. Rien que sur la série dénommée Mars, aucune des sondes (de Mars 1 à Mars 8) ne remplit complètement sa mission, même si de nombreuses photographies et données furent obtenues. Pour beaucoup d'entres elles, ce fut carrément un échec total.

Nous n'avons encore que très peu d'informations sur les premières missions soviétiques à destination de Mars. Les échecs furent très nombreux au début, et on peut comprendre aisément que les responsables soviétiques n'avaient pas envie de le crier sur les toits. Les informations sont donc malheureusement fragmentaires et peu nombreuses, et j'espère vraiment qu'un jour, toutes les informations que les Russes possèdent sur cette période fascinante seront enfin dévoilées au monde entier.

C'est sans surprise que l'on apprend que le principal responsable des premières sondes n'était autre que le maître de l'astronautique russe, S.P. Korolev, aidé pour l'occasion de M.V. Keldish. Un petit groupe de savants universitaires, mené par A.I. Lebedisky, avait pour mission de concevoir les premiers instruments que l'on embarquerait vers Mars. Tache particulièrement difficile pour ces hommes, qui ne pouvaient pas s'appuyer sur les travaux de leur aînés. L'un des instruments retenus était un photomètre sensé travailler à proximité de la région spectrale centrée sur 3,4 microns. Sinton avait remarqué en 1957 que le spectre de Mars présentait des bandes absorptions caractéristiques dans cette région, et ces bandes étaient alors attribuées à la présence d'une liaison entre un atome de carbone et un atome d'hydrogène (liaison C-H), une liaison abondante dans les composés organiques. Y avait-il de la vie - et en particulier de la végétation - sur Mars ? On n'avait pas encore envoyé une seule sonde la bas que l'on pensait déjà aux instruments capables de la détecter ! De nombreux efforts furent déployés pour concevoir des instruments capables de percer le secret des bandes d'absorption à 3,4 microns, mais en vain, car aucune des premières sondes ne parvient à atteindre Mars. Plus tard, en 1965, on compris que les bandes d'absorption n'avaient rien de martien, mais étaient uniquement dues à la présence d'atomes de deutérium (un isotope de l'hydrogène) dans les molécules de vapeur d'eau de l'atmosphère terrestre !

Le lanceur R7

Les premières sondes soviétiques seront toutes lancées par des fusées de type R7. L'histoire de cette fusée commence avec la mise au point d'un missile intercontinental en 1956 qui donnera ensuite naissance au lanceur R7 Zemiorka à un étage et demi. C'est grâce à cette fusée, conçue par le grand Sergueï Korolev, que le petit satellite Spoutnik se retrouvera en orbite terrestre le 4 octobre 1957. La Zemiorka va être déclinée en plusieurs versions. Avec un petit étage supplémentaire, elle donne naissance au Vostok, puis au Soyouz lorsque cet étage gagne en puissance. Enfin, la version dotée d'un troisième étage permettant à la charge utile d'échapper à la gravité terrestre se nomme Molnya. Retenez bien ce nom, car c'est ce lanceur qui va être employé pour les premières missions soviétiques à destination de Mars, avant son remplacement en 1969 par le lanceur Proton. Comme les soviétiques n'étaient pas particulièrement bavards concernant leurs fusées, les américains ont du élaborer leur propre classification, comme celle du Département de la Defense (DoD) ou celle du Congrès, que l'on appelle également code Sheldom. La fusée Molnya, dont le nom n'est déjà pas banal, apparaît dans ses deux classifications sous un nom passablement compliqué. Pour le DOD, c'est une SL-6. Pour le code Sheldon, c'est une A-2-e. Dans ce dernier code, l'étage de base est affecté d'une majuscule, et le dernier étage d'un chiffre. Une lettre supplémentaire désigne une caractéristique particulière. Ici, le petit e indique que le lanceur est équipé d'un étage de libération pour les missions interplanétaires. Notre Molnya est donc souvent désigné dans la littérature américaine par le signe SL-6/A-2-e. Si vous tombez par hasard là dessus, vous saurez ce que cela signifie !

Marsnik 1 & Marsnik 2, l'une des deux est la première sonde martienne !  Mais laquelle ?

En 1962 l'administrateur de la NASA indiqua que les soviétiques avaient procédés à deux tirs vers Mars le 10 octobre (Marsnik 1) et le 14 octobre 1960 (Marsnik 2), mais des sources russes indiquent maintenant que seule la dernière sonde (celle lancée le 14 octobre) avait bien pour objectif la planète rouge. Impossible de dire avec certitude si cette information est exacte ou non. Historiquement, c'est un problème embêtant. A cause de cette incertitude, nous ne pouvons pas savoir quelle est véritablement la première sonde martienne. On peut juste en conclure qu'elle a été lancée en octobre 1960. Dans le doute, nous considérerons ici que la première sonde lancée le 10 octobre était effectivement à destination de Mars, malgré les dénégations de certains russes.

Marsnik 1 était similaire à la sonde Vénéra 1 lancé en février 1961. C'était un cylindre de 2 mètres de haut doté de deux panneaux solaires enfichés de chaque côté comme des ailes, et d'une antenne grand gain avec un bras pour les communications. Elle pesait 640 kg (sans le carburant) et emportait avec elle une charge scientifique de 10 kg qui comprenait un magnétomètre fixé à l'extrémité d'une perche, un compteur de rayons cosmiques, un détecteur de micrométéorites et un appareil pour l'étude du plasma solaire et des ions. Les expériences portaient en fait surtout sur le domaine de l'astrophysique et l'étude du milieu interstellaire, mais Mars n'était bien sur pas oublié, même si la sonde devait se contenter de survoler la planète à une distance variant entre 3000 et 30 000 km (pas question pour l'instant de se placer en orbite !). Aucune caméra n'était à bord.

Lors du lancement par une fusée de type R7, la pompe du troisième étage ne développa pas assez de poussée pour commencer l'allumage et Marsnik 1 atteint l'altitude de 120 km avant de rentrer à nouveau dans l'atmosphère terrestre, au dessus de la Sibérie orientale. 

Marsnik 2, lancée quatre jours plus tard, subira le même sort. On raconte que Khrouchtchev, qui s'était rendu pour deux jours (le 12 et le 13 octobre) à la tribune des Nations unies, emportait avec lui une maquette des sondes martiennes à montrer au monde si tout se passait bien !

Sputnik 22 (alias Sputnik 29)

Lors de la deuxième période d'opportunité en 1962, trois autres sondes seront lancées vers Mars. La sonde Sputnik 22 prit son envol le 24 octobre 1962 grâce à un lanceur de type R7 et devait uniquement survoler la planète rouge, comme ses compagnes. Ce fut un nouvel échec. On ne sait pas vraiment ce qu'il s'est passé. Le dernier étage du lanceur a peut être explosé lors de la mise en orbite, ou la sonde s'est brisée alors qu'elle rejoignait l'orbite terrestre. Dans les deux cas, de nombreux morceaux sont restés en orbite plusieurs jours avant de redescendre. Le lancement a eu lieu pendant la crise des missiles de Cuba et les américains ont bien cru au départ d'une attaque nucléaire Russe, quand leurs radars ont détecté une concentration importante d'objet en orbite !

Une fusée R7 Soyuz

Pour lancer les premières sondes à destination de la planète Mars, les soviétiques utilisent un lanceur basé sur le modèle R7 Zemiorka, celui la même qui a été conçu par Korolev et qui a lancé le premier satellite artificiel de la Terre en 1957, Spoutnik. La silhouette d'une R7 est reconnaissable entre mille. La base de la fusée est très large par rapport au reste du corps, à cause de la présence de quatre accélérateurs latéraux. La photographie ci-dessus ne montre pas la version Molnya, utilisé par les sondes martiennes, mais la version Soyouz, un peu moins puissante (il manque le troisième étage nécessaire pour les vols interplanétaires), mais tout aussi ressemblante ! (Crédit photo : Starsem).

Mars 1

Le 1er novembre de l'année 1962, soit six mois après le vol de Gagarine, Mars 1 fut lancée depuis Baïkonour par une fusée de type R7. Cette sonde était dérivée du modèle Vénéra utilisé pour l'exploration de la planète Vénus. Elle avait grossièrement la forme d'un cylindre de 1 mètre de diamètre et de 3,3 mètres de haut (pour un poids de 894 kg). Le cylindre était divisé en deux compartiments. Le compartiment supérieur de 2,7 mètres de hauteur comportait le système de guidage et le système de propulsion. L'autre compartiment qui occupait les 60 premiers centimètres en bas du cylindre renfermait les instruments scientifiques. Une antenne parabolique grand gain de 1,7 mètres de diamètre servait aux communications, ainsi qu'une antenne omnidirectionnelle et une antenne semi-directionnelle. L'alimentation en énergie de la sonde était assurée par deux panneaux solaires (de 0,9 mètres x 1,1 mètres) montés de part et d'autre du cylindre comme les ailes d'un avion

Comme charge scientifique, Mars 1 emportait un magnétomètre pour étudier un éventuel champ magnétique martien ainsi que le champ magnétique du milieu interstellaire, des compteurs (à décharge et à scintillation) pour étudier les ceintures de radiations autour de Mars et le spectre des rayons cosmiques, un compteur de micrométéorites et un dispositif photographique. La sonde devait également étudier l'atmosphère et la surface de Mars à l'aide d'un spectrographe (détection des bandes d'absorption de l'ozone) et d'un spectrorefléxomètre (présence de matière organique, étude d'une éventuelle végétation). Son principal objectif était de prendre des photographies de Mars dans différentes couleurs, lors d'un survol à une distance de 11 0000 km.

Le 21 mars 1963, alors que la sonde était à 106 millions de kilomètres de Mars, les communications ont cessé, sans doute à cause d'un dysfonctionnement du système d'orientation du vaisseau. Mars 1 approcha Mars à une distance de 195 000 km le 19 juin 1963, après quoi la sonde s'est placée sur une orbite héliocentrique. 61 contacts radios ont eu lieu pendant la durée de la mission et une grande quantité de données scientifiques a été recueillie, en particulier sur le vent solaire, le champ magnétique, les rayons cosmiques et les pluies de météores (taurides).

Sputnik 24 (alias Sputnik 31)

Le 4 novembre 1962, une mission qui comportait un atterrisseur décolla en direction de la planète rouge grâce à un lanceur de type R7. Après une insertion en orbite correcte, Sputnik 24 ne put quitter l'orbite terrestre. Quelques mois après son insertion, l'altitude de son orbite déclina et la sonde de 890 kg s'abîma dans l'atmosphère terrestre deux mois après son décollage.

Mars 1

Mars 1 a été lancée le 1er novembre 1962. Les panneaux solaires lui donnaient une envergure de 4 mètres. Elle devait non seulement ramener des informations sur l'espace interplanétaire, mais aussi sur Mars, en particulier sur sa surface et son atmosphère. Mars 1 termina sa mission prématurément le 21 mars 1963, bien avant d'avoir rejoint son objectif, à cause d'une panne de la liaison radio (Crédit photo : droits réservés).

Mars 1

La sonde Mars 1 telle que l'on peut l'admirer au Moscow Aviation Institute. Même si Mars 1 n'est pas la première sonde soviétique à s'élancer vers la planète rouge, ce sera en tout cas le premier succès (certes modeste) des russes. Le programme Mars n'a cependant pas été une réussite. Sur les 8 engins appartenant à ce programme, presque tous ont échoué dans leur mission (Crédit photo : droits réservés).

Tableau récapitulatif des missions vers Mars pour 1960 et 1962

Numéro

Date de lancement

Nom(s)

Pays

Lanceur et sonde

Résultat

1

10 octobre 1960 (Baïkonour, complexe LC1)

Marsnik 1, Korabl 4, Mars 1960A 

Drapeau soviétique

Molnya 8K78 s/n L1-4M. Sonde de type Mars (1M s/n 1)
Echec : incapacité à atteindre l'orbite terrestre. Le moteur du troisième étage cesse de fonctionner après 13,32 s de fonctionnement. A T + 300,9 s, le contrôle de mission perd le contrôle du lanceur et ordonne sa destruction à T + 324,2 s.
2 14 octobre 1960 (Baïkonour, complexe LC1) Marsnik 2, Korabl 5, Mars 1960B  Drapeau soviétique
Molnya 8K78 s/n L1-5M. Sonde de type Mars (1M s/n 2)
Echec : incapacité à atteindre l'orbite terrestre. A T +290 s, le moteur du troisième étage ne s'allume pas à cause d'un problème d'alimentation en oxygène liquide.
3 24 octobre 1962 (Baïkonour, complexe LC1) Sputnik 22, Korabl 11, 00443 Drapeau soviétique
Molnya 8K78 s/n T-103-15. Sonde de type Mars (2MV-4 s/n 1)
Echec : incapacité à quitter l'orbite terrestre après l'explosion du dernier étage du lanceur.
4 1er novembre 1962 (Baïkonour, complexe LC1) Mars 1, 1962 Beta Nu 1, Sputnik 30, 00448 Drapeau soviétique
Molnya 8K78 s/n T-103-16. Sonde de type Mars (2MV-4 s/n 2)
Echec : première sonde à quitter véritablement l'attraction terrestre pour partir vers Mars. Perte de la communication le 21 mars 1963 à 106 millions de km de la Terre. Le 19 juin 1963, Mars 1 passe muette à 193 000 km de Mars.
5 4 novembre 1962 (Baïkonour, complexe LC1) Sputnik 24, Korabl 13, Beta Xi 1, 00451 Drapeau soviétique
Molnya 8K78 s/n T-103-17. Sonde de type Vénus (2MV-3 s/n 1)
Echec : premier atterrisseur martien. Incapacité à quitter l'orbite terrestre après l'explosion du dernier étage du lanceur. Retombe sur Terre deux mois après son décollage.

 

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