Chroniques martiennes

Tirs groupés

Jeudi 10 juillet 2003
Position orbitale des quatre sondes de 2003 : Mars Express (et son atterrisseur Beagle 2), Spirit, Nozomi et Opportunity

Aucune autre image ne résume mieux la situation que celle offerte par la NASA sur l'un de ses nombreux sites : une simple petite vignette, sur laquelle figurent les trajectoires et la position des quatre nouvelles sondes martiennes lancées par l'homme...

Evoluant fièrement à la tête du bataillon se trouve Mars Express, la première sonde martienne de l'Europe. Ce petit orbiteur doit sa position privilégiée à un départ sans faute le 2 juin 2003. Malheureusement, un mois seulement après avoir quitté Baïkonour à bord d'un lanceur Soyouz, Mars Express a déjà subi un sérieux revers en perdant une part importante de la plus précieuse ressource des robots spatiaux : l'énergie. Une connexion défectueuse entre les panneaux solaires et une unité de distribution énergétique prive effectivement l'orbiteur de 30 % de la puissance électrique sur laquelle il était en droit de compter. Si sa mission n'est pas remise en question, l'avarie n'en est pas moins inquiétante.

Les orbiteurs n'ayant guère l'attention du public, Mars Express est vraisemblablement condamné à un certain anonymat, même si la sonde embarque avec elle deux instruments, une caméra à haute résolution et un radar, qui pourraient bien faire rapidement parler d'eux. Pour capter l'attention des terriens, Mars Express dispose cependant d'une arme secrète. Un petit atterrisseur britannique, Beagle 2,  est effectivement riveté sur le dos de la sonde, attendant sagement que cette dernière soit suffisamment proche de la planète rouge pour être éjecté vers la surface martienne. Beagle 2 ne cache pas ses ambitions de devenir, 27 ans après les sondes Viking, l'engin à qui l'on devra la découverte d'une vie sur Mars.

Talonnant de près Mars Express se trouve ensuite le rover américain Spirit. Lancé une semaine seulement après son rival, le 10 juin 2003, ce robot géologue tout terrain doit se poser dans le cratère Gusev, une vaste dépression excavée à la surface de Mars par l'impact d'un astéroïde et d'une comète, et qui a vraisemblablement été remplie telle une piscine il y a des milliards d'années par les flots d'un fleuve martien. Le 4 janvier 2004, date de son plongeon vers la surface martienne, Spirit tentera d'effacer l'échec de son malheureux prédécesseur, l'atterrisseur Mars Polar Lander, qui s'est évanoui sans laisser de traces le 3 décembre 1999 au-dessus des étendues gelées de la calotte polaire sud.

Vient ensuite Nozomi, véritable kamikaze de l'espace. Lancée le 4 juillet 1998 depuis le cosmodrome japonais de Kagoshima, cette sonde a eu plus que sa part d'ennuis. Frappée en plein coeur par une avarie touchant le système de propulsion lors d'une manoeuvre à proximité de la Terre, Nozomi n'a pas réussi à se placer sur la bonne trajectoire. Forcée d'effectuer un long détour de 4 années dans le système solaire pour pouvoir rejoindre sa destination, Nozomi fut ensuite victime d'une éruption solaire, qui dévasta quelques-uns de ses précieux systèmes électroniques de bord. Encadrée par les deux rovers américains, escorte impuissante à ses malheurs, Nozomi n'est plus qu'un tas de ferraille qui fait peur. De nombreux ingénieurs s'interrogent effectivement sur sa capacité à s'insérer en orbite martienne. Si la sonde vient à rater cette manoeuvre cruciale, elle pourrait s'écraser sur la planète rouge, contaminant alors sa surface. Plus important encore, la sonde n'est pour l'instant pas en état de faire fonctionner le moindre de ses instruments. A quoi cela servirait-il de tenter une mise en orbite, avec tous les risques que cela comporte, si l'engin demeure aveugle une fois sur place ? Les japonais, conscients de cette situation délicate, n'excluent pas de dérouter si nécessaire la sonde vers l'espace interplanétaire, où elle se perdra alors pour toujours.

Quant au vaisseau qui ferme la marche, il s'agit du rover Opportunity, dont le départ, repoussé maintes et maintes fois à cause d'ennuis techniques sur le lanceur, a finalement eu lieu le 9 juillet 2003. Frère jumeau de Spirit, Opportunity est lui aussi un géologue. Il atterrira cependant aux antipodes du site affecté à son sosie, une plaine norme et désolée, où l'eau a laissé un indice de son passage lointain sous la forme d'un vaste dépôt d'oxyde de fer.

Ce tir groupé est sans précédent dans l'histoire de l'exploration martienne, et doit être célébré comme tel. Certes, ce n'est pas la première fois que la Terre envoie une armada de vaisseaux vers Mars. En 1973, les soviétiques avaient jeté dans la bataille quatre sondes (Mars 4 à Mars 7), qui ont été impitoyablement éliminées par la planète rouge les unes après les autres. Deux années plus tard, les américains tentaient leur chance avec deux orbiteurs couplés à deux atterrisseurs (Viking), et réussissaient l'une des missions spatiales les plus complexes et ambitieuses jamais tentées à ce jour.

Le succès éclatant de la mission Viking tenait en quatre points : le nombre de sondes envoyées (quatre, deux orbiteurs et deux atterrisseurs), le nombre d'instruments embarqués (3 pour les orbiteurs, 8 pour les atterrisseurs), le débit de transmission des données (bien supérieur à ce qu'il était pour les premiers Mariner) et enfin la longueur de la mission (6 ans pour l'atterrisseur Viking 1 !). Tous ces éléments sont à nouveau réunis, à l'exception de la longueur des missions. Si les rovers de la vague de 2003 ne pourront pas rivaliser avec la durée de vie des atterrisseurs Viking (qui utilisaient des générateurs radioisotopiques comme source d'énergie à la place de panneaux solaires), ils bénéficieront par contre d'une mobilité sans précédent à la surface de Mars.

La tentative de 2003 n'a donc absolument rien à envier à la reine de toutes les missions spatiales, d'autant plus qu'elle n'est plus cette fois le fruit des efforts d'un seul pays. Mars Express est européenne, Nozomi japonaise, et les deux rovers américains. Pour la première fois dans l'histoire de l'exploration martienne, c'est une bonne partie du monde, et non plus seulement une grande puissance spatiale, qui a désormais les yeux rivés sur Mars. Si l'on tient compte du fait que Mars Express, Spirit, Nozomi et Opportunity seront accueillis à leur arrivée sur Mars par deux orbiteurs américains déjà sur place (Mars Global Surveyor et Mars Odyssey), et dont les états de service sont d'ores et déjà exemplaires, on comprendra que cette armada pourraient bien changer à jamais notre vision de Mars, comme l'avait fait avant elle Mariner 9 il y a plus de 30 ans. Avec 3 sondes à la surface et 4 en orbite, jamais Mars n'aura été aussi surveillée ...

L'exaltation que l'on peut ressentir en contemplant sur la simulation de la NASA les quatre petits points blancs qui progressent vers Mars ne doit cependant pas nous faire oublier une réalité cruelle : statistiquement, le taux de réussite des missions martiennes est de 30 %. Une véritable hécatombe. Depuis la première mise en orbite (réalisée en 1971 par Mariner 9) et le premier atterrissage avec une sonde fonctionnelle à l'arrivée (Viking I en 1976), on pourrait logiquement penser que les techniques d'approche sont suffisamment rodées pour que les agences spatiales n'aient plus à se préoccuper que des aspects scientifiques. Les pertes dramatiques et récentes de plusieurs sondes lors des manoeuvres de mise en orbite ou d'atterrissage ont démontré toute la naïveté de cette supposition.

Les agences spatiales l'ont appris dans la douleur, la route vers Mars reste longue, dangereuse et semée d'embûches. Signe de son importance, ce fait transparaît désormais dans les noms que les hommes donnent à leurs sondes.

Les premières sondes américaines étaient de fiers et hardis explorateurs, qui se lançaient à l'assaut des mers du ciel, d'où leur nom de Mariner (marin). Les Viking appartenaient également à cette génération de sondes intrépides, pour qui rien n'était impossible. Aujourd'hui, les enjeux ont changé, et avec eux une question lancinante s'est posée : Si nos émissaires robotiques, qui sont pourtant d'une résistance inhumaine face au milieu spatial, échouent encore 2 fois sur 3 à atteindre Mars, comment croire que l'homme a sa place sur ce monde rouillé ?

Avec des noms comme Nozomi (espoir en japonais), Spirit ou Opportunity, les hommes reconnaissent donc humblement que Mars n'est toujours pas une planète gagnée d'avance. Même Mars Express symbolise l'espoir de l'agence spatiale européenne d'arriver à mettre au point des missions dans des délais plus courts, et avec des budgets plus serrés, pour pouvoir au final en lancer un plus grand nombre, et diminuer ainsi les risques d'échec.

Mars Express, Spirit, Nozomi et Opportunity représentent donc avant tout l'espérance de pouvoir atteindre ce monde lointain et inaccessible qu'est Mars. Focalisées, que ce soit d'une manière directe ou indirecte, sur la question intemporelle de l'existence d'une vie martienne primitive, ces sondes reflètent également l'une des préoccupations les plus profondément enracinées dans la psyché humaine.

Celle de savoir si derrière ces espaces insondables, si derrière cette mer de ténèbres qu'est l'espace, les hommes sont ou non seuls.

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