Mars Blanche

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Note : 3.5 etoiles
Auteur :
Brian Aldiss
Editeur
: Métailié
Parution : 2000 (2001 pour cette édition)
Epaisseur : 319 pages

Mars Blanche de Brian Aldiss Nous sommes en 2041, et l'exploration martienne bat son plein. Chapeautés par une multinationale, EUPACUS, les vols se multiplient à destination de la planète rouge, rapidement considérée comme un sanctuaire entièrement dédié à la science, comme a pu l'être sur Terre le continent antarctique (d'où le terme de Mars Blanche). Jusqu'au jour ou EUPACUS est impliquée dans un scandale financier, qui aboutira à court terme à l'effondrement total de l'économie mondiale ...

Sur Mars, une petite colonie de 6000 personnes se retrouve totalement coupée du monde. Cet isolement géographique non désiré peut-il être mis à profit pour engendrer une spéciation sociétale, une société plus égalitaire que toutes celles jamais inventées sur Terre, et conduite par des hommes enfin doués de raison ? C'est le défi que vont se lancer les martiens de Brian Aldiss. "Un peuple formidable et sage, circonspect, audacieux, inventif, aimant, juste. Des gens qui méritent d'exister", selon les propres mots du leader Tom Jefferies.

Mars Blanche est un roman très particulier, qui tente de se démarquer des autres récits d'anticipation se déroulant sur Mars. Le rythme y est très lent, et les amateurs d'action devront passer leur chemin. La plus grande partie du roman est consacré aux récits détaillés des débats ayant lieu entre les différents membres des colonies martiennes, qu'ils se déroulent à huit clôt ou au cours de conférences publiques. Au cours de l'une des réunions les plus importantes (et qui rappelle par certains aspects la conférence de Dorsa Brevia de Mars la Verte), les colons dressent une liste intéressante des calamités de nos sociétés : homogénéisation des cultures, arrogance des activités humaines, consumérisme à outrance, fossé toujours plus profond entre nanti et démuni, fardeau apporté par la vieillesse et la jeunesse, etc. Nos apprentis utopistes s'interrogent ensuite sur les éléments à garder, les points à renforcer (l'éducation) ou les archaïsmes à éliminer (la religion ?), la position à adopter face à la sexualité ou la violence ... Jamais ennuyeux, souvent intéressants, parfois passionnants, ces discours ou chacun refait le monde semblent cependant curieusement distants, comme si toute l'histoire était contée aux travers des brumes d'un rêve, comme si les personnages ne se sentaient pas réellement impliqués.

De part le sujet traité, le roman de Brian Aldiss est d'une certaine manière aussi ambitieux que la trilogie de Kim Stanley Robinson, même s'il ne parvient jamais à se hisser au niveau de cette dernière. C'est d'autant plus regrettable qu'Aldiss avait choisi d'aller à l'encontre de la terraformation, qui représente le thème central de Mars la rouge, Mars la verte et Mars la bleue (Brian Aldiss est d'ailleurs le président de l'APIUM, association pour la protection et l'intégrité d'une planète Mars intacte, qui milite comme son nom l'indique pour la préservation de la planète rouge). La transformation de la planète est dès le début jugée néfaste, à la fois d'un point de vue éthique, mais aussi d'un point de vue pratique. Les scientifiques désirent effectivement mener sur Mars une expérience grandiose, totalement incompatible avec l'agitation des sociétés terriennes et lunaires. Les sources de vibration doivent être réduites au minimum, et Mars semble être le seul endroit accessible et suffisamment calme du système solaire ...

Cette recherche de la tâche oméga, qui apportera une réponse universelle aux mystères de l'Univers et dont la découverte marquera en quelque sorte "la fin de la physique", donne lieu à des passages sur la physique quantique particulièrement ardus, voire incompréhensibles. Les références aux travaux de Roger Penrose, qui a co-écrit ce roman avec Brian Aldiss, sont nombreuses. Physicien et mathématicien de renom, Roger Penrose est connu pour ses travaux liant conscience et mécanique quantique. Si le sujet est diablement intéressant, on pourra regretter qu'à aucun moment, les deux auteurs ne se donnent la peine d'expliquer les théories auxquelles ils semblent faire souvent référence.

Plus regrettable encore est le fait que le roman soit parfois scientifiquement inexact, malgré la caution de Roger Penrose. Erreur dans des équations chimiques, géographie martienne approximative (qui sait ou se trouve Arizonis Planitia ?), le lecteur attentif pourra facilement trouver plusieurs maladresses qui finissent par devenir agaçantes (*). Certes, Mars Blanche est plus un essai philosophique qu'un roman de hard-science, mais au vu du background de ses deux auteurs, on était en droit de s'attendre à mieux. D'un point de vue scientifique, le scénario est également parfois bancal, et l'on aura bien du mal à comprendre l'intérêt très tardif des chercheurs pour certains phénomènes aussi énigmatiques que celui des veilleurs.

Malgré ses imperfections, Mars Blanche est un roman très agréable à lire. Derrière les belles et grandes idées de ses protagonistes (qu'ils soient leader comme Tom Jefferies ou simplement acteurs comme Can Hai) se cache le spectre d'un échec retentissant. L'idée d'un nouveau départ, le rêve d'une société utopique bâtie sous le règne de la raison et qui s'affranchirait des grands maux de l'humanité n'est bien sûr pas nouvelle. Tout l'attrait du roman est de savoir comment cette tentative, qui a lieu non pas sur Terre mais sur une planète étrangère, va finir. Heureusement, et contrairement à ce que l'on pourrait être tenté de croire à la lecture des premiers chapitres, Brian Aldiss et Roger Penrose se montrent très critiques envers la nature humaine, qui porte en elle, que cela nous plaise ou non, les germes de la déraison. La conclusion d'Aldiss est claire comme du cristal : si le roman est par moment un appel vibrant à la solitude et à la méditation loin des foules et du bruit, seule, l'humanité est purement et simplement condamnée ...

Riche, érudite et attachante, Mars blanche est une oeuvre indispensable, à condition de ne pas y chercher les ingrédients que l'on trouve traditionnellement dans d'autres romans de SF martienne.

(*) si les bourdes scientifiques sont pardonnables, les nombreuses coquilles qui émaillent le texte le sont moins, surtout venant d'une maison d'édition comme Métailié.

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