L'exploration de Mars : fenêtre de tir de 1988, les sondes soviétiques Phobos 1 et Phobos 2

Phobos : Décrocher la lune

Après les résultats désappointant de 1973 et 15 ans d'absence sur la scène martienne, les soviétiques repartent à l'exploration de la planète rouge en 1988 avec deux sondes de nouvelle génération. L'objectif principal des deux engins n'était cependant pas la planète Mars elle-même, mais l'un de ses satellites, qui a d'ailleurs donné son nom aux deux sondes : Phobos.

L'intérêt de la communauté scientifique pour les petits corps (astéroïdes et comètes) du système solaire s'était effectivement fortement accru, et le satellite martien Phobos représentait un objectif de choix. Les petits corps, qui comptent parmi les matériaux les plus primitifs du système solaire, sont des éléments indispensables pour comprendre son origine et son évolution. Or on pense que Phobos n'est rien d'autre qu'un astéroïde errant capturé par le champ gravitationnel de la planète Mars. Phobos présente aussi un avantage non négligeable en terme d'accessibilité. L'énergie à fournir à un engin spatial à destination du satellite martien est bien plus faible que celle nécessaire pour se rendre sur la Lune ou sur Mars. De plus, contrairement aux autres astéroïdes qui se déplacent selon des trajectoires mal définies, il se contente de tourner autour de Mars ! 

De plus le satellite Phobos appartient au système martien et la planète rouge avait été choisie comme fil conducteur pour le programme d'exploration planétaire soviétique après 1990. La mission Phobos était donc un précurseur des prochaines tentatives soviétiques.

Les objectifs des sondes Phobos étaient en fait multiples. Outre l'étude de la surface du satellite martien, les orbiteurs devaient accomplir des objectifs secondaires : étude de l'environnement interplanétaire, observation du soleil, caractérisation de l'environnement plasmatique au voisinage de la planète Mars, étude de la surface et de l'atmosphère martienne.

Les sondes

La conception et la mise au point de la mission Phobos avaient demandé 8 ans et de nombreux changements étaient intervenus en cours de route. Dans un premier temps, les soviétiques avaient envisagé un atterrissage à la surface du satellite. Une manœuvre compliquée mais riche en promesses scientifiques, l'étude in situ de la surface de Phobos pouvant fournir plus de résultats que toutes les analyses menées à distance. Mais l'atterrissage lui-même posait de sérieux problèmes techniques. 

La mission a donc subi une refonte et un scénario incluant un orbiteur et des modules de descente a donc été retenu. Dans un premier temps, Phobos devait se placer autour de Mars sur une orbite elliptique équatoriale. Des manœuvres propulsives devaient ensuite altérer la forme de l'orbite pour la rendre circulaire et la rapprocher sensiblement du satellite Phobos. Enfin, des ajustements très fins étaient effectués pour permettre à la sonde de frôler à de nombreuses reprises la lune martienne à des distances oscillant entre 50 et 100 mètres. Au cours de l'un de ses survols rapprochés, Phobos devait larguer deux petits modules de descente vers la surface du satellite pour y conduire des expérimentations in situ (en particulier l'étude de la composition élémentaire de la surface). Phobos profitait aussi du survol à basse altitude pour vaporiser une partie de la surface de la lune grâce à un faisceau laser (expérience LIMA - D) et un faisceau à ions (expérience DION). Le nuage de matière libéré pouvait ensuite être analysé par des spectromètres de masse présents à bord de l'orbiteur. Cette technique qui consiste à choquer la surface de Phobos puis à voler à travers le nuage libéré pour l'analyser est également employée par la mission Aladdin (même si Aladdin utilise un canon à projectiles plutôt que des faisceaux énergétiques pour perturber la surface).

Les sondes étaient principalement composées d'une section toroïdale pressurisée (renfermant les systèmes électroniques) entourée par un module cylindrique qui supportait les instruments scientifiques. Sous cet ensemble était fixé quatre réservoirs sphériques remplis d'hydrazine. Une fois le moteur principal abandonné, l'hydrazine alimentait les moteurs du système de contrôle d'attitude et servait pour les ajustements orbitaux. Les deux sondes étaient stabilisées sur les trois axes. Des capteurs solaires et stellaires permettaient à la sonde de se repérer dans l'espace. Le système de contrôle d'attitude avait à sa disposition 28 moteurs de manœuvre (24 développant une poussée de 50 Newtons et 4 d'une poussée de 10 Newtons) répartis sur les réservoirs d'hydrazine, le corps de la sonde et les panneaux solaires.

La mission Phobos comportait en fait deux atterrisseurs différents. Le premier, DAS, avait une durée de vie importante (1 année) mais était statique. Une fois la phase d'atterrissage terminée, il ne pouvait plus changer de place. Le second, baptisé Hopper, était beaucoup plus amusant. Sa durée de vie n'était que de quelques jours, mais il pouvait se comporter comme un véritable Zébulon cosmique.  En faisant des bonds à la surface de la lune martienne, il pouvait se déplacer à sa guise. L'amplitude de chaque bond était de 20 mètres au maximum, et notre robot sauteur pouvait en effectuer une dizaine.

Les sondes Phobos comptent encore aujourd'hui parmi les engins les plus lourds jamais lancés à destination d'autres planètes. Chaque sonde pesait 6200 kg, dont 3600 kg pour le système de propulsion et 500 kg pour la charge scientifique. Cette nouvelle génération de sonde comportait des améliorations sensibles par rapport aux sondes soviétiques précédentes (qui adhéraient presque toutes à un même concept). Mais le nouveau n'a pas toujours que des bons côtés et les contrôleurs n'étaient pas vraiment familiarisés avec les changements apportés sur les sondes Phobos, ce qui a conduit à des erreurs fatales.

La charge scientifique

La plupart des instruments scientifiques étaient présent sur les deux sondes, mais certains n'étaient embarqués qu'en un seul exemplaire, sur Phobos 1 ou sur Phobos 2. La charge scientifique des sondes Phobos était en bonne partie internationale et de nombreux pays avaient participé à la mission : l'Autriche, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Finlande, l'Allemagne, la France, la Hongrie, l'Irlande, la Pologne, la Suède, la Suisse, les Etats-Unis, sans compter l'Agence Spatiale Européenne.

Liste des instruments des orbiteurs Phobos

Nom Description
ASPERA (Suède, URSS, Autriche) Etude du vent solaire, de l'environnement plasmatique et du champ magnétique : Détermination de la composition ionique du plasma, distribution électronique, structure et dynamique de la magnétosphère (cet instrument a retourné des résultats)
SOVIKOMS (Allemagne, URSS) Etude du vent solaire, de l'environnement plasmatique et du champ magnétique : Spectromètre pour l'étude de l'énergie, de la masse, de la charge de certaines particules et des caractéristiques spatiales du plasma (cet instrument a retourné des résultats)
HARP (Hongrie) Etude du vent solaire, de l'environnement plasmatique et du champ magnétique : Spectromètre pour l'étude de l'énergie et de la distribution des ions et des électrons (cet instrument a retourné des résultats)
TAUS (Allemagne, URSS) Etude du vent solaire, de l'environnement plasmatique et du champ magnétique : Appareil pour l'étude de la direction et de la vitesse des protons, des particules alpha et des ions lourds (cet instrument a retourné des résultats)
APV-F (URSS, ESA, Pologne) Etude du vent solaire, de l'environnement plasmatique et du champ magnétique : Analyseur de plasma, détermination de la densité plasmatique et  du spectre des fréquences des ondes électrostatiques et électromagnétiques (cet instrument a retourné des résultats)
FMGG (Allemagne, URSS) Etude du vent solaire, de l'environnement plasmatique et du champ magnétique : Magnétomètre pour l'étude du champ magnétique à proximité de Mars (cet instrument a retourné des résultats)
MAGMA (Autriche) Etude du vent solaire, de l'environnement plasmatique et du champ magnétique : Magnétomètre pour l'étude du champ magnétique à proximité de Mars (cet instrument a retourné des résultats)
RF-15 (Tchécoslovaquie, USS) Etude du soleil et des rayons cosmiques : Analyseur pour l'étude des rayons X et gamma émanant du soleil (cet instrument a retourné des résultats)
SURF (URSS) Etude du soleil et des rayons cosmiques : Photomètre ultraviolet (cet instrument a retourné des résultats)
IPHIR (Suisse) Etude du soleil et des rayons cosmiques : Photomètre de haute précision (cet instrument a retourné des résultats)
TEREK (URSS, Tchécoslovaquie) Etude du soleil et des rayons cosmiques : Coronographe présent uniquement sur Phobos 1 pour l'étude de la couronne solaire dans le domaine du visible et des rayons X (cet instrument a retourné des résultats)
LET (ESA, URSS, Hongrie) Etude du soleil et des rayons cosmiques : Analyseur pour l'étude des particules de haute énergie des rayons cosmiques (cet instrument a retourné des résultats)
SLED (URSS, Allemagne) Etude du soleil et des rayons cosmiques : Analyseur pour l'étude des particules de basse énergie des rayons cosmiques (cet instrument a retourné des résultats)
VGS APEX (France, investigateur principal C. Barat et URSS) Etude du soleil et des rayons cosmiques : Analyseur pour l'étude des bouffées de particules de haute énergie en provenance du soleil et des sursauts gamma du milieu galactique, entre 100 KeV et 10 MeV (cet instrument a retourné des résultats)
LILAS (France, investigateur principal C. Barat et URSS) Etude du soleil et des rayons cosmiques : Analyseur pour l'étude des bouffées de particules de basse énergie en provenance du soleil et des sursauts gamma du milieu galactique entre 3 KeV et 1 MeV (cet instrument a retourné des résultats)
GS-14 (URSS) Etude de Phobos et de Mars : Spectromètre gamma rayons X pour l'étude de la composition élémentaire de surface (cet instrument a retourné des résultats)
IPNN (URSS) Etude de Phobos et de Mars : Spectromètre à neutrons pour la recherche de l'eau en surface. Cette expérimentation était spécifique de Phobos 1 et n'a donc pas retourné de résultats, suite à la perte de la sonde pendant le trajet entre la Terre et Mars. 
VSK (URSS, Bulgarie, Allemagne) Etude de Phobos et de Mars : Système video-spectrométrique (caméra TV et spectromètre), cartographie de la surface dans trois longueurs d'onde (cet instrument a retourné des résultats)
ISM (France, investigateur principal J.P. Bibring) Etude de Phobos et de Mars : Spectromètre travaillant dans le domaine du proche infrarouge pour réaliser une étude minéralogique de surface, déterminer les altitudes et mesurer la pression atmosphérique (cet instrument a retourné des résultats)
KRFM (URSS) Etude de Phobos et de Mars : Instrument rassemblant un radiomètre fonctionnant dans l'infrarouge thermique et un photomètre travaillant dans le domaine du visible et de l'ultraviolet pour l'étude de la température, de l'inertie thermique et des propriétés photométriques de la surface (cet instrument a retourné des résultats)
TERMOSCAN (URSS) Etude de Phobos et de Mars : Radiomètre fonctionnant dans l'infrarouge thermique pour la cartographie des températures de surface (cet instrument a retourné des résultats)
AUGUSTE (France, investigateur principal J. Blamont et URSS) Etude de l'atmosphère martienne : Spectromètre ultraviolet et proche infrarouge pour l'étude de l'atmosphère, en particulier des aérosols, lors des occultations solaires (cet instrument a retourné des résultats)
LIMA-D (URSS, Finlande, Allemagne) Etude de la surface de Phobos : Ensemble composé d'un spectromètre de masse et d'un canon laser pour l'étude de la composition élémentaire de la surface de Phobos. Le canon devait arracher énergiquement des particules de la surface pour permettre leur analyse ultérieure par le spectromètre de masse (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car la sonde Phobos 2 a été perdue quelques jours avant le survol rapproché de Phobos)
DION (URSS, France, investigateur principal M. Hammelen et Autriche) Etude de la surface de Phobos : Ensemble composé d'un spectromètre de masse et d'un canon à ions pour l'étude de la composition élémentaire de la surface de Phobos. Le canon devait arracher énergiquement des particules de la surface pour permettre leur analyse ultérieure par le spectromètre de masse (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car la sonde Phobos 2 a été perdue quelques jours avant le survol rapproché de Phobos)
RLK (URSS) Etude de la surface de Phobos : Radar pour l'étude du sous-sol martien (cet instrument a retourné des résultats)
GS-14 (URSS) Etude de la surface de Phobos : Spectromètre gamma rayons X pour l'étude de la composition élémentaire de surface (cet instrument a retourné des résultats)

Liste des instruments de l'atterrisseur statique (DAS)

Nom Description
Caméra TV (France, investigateur principal J. Blamont et URSS) Etude de la surface de Phobos : Caméra pour l'étude de la microstructure des couches de surface (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur DAS)
ALPHA-X (Allemagne, URSS) Etude de la surface de Phobos : Spectromètre alpha rayons X pour l'étude de la composition élémentaire de la surface de Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur DAS)
LIBRATION (France, investigateur principal J. Blamont et URSS) Etude de Phobos : capteur solaire pour mesurer avec précision la position du soleil dans le but d'étudier le mouvement de libration de Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur DAS)
Sismomètre (URSS) Etude de Phobos :  Sismomètre pour l'étude de la structure interne de Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur DAS)
Mécanique Céleste (USA, URSS, France, investigateur principal J. Blamont) Etude de Phobos :  Expérience de mécanique céleste pour la détermination précise du mouvement de Phobos sur son orbite (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur DAS)

Liste des instruments de l'atterrisseur sauteur (Hopper)

Nom Description
Spectromètre rayons X Etude de la surface de Phobos : Spectromètre à fluorescence rayons X similaire dans son fonctionnement à celui des sondes Viking pour l'étude de la composition élémentaire de la surface de Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur Hopper)
Magnétomètre Etude de la surface de Phobos : Magnétomètre pour l'étude du champ magnétique et de la perméabilité du sol de Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur Hopper)
Gravimètre Etude de la surface de Phobos : Gravimètre pour l'étude du champ de gravité sur Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur Hopper)
Capteurs de température Etude de la surface de Phobos : Ensemble de capteurs pour mesurer la température à la surface de Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur Hopper)
Conductimètre Etude de la surface de Phobos : Appareil pour étudier la conductivité électrique du sol de Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur Hopper)
Capteurs mécaniques Etude de la surface de Phobos : Ensemble de capteurs pour l'étude des propriétés mécaniques de la surface de Phobos (cet instrument n'a malheureusement jamais pu retourner de données car les sondes Phobos ont été perdues avant de pouvoir larguer l'atterrisseur Hopper)

La mission

Phobos 1

Phobos 1 décolle du cosmodrome de Baïkonour le 7 juillet 1988. Le vol vers Mars s'effectue sans problème notable jusqu'au 2 septembre 1988 ou les communications sont brutalement interrompues. Malgré des tentatives désespérées pour reprendre le contact avec la sonde, Phobos 1 restera muette à jamais.

Une étude ultérieure va révéler qu'une erreur humaine est à l'origine de la perte de la sonde. Le 29 et le 30 août, Phobos 1 avait effectivement reçu un fichier de commandes destiné à l'un de ses instruments scientifiques. Malheureusement, les commandes furent mal interprétées par l'ordinateur de bord, et celle-ci désactiva les moteurs de manœuvre du système de contrôle d'attitude. Incapable de conserver sa position dans l'espace, la sonde a commencé à tournoyer lentement sur elle-même et les panneaux solaires ont perdu leur orientation vis à vis du soleil. Devenue incapable de profiter de l'énergie solaire, la sonde a épuisé les ultimes réserves énergétiques contenues dans ses batteries avant de se taire à jamais.

Aujourd'hui, lorsqu'un évènement inhabituel survient (réception d'un jeu de commandes erroné, déséquilibre provoquée par une micrométéorite), les sondes spatiales se placent d'elles-mêmes dans un mode de sauvegarde : l'engin stoppe immédiatement toutes ses activités, oriente ses panneaux solaires dans la direction du soleil pour pouvoir continuer à alimenter ses systèmes de bord en énergie, puis attend patiemment des instructions de la Terre. Aux ingénieurs d'analyser la situation, de corriger une éventuelle erreur, et de sortir la sonde de son mode de veille. Malheureusement pour elle, Phobos n'avait pas été conçue pour se comporter de la sorte en cas d'anomalies critiques ...

Phobos 2

Phobos 2 décolle le 12 juillet 1988, soit 5 jours après sa sœur jumelle et fonctionne correctement pendant sa phase de croisière vers Mars. Elle atteint la planète rouge le 29 janvier 1989 et s'insère avec succès sur une orbite elliptique caractérisée par une période de révolution de 79,2 heures, un périapse de 865 km et une excentricité de 0,903.

Depuis cette première orbite, Phobos 2 commence à observer la planète Mars et à étudier son environnement plasmatique. Au milieu du mois de février, l'orbite est modifiée à deux reprises et la sonde se positionne sur une orbite pratiquement circulaire située un peu à l'extérieur de l'orbite du satellite martien. L'étude de Mars continue tandis que la sonde obtient ses premières images de la lune Phobos. Trois corrections supplémentaires placent l'engin soviétique sur une orbite synchrone avec Phobos, à une distance qui varie entre 200 et 600 km. Mais le 27 mars, alors que la sonde s'apprête à accomplir la phase cruciale de sa mission, c'est à dire le survol du satellite Phobos à moins de 50 mètres et la libération des deux atterrisseurs, le contact est brutalement perdu.

Pour déterminer l'orbite de la lune Phobos et se caler dessus, la sonde naviguait entre autre à vue, en utilisant sa caméra. Lors des prises de vues, les panneaux solaires n'étaient plus orientés vers le soleil, et Phobos fonctionnait sur batteries. A intervalles réguliers, la sonde devait alors pivoter pour amener ses panneaux solaires en face du soleil et recharger ses batteries. On pense que lors de la dernière manœuvre de navigation, la sonde fut frappée par une bouffée de particules émises par une éruption solaire, qui provoqua un dysfonctionnement du calculateur de bord et une coupure des communications avec le vaisseau. Comme dans le cas de Phobos I, la sonde épuisa rapidement ses batteries et s'éteignit définitivement.

Résultats scientifiques

Malgré la perte de Phobos 2 au point culminant de sa mission, de nombreux résultats significatifs ont été collectés pendant les 52 jours passés en orbite martienne et la mission ne peut pas être qualifiée d'échec, mais si nous sommes loin d'un succès complet à l'américaine (comme celui des Viking). L'édition du 19 octobre 1989 de la célèbre revue scientifique Nature présentait 14 articles scientifiques discutant des résultats préliminaires obtenus par Phobos 2. Le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) avait organisé au mois d'octobre 1989 un symposium international ou de nombreux papiers ont été présentés, même si les résultats étaient une fois encore préliminaires.

A la fin des manœuvres de correction orbitale qui ont eu lieu le 21 mars, Phobos 2 était si prés du satellite martien que des perturbations gravitationnelles ont commencé à se faire sentir. L'orbite de la sonde a été légèrement modifiée, ce qui a permis de déduire avec précision la masse de la lune martienne. Ayant la masse, il était ensuite aisé d'obtenir la densité, qui s'est révélée plus faible que prévue. La densité de Phobos est en effet inférieure à celle des astéroïdes de la classe des chondrites carbonées et son intérieur doit être soit plus ou moins poreux soit riche en glace. Rappelons que Phobos et Deimos sont sans doute des astéroïdes capturés par la planète Mars et que leur composition doit être proche de celle des corps de la ceinture d'astéroïde dont ils sont issus.

Une analyse spectrale de la surface de Phobos a été obtenue à la fois par le KRFM avec une résolution spatiale de 1 km et par l'ISM. Aucun des deux spectres ne concordait avec celui des chondrites carbonées. Des hétérogénéités assez importantes ont été mises en évidence par les deux instruments, et la composition de la surface de Phobos serait donc moins homogène que prévu. LE KRFM a également permis de mesurer les températures à la surface de Phobos ainsi que l'inertie thermique de la surface.

Le système d'imagerie de Phobos 2 a pris 37 photographies de bonne qualité à une distance variant entre 200 et 1000 kilomètres. Ces images sont venues compléter celles obtenues par les sondes américaines Mariner 9 et Viking. La résolution des meilleurs clichés atteint 40 à 80 mètres par pixel. Ceux ci couvrent en particulier une région située à l'est du cratère Stickney.

Le radiomètre à balayage TERMOSKAN a obtenu des images de la surface martienne dans le domaine de l'infrarouge, qui ont été par la suite couplées à des images prises dans le domaine du visible. La plupart des régions équatoriales de la planète ont été cartographiées avec une résolution spatiale de 2 km. Les images infrarouges montraient en général les mêmes caractéristiques de surface que les photographies classiques, mais avec un meilleur contraste, ce qui illustre l'importance du voile atmosphérique pour les observations de surface. Ce voile, qui recouvre pratiquement en permanence les terrains martiens, absorbe une certaine partie de la lumière visible tout en restant transparent aux infrarouges.

Le spectromètre infrarouge ISM a collecté de son côté des images multispectrales de la planète Mars. Ce spectromètre extrêmement puissant était utilisé pour la première fois dans une mission d'exploration planétaire. Pour chaque pixel au sol, il pouvait enregistrer 128 pixels spectraux ! La résolution spatiale variait de 5 km lorsque Phobos 2 parcourait son orbite d'insertion elliptique à 30 km pour l'orbite circulaire. Ce spectromètre a effectué une cartographie minéralogique assez complète des régions équatoriales et il a observé pratiquement toutes les formations géologiques de la planète rouge (comme Valles Marineris ou les volcans du dôme de Tharsis), à l'exception des pôles. En utilisant la bande d'absorption à 2 microns du dioxyde de carbone, une carte du relief martien a pu être produite (le CO2 constitue la majeure partie de l'atmosphère martienne, et la quantité observée est proportionnelle à la hauteur de la couche d'air situé entre la sonde et le sol, donc à la hauteur des reliefs martiens).

Le KRFM s'est livré à une étude de l'atmosphère martienne et a obtenu des informations importantes : profils verticaux de température, composition des nuages, importance des aérosols.

Lors des quatre premiers passages au périapse (le point de l'orbite ou la sonde est la plus proche de Mars), les deux spectromètres gamma rayons X GS-14 et VGS ont étudié la faible émission gamma de la surface, ce qui a permis d'identifier sans ambiguïté du potassium, de l'uranium et du thorium au sein de la croûte martienne. D'autres éléments comme le fer, l'aluminium, le silicium, le calcium et le titane sont vraisemblablement présents. Les résultats concordent largement avec ceux obtenus lors de l'analyse chimique inorganique du sol martien par le spectromètre à fluorescence XRFS des atterrisseurs Viking. De plus, l'abondance du potassium, de l'uranium et du thorium est pratiquement la même que celle mesuré par le spectromètre gamma rayons X de l'orbiteur soviétique Mars 5.

La seule étude spécifiquement atmosphérique a été menée par le spectromètre AUGUSTE, qui fonctionnait dans deux domaines spectraux : ultraviolet-visible et infrarouge. Ce spectromètre observait la disparition et la réapparition progressive du soleil à travers l'atmosphère martienne lors des occultations, ce qui lui a permis d'étudier entre autre les propriétés de la couche d'ozone dans le spectre ultraviolet et les variations d'altitude dans l'infrarouge.

Enfin, Phobos 2 a mené à bien l'une des études les plus complètes à ce jour sur l'interaction entre le vent solaire et le champ magnétique martien. Il a obtenu de nouvelles informations sur des éléments clés comme la magnétopause, l'onde de choc, la queue magnétosphérique. Un nouveau processus de déperdition atmosphérique, c'est à dire de fuite d'éléments dans l'espace, a été découvert.

L'orbiteur ne s'est cependant pas approché assez prés de la surface martienne pour répondre avec certitude à la question suivante : le champ magnétique observé provient-il de la planète Mars ou du milieu interplanétaire (depuis, le magnétomètre de Mars Global Surveyor a largement contribué à répondre à cette question).

En guise de conclusion

Les russes n'ont jamais renoncé à l'étude de Mars, et encore moins à celle du satellite Phobos. A la fin de l'année 1999, ils ont dévoilé un nouveau projet de mission automatique vers la lune martienne, Phobos Grunt. Lancée par une fusée Soyouz (bien moins coûteuse que la fusée Proton utilisée pour Phobos 1 et Phobos 2) en décembre 2004, la sonde serait propulsée par un moteur à ions similaire à celui qui équipe le démonstrateur technologique américain Deep Space 1. Après un voyage de 28 mois, la sonde effectuerait un atterrissage sur Phobos avant de creuser la surface et de ramener quelques centaines de grammes d'échantillons sur Terre en avril 2008. Mais avec un coût de 120 millions de dollars et une industrie spatiale qui est loin d'être au meilleure de sa forme, la mission reste très hypothétique. Les chances sont donc minces de la voir se concrétiser sans une aide extérieure significative.

Sonde Phobos

En 1988 les soviétiques repartent à l'assaut de Mars en lançant deux sondes jumelles, Phobos 1 et Phobos 2. Comme le nom l'indique, l'objectif principal des deux engins était l'étude du satellite martien Phobos, mais ils devaient également réaliser des observations de Mars, du soleil et du milieu interplanétaire. Les orbiteurs Phobos emportaient avec eux deux atterrisseurs qui devaient se poser sur la surface noire de la lune martienne. On distingue sur cette photographie les deux panneaux solaires qui s'étendent de chaque côté du corps de la sonde, la parabole de l'antenne grand gain au sommet et les quatre réservoirs sphériques de propergols blancs (Crédit photo : CNES/David Ducros).

Survol du satellite Phobos

Dessin d'artiste représentant le survol du satellite Phobos à une distance d'environ 50 mètres. La sonde Phobos martyrise la surface de la lune martienne avec des canons dignes des vaisseaux de la Guerre des Etoiles (Crédit photo : CNES/David Ducros).

Tir d'un faisceau ionique vers Phobos

La Terre attaque Phobos ! Dessin d'artiste représentant un orbiteur Phobos en train de lâcher une salve d'ion vers la surface de la lune martienne. Les deux sondes comportaient chacune un canon à ions (DION) et un canon laser (LIMA-D) pour égratigner la surface de Phobos et arracher un nuage de particules. La traversée de ce nuage de poussière permettait ensuite à un spectromètre de masse d'analyser le sol pour en déduire sa composition (Crédit photo : droits réservés).

Le largage des atterrisseurs

Le survol était également l'occasion pour la sonde Phobos de largueur deux atterrisseurs à la surface du satellite : un petit robot sauteur (à droite) et une grosse station immobile (à gauche) (Crédit photo : CNES/David Ducros).

Le gros atterrisseur de Phobos

L'atterrisseur DAS était statique, mais possédait une durée de vie importante. Il pouvait communiquer directement avec la Terre, qui aurait eu ainsi sa première station scientifique sur le satellite Phobos (Crédit photo : CNES/David Ducros).

Ejection du Hopper

Dessin d'artiste représentant la sonde soviétique Phobos 2 en train de larguer vers la surface du satellite martien le petit module sauteur (baptisé Hopper), alors que la calotte polaire sud martienne se dessine au loin. Malheureusement la sonde Phobos 2 fut perdue quelques jours avant le survol rapproché du satellite martien et le petit module d'atterrissage n'a donc jamais atteint sa surface (Crédit photo : droits réservés).

Le module sauteur de Phobos

Hopper, l'un des atterrisseurs de la mission Phobos, n'avait pas une grande durée de vie, mais il avait été conçu pour réaliser quelque chose d'absolument unique. Non content de se poser sur le sol noir et poussiéreux de la lune martienne Phobos, il pouvait en plus s'y déplacer en effectuant une série de bonds, tel un Zébulon des temps modernes ! Il communiquait avec la sonde Phobos par l'intermédiaire d'une antenne radio (Crédit photo : droits réservés).

Phobos vue par la sonde soviétique Phobos !

Phobos 2 a récolté quelques 37 images de bonne qualité de la lune martienne au cours de ces 52 orbites autour de la planète rouge. Malgré la perte de la sonde au point culminant de la mission (le survol rapproché de Phobos et le largage des atterrisseurs), les résultats acquis sont tout à fait significatifs et la mission ne peut pas être qualifiée d'échecs, un terme qui caractérise pourtant bon nombre de tentatives soviétiques et russes (Crédit photo : Ted Stryk 2004).

Images de Phobos obtenues par la caméra Fregat

Vues du satellite Phobos obtenues par la caméra Fregat de la sonde soviétique Phobos 2 (Crédit photo : droits réservés).

ISM

Donnés spectrales de la surface de Phobos enregistrées par l'instrument ISM. La sonde Phobos 2 aurait observé une activité ténue de dégazage à la surface de la lune martienne (Crédit photo : droits réservés).

Carte minéralogie de Valles Marineris

Malgré une fin tragique, la mission Phobos a retourné des résultats intéressants, comme cette carte minéralogique de Valles Marineris obtenue par le spectromètre proche infrarouge ISM. En tout, cet instrument a recueilli 30 000 spectres infrarouges des régions équatoriales martiennes (avec des résolutions de 7 à 25 km/pixel) et 400 spectres du satellite Phobos (avec des résolutions de 700 mètres/pixel). Il a fourni d'importantes informations sur la minéralogie de surface et l'atmosphère de Mars (Crédit photo : IAP).

Tableau récapitulatif des missions vers Mars pour l'année 1988

Numéro

Date de lancement

Nom(s)

Pays

Lanceur et sonde

Résultat

25 7 juillet 1988 (Baïkonour, complexe LC200L) Phobos 1
Drapeau soviétique

Proton 8K82K s/n 356-02 + 11S824F s/n 2L. Sonde de type 1F s/n 101

Echec : perte de contact entre le 31 août et le 2 septembre 1988 après une erreur humaine.
26 12 juillet 1988 (Baïkonour, complexe LC200P) Phobos 2 Drapeau soviétique
Proton 8K82K s/n 356-01
+ 11S824F s/n 1L. Sonde de type 1F s/n 102
Demi Echec : mise en orbite le 29 janvier 1989, perte de contact le 27 mars 1989 alors que la sonde s'apprête à effectuer son premier survol du satellite Phobos. Avant sa disparition, la sonde avait décrit 52 orbites autour de la planète Mars, ce qui explique que la mission ne soit pas un échec et que des résultats significatifs aient été collectés.

 

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