Tanzanie : les volcans d'émeraude

Cette page relate un voyage effectué en Tanzanie, du 27 décembre 2012 au 8 janvier 2013, par le biais de l'agence Terres d'Aventure. Intitulé "Du toit de l'Afrique à la vallée du Rift", ce superbe séjour proposait l'ascension du Kilimandjaro, le plus haut sommet d'Afrique, ainsi qu'une semaine alternant safaris et randonnées, dans des espaces infinis peuplés d'animaux sauvages. Pour chaque journée, vous trouverez un petit récit qui s'attache à présenter les points que j'ai estimés marquants. Quelques photographies, prises dans leur grande majorité avec un appareil numérique Sony NEX-7 (plus rarement avec un Sony DSC-HX1), illustrent l'ensemble.

Particularité intéressante si vous désirez replacer ce voyage dans son contexte spatial, j'ai enregistré quotidiennement nos déplacements à l'aide d'un GPS Garmin Oregon 400T. Les traces ont été converties pour être exploitables par le fabuleux logiciel Google Earth. Lorsque vous ouvrirez un itinéraire sous ce dernier, vous serez automatiquement positionné au point de départ, à une altitude variant entre 4,5 et 190 kilomètres, le parcours suivi apparaissant sous la forme d'un ruban rouge et vert (pour les déplacements à pied) ou violet (pour les déplacements en 4x4).

Lors de l'ouverture d'une trace GPS sous Google Earth, une petite échelle fera son apparition en haut à droite, permettant de rejouer le circuit dans le temps (la vitesse de l'animation est réglable en cliquant sur la petite clé à molette). La position sera alors marquée par une icône verte, qui signalera également le mode de déplacement (à pied ou en 4x4). Il est possible d'ouvrir les traces les unes après les autres, de manière à suivre l'enchaînement des différentes activités jour après jour. L'échelle indique toujours l'heure locale (sachant qu'il y a deux heures de décalage entre la Tanzanie et la France en hiver).

Jour 1 et 2 (vendredi 28 et samedi 29 décembre 2012) : Arusha, Machame Gate et Machame Hut Soleil et Nuages


Un avion de la compagnie Ethiopian Airlines, sur l'aéroport d'Addis Abeba en Ethiopie. Cliquez pour agrandir la photo


De la porte de Machame au campement de la hutte de Machame, 1525 mètres de montée, pour une distance parcourue de 10,8 kilomètres (3h14 de déplacement à une vitesse moyenne de 3,3 km/h, avec une pente à 11,3 %).

Nous sommes sortis de la carlingue de l'avion un peu après midi, dans un air chaud et humide, que nous avons rapidement quitté en nous engouffrant dans le bâtiment principal de l'aéroport international du Kilimandjaro. Une fois les dernières formalités accomplies, dont l'obtention du visa, nous sommes montés dans des véhicules tout-terrains (qui, comme nous allons le découvrir, sont indispensables en Tanzanie), en direction de la ville d'Arusha, située à une vingtaine de kilomètres du mont Méru. Ce magnifique strato-volcan, considéré comme actif, possède un sommet égueulé en forme de fer à cheval, et culmine à 4565 mètres d'altitude. La caldeira d'effondrement est ouverte vers l'est, et accueille en son sein un joli cône de cendres. L'ascension du mont Méru, qui demande trois jours de marche, est souvent présentée comme une étape pouvant facilitant celle du Kilimandjaro, mais au moins un guide m'a indiqué que ce sommet présentait en réalité des passages plus difficiles que le toit de l'Afrique.

Après une heure et demie de route plein ouest, notre 4x4 nous a déposés dans la cour d'un lodge nommé Oasis. Une fois nos chambres distribuées, nous avons été accueillis par notre guide, qui nous a donné les premières consignes pour l'aventure que nous avions décidé d'entreprendre, l'ascension du plus haut sommet du continent africain, qui est aussi l'un des plus beaux volcans au monde, le Kilimandjaro. Nous savions qu'il allait falloir profiter du repas du soir et du lit confortable de nos petites chambres, surtout après les treize heures de vol de nuit. Sur le volcan, toutes les nuitées ont effectivement lieu sous tente (s'il y a possibilité de dormir en refuge, ce n'était pas dans notre programme, ou ce n'était pas une option le long de l'itinéraire que nous avons suivi).

Le lendemain, après une nuit heureusement très réparatrice, les sacs défaits puis refaits, les gourdes pleines, en tenue de randonnée, le parapluie et la veste imperméable à portée de main, nous quittons le lodge vers 8h00. Après un petit détour par Arusha pour effectuer les derniers ravitaillements, les 4x4 embrayent plein est, dépassent l'aéroport international pour continuer dans la direction de Moshi, capitale administrative de la région du Kilimandjaro. Dix kilomètres avant Moshi, nous avons obliqué plein nord pour rejoindre Machame Gate, point de départ officiel de la voie Machame, l'une des six voies d'ascension du volcan.

La période de fin décembre n'est pas la plus idéale pour entreprendre la montée vers le sommet de l'Afrique, car la saison des pluies n'est pas encore terminée, et ces dernières peuvent être par moment torrentielles, mouillant aussi surement les vêtements que les âmes, et pouvant aisément plonger les randonneurs dans le découragement. Pourtant, à cause des fêtes de fin d'année, Machame Gate grouille d'activité. De tous côtés, des groupes de porteurs entassent des affaires dans de grands sacs et bidons, avant de se rendre à la pesée. Chaque porteur ne peut effectivement transbahuter avec lui que 20 kilos de matériel, et le poids des sacs est donc scrupuleusement consigné grâce à une balance qui se trouve sous un petit bâtiment. En comparaison de l'agitation qui règne dans cette fourmilière, les tâches dévolues aux touristes étrangers semblent bien légères. Après avoir été signé un registre, chacun attend le départ, debout ou attablé. Les groupes défilent devant le portail, pour la traditionnelle photo de départ, ou les visages sont encore souriants. Notre cuisinier nous sert déjà un premier repas, et nous nous mettons en route vers 14h00. Notre altitude de départ est de 1800 mètres, et cette première journée de marche va nous conduire à 3000 mètres, à Machame Hut. Le chemin est agréable, et monte régulièrement plein nord, sans à-coup, au travers d'une forêt humide dense et luxuriante. Le sentier est bien marqué, et la présence continuelle de colonnes de porteurs fait qu'il semble difficile de se perdre. Notre guide nous laisse cheminer tranquillement, à notre rythme, au milieu des fougères arborescentes, caoutchoucs, bégonias et ficus. Par endroit, les branches sont recouvertes de lichens barbus qui pendent dans l'air humide, comme la toison qu'un animal géant aurait perdu dans sa course vers l'air rare. La forêt de Machame m'a rappelé la plaine des Tamarins sur l'île de la Réunion. Elle dégage la même ambiance surnaturelle, une atmosphère à la fois inquiétante et envoutante, comme si les branchages cachaient des secrets millénaires et des trésors enfouis.

Un peu avant d'arriver à la hutte de Machame, la forêt semble lâcher du terrain, et nous franchissons sa lisière. Les arbres laissent alors place à des herbes hautes et des bruyères. Sur place, la plupart de nos tentes sont déjà ancrées dans le sol boueux. La tente mess est cependant encore sur le sentier, et nous mangeons avec les porteurs, qui ont l'air de se régaler d'ugali, une purée blanchâtre de maïs cuit (polenta). Nous aurons l'occasion d'y gouter plus tard, mais pour le moment, notre cuisinier nous sert un repas plus occidental mais tout aussi reconstituant.

Le Kilimandjaro, sur lequel nous nous trouvons désormais, demeure invisible. Entouré de nuages depuis notre arrivée, il n'a pas été possible d'apercevoir la majesté de son édifice depuis les plaines. Ce soir, à Machame Hut, le ciel n'est pas dégagé, et la météo ne s'est pas faite plus clémente, même s'il ne pleut pas. Nous regagnons nos tentes pour nous enfoncer dans nos sacs de couchage. A 3000 mètres, la température est déjà basse, et le climat a cessé d'être tropical pour devenir alpin, malgré notre latitude.


La porte de Machame, l'endroit ou tout commence. L'entrée du portail est généralement occupée par des groupes de randonneurs posant pour la traditionnelle photo de départ, tandis que des porteurs, guides et cuisiniers vont et viennent. A l'heure ou cette photo a été prise, un peu avant 14 heures, la plupart des marcheurs sont déjà partis. Cliquez pour agrandir la photo


Le sentier qui chemine depuis la porte de Machame vers la hutte du même nom, située 1200 mètres plus haut, traverse une magnifique forêt des pluies, luxuriante et étrange. Difficile pourtant de s'y perdre, à moins d'y faire exprès, tant le chemin, parcouru par des colonnes de porteurs, est bien tracé. Cliquez pour agrandir la photo


Le camp de Machame Hut est une véritable petite ville de toiles cirées. De chaque côté du sentier, espacés chacun de quelques mètres, se trouvent des groupes de tentes, arrangées en cercle, ou disséminées dans des petites clairières. Aucun panneau ni indication, mais il est aisé d'imaginer que chaque emplacement est dûment référencé, et qu'une logistique implacable règne sur l'endroit. Le sol est un peu boueux, mais pour l'instant je n'y prête pas trop d'attention ... Cliquez pour agrandir la photo


La plupart des branchages de la forêt des pluies du Kilimandjaro sont recouverts par des barbes de lichen (usnées), qui confèrent à l'endroit une atmosphère toute particulière, proche de celles des songes. Frais, détendus, les visages sont généralement souriants (bien qu'ici, devant l'objectif, ce soit plus une grimace qu'autre chose !). La comparaison avec les clichés pris au sommet est très intéressante ... (crédit photo : Jacques). Cliquez pour agrandir la photo

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : De l'aéroport Kilimandjaro International à Arusha (jour 1) : Début de la trace depuis l'aéroport : 13:34:59. Fin de la trace à Arusha : 15:13:37. Temps écoulé : 01h38. Longueur : 48,6 km. Vitesse moyenne : 30 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Machame Gate et Machame Hut (jour 2) : Début de la trace depuis Arusha : 08:39:56. Fin de la trace à Machame Hut : 18:46:34. Temps écoulé : 10h07. Longueur : 103 km. Vitesse moyenne : 10 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Randonnée vers Machame Hut (jour 2) : Début de la trace depuis Machame Gate : 14:03:03. Fin de la trace à Machame Hut : 18:46:34. Temps écoulé : 04h44. Longueur : 10,8 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 3 (dimanche 30 décembre 2012) : Le camp de Shira


Le soleil se couche sur le campement de Shira. Les silhouettes d'une petite cabane, de bruyères arborescentes et de tentes se découpent à l'horizon. Cliquez pour agrandir la photo


La montée au campement de Shira a demandé 2h30 de marche continue, pour un dénivelé positif de 954 mètres (69 mètres de descente) et une distance parcourue de 5,4 km (vitesse de déplacement 2,2 km/h, pour une pente à 16,3 %).

Nous levons le camp de la Hutte de Machame à 8h00, même si l'étape du jour va être courte. Il faudra effectivement environ quatre heures pour atteindre la Hutte de Shira, sur le plateau du même nom. La forêt des brouillards ne s'accroche plus au sol que sur quelques parcelles, et autour de nous s'étend désormais une lande d'altitude, faite de rocailles couvertes de lichens, de mousses et de bruyères. Nous apercevons pour la première fois les séneçons géants, des plantes étonnantes, qui mesurent parfois plusieurs mètres de hauteur, au tronc trapus, brun, écaillé, terminé par une explosion de feuilles charnues, couleur vert bouteille. Les séneçons semblent provenir d'une autre planète, et ils auraient tout à fait leur place dans un herbier extraterrestre, qui décrirait la flore étrange d'un monde lointain. Il est également possible d'apercevoir des lobelias (Lobelia Deckenii), ces inflorescences épaisses, aux extrémités arrondies, recouvertes d'une multitude de rosettes de feuilles, qui ressemblent à des cactus sans piquants.

Le sentier monte en direction du nord, tandis que le brouillard recouvre petit à petit la lande. Le ciel est écrasé par une chape de nuages, et bientôt les premières gouttes de pluie se mettent à tomber. La saison humide n'est définitivement pas terminée, contrairement à ce que l'on peut parfois lire dans les brochures des tour-opérateurs ! Notre guide tanzanien nous explique que les saisons se sont progressivement décalées dans le temps, et que la saison des pluies cède maintenant la place à la sécheresse vers la fin du mois de janvier, et non au début de celui-ci. Les précipitations rendent les paysages tanzaniens verdoyants, ce qui est un avantage certain d'un point de vue contemplatif, tandis que la saison sèche est le domaine de la poussière et des feuilles jaunies.

Vers 3700 mètres d'altitude nous rencontrons une série de grottes, ou de nombreux porteurs sont réfugiés, sacs et bidons posés au sol. Les hommes prennent une courte pause, certains mangent un morceau, d'autres fument, avant de reprendre la montée vers le plateau de Shira tout proche. Des panneaux indiquent qu'il est désormais interdit de bivouaquer dans les trouées rocheuses. Il est aisé d'imaginer que certains randonneurs à la recherche de calme trouvaient là un lieu plus propice que le camp de base de Shira, qui accueille des centaines et des centaines de personnes. Ces lieux de campement sauvages étaient peut être aussi plus économiques que les lieux officiels ou les tentes sont plantées, et devaient également entraîner une pollution bien plus grande.

Des trombes d'eau s'abattent maintenant sur nos têtes, et malgré mon parapluie et ma veste imperméable, je ne tarde pas à être trempé. Je regrette de n'avoir pas pris le temps de passer mon sur-pantalon en goretex ainsi que mes guêtres, et regarde avec une sorte d'effarement le ruissèlement de l'eau, qui donne naissance à de véritables petites cascades éphémères qui tombent des surplombs rocheux. Le sol s'est transformé en boue, et un matériau noir, collant, humide imprègne désormais mes chaussures de montagne. La météo n'est décidément pas clémente. Un porteur habillé d'un t-shirt à manche courte me croise en frissonnant. Il porte au pied des chaussures qui me semblent bien trop légères pour l'endroit ou nous évoluons. Je ne peux pas m'empêcher de me faire la remarque que bien qu'étant dans leur milieu naturel, certains tanzaniens que je rencontre sont équipés de façon un peu minimaliste pour effectuer leur travail, qui est aussi physique que risqué.

Rincés, nous arrivons sur le campement, sous le regard d'un grand corbeau noir. Si le beau temps avait été de la partie, notre guide nous aurait proposé une courte balade sur le plateau de Shira, mais après avoir déjeuné sous l'abri du mess, la plupart préfèrent rejoindre les tentes pour se reposer. Nous sommes à presque 3900 mètres de hauteur, et les effets de l'altitude vont commencer à se manifester. A ce niveau, certaines personnes subissent déjà les affres du mal des montagnes et sont parfois forcées de redescendre. Même si je n'aime guère rester statique dans des endroits qui invitent à l'exploration et à l'exercice, je sais qu'une bonne sieste peut réellement aider à l'acclimatation, le corps ayant besoin d'énergie pour faire face à la constante diminution de la pression partielle en oxygène de l'air. En début d'après midi, la pluie cesse de tomber. En soirée, les nuages s'étirent et s'amincissent, éclaircissant l'horizon, ce qui permet d'apercevoir les contreforts du volcan et les plaines qui s'étendent, immenses, au loin. Le soleil finit par disparaître dans une trouée, illuminant d'une belle lumière jaune le campement, et laissant espérer des cieux plus dégagés pour la suite de l'ascension.


La forêt des pluies a laissé place à une lande qui recouvre les pentes caillouteuses du Kilimandjaro. Bruyères et séneçons géants font leur apparition sous un ciel gris et menaçant. Cliquez pour agrandir la photo


A chaque arrivée à un camp de base, nous signons un registre pour signaler notre présence. Les rangers du parc national du Kilimandjaro tiennent ainsi une comptabilité des visiteurs, qui chaque année viennent par milliers gravir le toit de l'Afrique. Le taux de succès serait d'environ 55 % (crédit photo : Claire et Matthieu). Cliquez pour agrandir la photo


Un porteur, muni d'une cape de pluie et transportant sur ses épaules une lourde charge, monte vers le camp de Shira sous des trombes d'eau. Le ruissellement donne naissance à des cascades qui inondent le sentier et transforment le sol en boue épaisse et luisante (crédit photo : Hélène). Cliquez pour agrandir la photo


Le camp de Shira accueille plusieurs centaines de personnes. Au premier plan, la tente mess et à l'arrière plan, une ville miniature de toiles de tentes de toutes couleurs (notre campement est idéalement situé à l'écart). Cliquez pour agrandir la photo

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers le camp de Shira : Début de la trace depuis Machame Hut : 08:11:16. Fin de la trace au camp de Shira : 12:58:40. Temps écoulé : 04h47. Longueur : 5,4 km. Vitesse moyenne : 1,1 km/h.

Jour 4 (lundi 31 décembre 2012) : Le camp de Barranco SoleilBrouillard


Dans un paysage minéral qui fume sous le brouillard, une partie de notre groupe progresse en colonne, à un rythme délibérément lent, vers le col de la tour de lave, sous le regard d'un tanzanien en train de se reposer. Le temps, changeant mais décidément humide, rend indispensable le parapluie, sur-sac et sur-pantalon (crédit photo : Hélène). Cliquez pour agrandir la photo


Le spectacle du mont Méru depuis le camp de Shira appartient à ceux qui se lèvent tôt ! (crédit photo : Hélène). Cliquez pour agrandir la photo


891 mètres de montée pour atteindre lava tower (altitude 4639 m) et 750 mètres de descente pour parvenir à Barranco (10,7 km parcourus en 4h31 à une vitesse moyenne de 2,4 km/h).

Le réveil nous offre une jolie surprise. La première chose que j'apprends, en émergeant péniblement de mon sac de couchage, est que mon compagnon de tente, qui a eu le courage de se lever en pleine nuit (chose dont j'ai toujours été incapable !), a pu apercevoir le cône sommital du Kilimandjaro. Je m'extirpe de ma tente, tourne la tête vers l'est et pousse un cri d'exclamation devant le spectacle qui s'offre à moi. Sous un ciel bleu azur, que rien ou presque ne vient encore troubler, se dessine une masse trapézoïdale rocheuse revêtue de blanc.

Pour profiter du temps magnifique qui s'offre à nous, les porteurs ont dressé la table à l'extérieur, à côté de la tente mess. Nous prenons donc notre petit déjeuner en face du panorama splendide offert par le volcan. Nous admirons également les alentours du campement et le plateau de Shira, qui était hier entièrement masqué à notre vue. A l'ouest, par delà les contreforts verdoyants du Kilimandjaro, perçant une mer de nuage, pointe le sommet du mont Méru. Une lune presque pleine flotte très haut dans le ciel.

Nous quittons le camp vers 9h00 en direction d'un haut col, situé à 4600 mètres de hauteur. L'objectif est ici de s'exposer à une altitude élevée, qui sera équivalente à celle de Barafu, dernier camp de base avant le sommet. Aujourd'hui, nous ne resterons cependant pas longtemps à ce niveau, et nous redescendrons rapidement vers le camp de Barranco, situé au pied d'une immense muraille de lave, à une altitude de 4000 mètres environ.

Le sommet du Kilimandjaro, qui perçait triomphalement le ciel bleu au petit matin, disparaît peu à peu sous les nuages. Bientôt le ciel est entièrement couvert, et le paysage lunaire dans lequel nous évoluons s'enfonce dans un brouillard épais qui fini par tout recouvrir. Le sentier progresse à travers des blocs de lave fantomatiques. La végétation s'est faite rare, et mis à part des lichens, des mousses et quelques herbes jaunies, l'étendue est un vaste désert volcanique, une zone noircie et écornée par d'anciens feux. Une averse nous force à sortir cape de pluie et parapluie. Pour ma part, histoire d'éviter l'erreur de la veille, j'ai passé un sur-pantalon imperméable dès le départ.

L'averse cesse, tandis que nous continuons à monter. Vers midi, nous croisons un sentier qui mène à Barranco, mais nous le laissons de côté pour nous diriger vers le col de la tour de lave, un point de passage presque obligé pour l'acclimatation. Le randonneur qui choisit d'y monter sait qu'il s'expose à ressentir vivement, à partir de ce moment là, les effets du mal des montagnes. Ces efforts sont en tout cas récompensés par un spectacle minéral étonnant, car le col de la tour de lave porte bien son nom.

Habituellement visible de très loin, ce relief est une épine volcanique massive, une muraille érodée que l'on pourrait confondre, dans le brouillard, avec le rempart d'une mystérieuse forteresse. Depuis le camp du plateau de Shira, il nous faudra presque trois heures pour atteindre cet objectif. A mon arrivée, je découvre que les porteurs ont dressé une tente mess au pied de la tour de pierre le plus naturellement du monde, comme s'ils étaient insensibles au temps et à l'altitude.

Nous prenons un rapide déjeuner à l'abri, avant de nous remettre à descendre de l'autre côté du col, vers le campement de Barranco, situé au fond d'un grand canyon, dont les versants verdoyants collectent l'eau provenant de la fonte des glaciers, ainsi que les précipitations qui s'abattent sur les flancs du volcan. Nous enjambons de nombreuses rigoles et ruisseaux, et évoluons parmi une végétation colorée et dense. Un brouillard opaque s'est logé dans la combe, et les silhouettes immenses des séneçons, qui semblent monter la garde et protéger un étrange secret, offrent au randonneur une vision fantastique tout droit sortie d'un conte.

Une fois recoupé le sentier abandonné à l'aller, nous atteignons le campement de Barranco vers 16h00. Après un petit passage par le baraquement des rangers pour signer le traditionnel registre, je tente de rejoindre nos tentes, avant de m'apercevoir bien vite que je suis incapable de les distinguer parmi les dizaines et dizaines d'abris de toiles qui sont déjà érigés sur la vaste zone du camp. Heureusement, des porteurs, qui surgissent presque comme par magie dès que l'on a besoin d'eux, me font signe et j'atteins le petit secteur qui est réservé à notre groupe. Engourdi par une sensation un peu désagréable, je m'allonge dans mon sac de couchage pour faire passer le malaise. Je somnole, et je prends conscience avec inquiétude des premiers assauts d'un mal de crâne, symptôme typique du mal des montagnes.

Quelqu'un frappe sur la toile pour m'indiquer que l'heure du repas est arrivée. Un peu cotonneux, je m'extirpe de la tente, et m'installe avec la nausée devant la table dressée sous la tente mess. C'est le soir du nouvel an, mais je n'ai pas faim. Je me force à avaler un peu de soupe chaude. Le cuisinier a mis les petits plats dans les grands pour le dernier repas de l'année, mais l'arrivée des mets me donne des haut-le-cœur. J'avale une pastille de paracétamol codéiné pour tenter de stopper le mal de crâne qui devient de plus en plus intense. Pour l'avoir déjà vécu, je sais ce qui est en train de m'arriver. Je quitte la table sans avoir presque rien mangé, peine à retrouver ma tente dans l'obscurité, et, une fois cette dernière localisée, m'enfonce sans plus de tergiversations dans mon duvet. Une pensée sournoise me vient à l'esprit. Il me semble qu'une partie de moi trouve un étrange plaisir à basculer vers une nouvelle année en étant sur le flanc d'un volcan lointain, qu'importe la nausée, l'altitude, l'humidité, le froid et l'absence de confort. Je ne voudrais pas être ailleurs pour rien au monde.


A l'aube, la masse sommitale du volcan Kilimandjaro se découpe avec majesté sur un ciel azur. Il s'agit en fait du Kibo, l'édifice le plus haut et le plus récent d'un point de vue géologique. Le soleil s'apprête à surgir sur la droite. Le petit nuage qui surplombe le volcan ne va pas tarder à en appeler d'autres, mais en ce dernier jour de l'année, un tel début de journée réchauffe agréablement le cœur. Cliquez pour agrandir la photo


Paysage lunaire et minéral au col de la tour de lave. Située à une hauteur d'environ 4600 mètres, la muraille de lave baptisée lava tower est un point de passage obligé pour l'acclimatation à la haute altitude. A notre arrivée, le ciel était couvert, et des nappes de brouillard recouvraient les pentes enneigées du volcan, que l'on devine au loin. Cliquez pour agrandir la photo


Lava tower est un désert minéral, qui contraste fortement avec la forêt des pluies qui ceinture le Kilimandjaro, et la lande à bruyères qui lui fait suite plus en hauteur. Ici, le paysage est dominé par les tons sombres des coulées de lave, langues noires hostiles et inquiétantes, démantelées par l'érosion en une multitude d'éclats et de fragments tranchants et anguleux. Cliquez pour agrandir la photo


La végétation refait son apparition lors de la redescente dans la profonde combe du grand Barranco. Les séneçons géants sortent du sol comme des sentinelles dont le corps trapu, cylindrique, semble invincible. Peu avant Barranco, le sentier progresse à travers une forêt de séneçons tellement hauts que les marcheurs semblent être redevenus des enfants, perdus dans un labyrinthe de géants pétrifiés. Cliquez pour agrandir la photo

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers le camp de Barranco : Début de la trace depuis le camp de Shira : 08:49:28. Fin de la trace au camp de Barranco : 16:09:34. Temps écoulé : 07h20. Longueur : 10,7 km. Vitesse moyenne : 1,5 km/h.

Jour 5 (mardi 1er janvier 2013) : Le camp de Barafu Soleil


Procession des porteurs sur le mur de Barranco (crédit photo : Hélène). Cliquez pour agrandir la photo


Depuis Barranco, 1223 mètres de montée et 480 mètres de descente pour atteindre Barafu (8,6 kilomètres parcourus en 4 heures de déplacement continu, à une vitesse moyenne de 2,2 km/h). Le profil montre clairement la muraille de Barranco, la descente vers Karanga Hut et la remontée vers Barafu à 4600 mètres.

Le site de Barranco est situé au pied d'une belle barre rocheuse qu'il est nécessaire de franchir pour progresser vers le prochain camp de base, Barafu. Nous avons pris un petit déjeuner dehors, pour profiter d'un ciel bleu qui offrait une vue totalement dégagée sur le versant sud du volcan et sur le sommet, qui se fait de plus en plus imposant. Puis nous avons rassemblé nos affaires et levé le camp pour rejoindre la multitude de randonneurs et de porteurs, déjà à pied d'œuvre dans la muraille de lave. La procession, marquée par les baluchons blancs que les porteurs tiennent en équilibre sur leurs épaules ou leurs têtes, délimite parfaitement le chemin zigzagant et aérien qu'il faut emprunter pour franchir ce mur de 250 mètres de hauteur.

Les embouteillages se forment assez rapidement, et nous voici bientôt à faire du surplace, pris dans la file indienne des marcheurs. A chaque arrêt, les gens, calmes et souriants, se souhaitent régulièrement bonne année. Notre guide, qui désire apparemment ne pas perdre de temps, nous invite à doubler en prenant des raccourcis. Me voici bientôt en train de grimper avec les mains et les pieds, posant parfois un genou à terre sans rechercher la moindre élégance dans ces quelques pas d'escalade, montant avec entrain vers le haut de la muraille. La nausée et le mal de tête de la veille ont disparu, et je me sens en forme. Moi qui d'habitude déteste la foule, je patiente, progresse un peu, puis m'arrête à nouveau dans une sorte de détachement serein, tant les porteurs sont indispensables à notre activité. Ces derniers ne cessent d'ailleurs de m'étonner. Malgré les charges lourdes qu'ils transportent, ils ne semblent à aucun moment déséquilibrés sur ce tronçon étroit et vertigineux.

Au sommet de la barre rocheuse, le panorama sur les pentes du volcan est impressionnant. Guidée par une trouée, le regard ne tarde pas à se perdre parmi le moutonnement de reliefs doux et verdoyants, qui se fondent plus bas dans une mer de nuages. Vers le sommet, ce qui reste des glaciers de Heim et Kersten, deux des trois lames de glace qui recouvrent le Kibo, scintille sous le soleil. Nous continuons à marcher en direction de l'est, sur un sentier qui descend petit à petit vers la hutte de Karangat, ou nous nous arrêtons pour déjeuner vers midi et demi. Il s'agit du dernier point d'eau avant le sommet, et les porteurs en profitent donc pour faire le plein et remplir les bidons. Après environ une heure et demie de pause, nous reprenons la montée dans un paysage minéral. Il reste 600 mètres à franchir avant d'atteindre Barafu. L'altitude rend la progression difficile pour certains, et le ciel se couvre. Sur un petit replat, je débouche dans un secteur ou sont érigés des dizaines de cairns, qui semblent inviter à la méditation.

A 17h00, nous parvenons finalement à Barafu (un terme qui signifie neige en swahili), dans une ambiance de haute montagne quelque peu intimidante. Les tentes sont disséminées le long d'une crête rocheuse, l'arête de Stella, qui conduit droit au sommet. Les porteurs nous délestent de nos sacs à dos pour nous permettre de monter plus léger vers la petite cabane ou se trouve le registre. En sortant, j'aperçois un randonneur assis par terre, prostré, la tête entre les mains. Barafu est la dernière étape avant le sommet, et le mal des montagnes, le froid, le vent, ainsi que la minéralité du lieu frappent désormais de plein fouet les esprits. Notre campement se trouve un peu à l'écart du sentier qui suit la crête, et ma tente a été montée sur une petite portion de terre plate, entre de gros blocs rocheux. A l'est se trouve l'éperon du mont Mawenzi, qui culmine à 5149 mètres. Il s'agit de l'un des deux anciens sommets du volcan, le second étant le cratère de Shira (3962 mètres).

Je m'allonge dans mon sac de couchage pour me reposer un peu après cette journée éprouvante. Le soir, j'ai retrouvé l'appétit, malgré une légère sensation de nausée, presque imperceptible, mais pourtant bien présente. Le soleil s'est couché, et Barafu est plongé dans l'obscurité. La nuit va être courte. En fait, il n'y en aura pas vraiment. Notre guide nous a rejoint, et nous donne les dernières indications pour le sommet, que ce soit sur l'équipement, les vivres, et l'état d'esprit. Le lever est prévu à 23h00, et après une rapide collation, nous nous mettrons en route une demi-heure plus tard. Très haut dans le ciel, les nuages masquent le sommet du Kilimandjaro.


L'ascension du Kilimandjaro n'est pas vraiment comparable à un séjour en hôtel 5 étoiles, mais nos porteurs ont réalisé un travail remarquable : installation des tentes, y compris la tente mess, table dressée pour les repas (ici le petit déjeuner), thé pour le réveil servi au lit (enfin au sac !), bassine d'eau individuelle pour la toilette matinale, sans compter la tente-WC avec toilette chimique ! Cliquez pour agrandir la photo


Le campement de Barranco, occupé par une multitude de tentes colorées et de rares bâtiments en dur, est surplombé par le dôme volcanique du Kibo. Parois rocheuses verticales et glaciers suspendus donnent le ton : l'ambiance n'est absolument plus celles des cartes postales et bien qu'étant en Afrique, les tropiques ont laissé place au domaine de la haute montagne. Cliquez pour agrandir la photo


Barranco offre un joli panorama sur le versant sud du Kilimandjaro. A l'opposé du sommet englacé du volcan s'étendent des pentes verdoyantes qui  guident le regard vers les plaines immenses de Tanzanie. Cliquez pour agrandir la photo


Des cairns sur le sentier qui conduit au campement de Barafu. L'endroit semble inviter à la méditation et dégage une sorte de quiétude bienveillante, malgré l'austérité et la minéralité du lieu. Les cairns sont trop nombreux pour être de simples repères. Ont-ils été érigés à la mémoire de personnes disparues ? Ou comme prière muette à quelques divinités ? Cliquez pour agrandir la photo


Panorama du dôme volcanique du Kibo, sommet du Kilimandjaro, depuis le camp de base de Barranco (4000 mètres).

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers le camp de Barafu : Début de la trace depuis le camp de Barranco : 08:40:22. Fin de la trace au camp de Barafu : 16:54:45. Temps écoulé : 08h14. Longueur : 8,6 km. Vitesse moyenne : 1,0 km/h.

Jour 6 (mercredi 2 janvier 2013) : L'assaut Soleil Ascension d'un volcan


Le soleil se lève sur les glaciers suspendus du sommet. Epuisé par une montée interminable, littéralement vidé par des vomissements à répétition, c'est cette vision incroyable qui m'a donné l'envie de continuer encore un peu plus, et permit d'atteindre Stella Point, puis finalement Uhuru Peak. Cliquez pour agrandir la photo


Le mille-feuille gelé de l'un des glaciers sommitaux, tel qu'il apparaît depuis la crête menant à Uhuru Peak. La neige qui recouvre la falaise ressemble à un glaçage déposé par un pâtissier, et semble adoucir quelque peu la dureté et la froideur de ces murailles de glace. L'érosion a ciselé d'étranges figures sur les parois, et les différentes strates déposées année après année sont bien visibles.


Le sommet du Kilimandjaro durant la descente vers Mweka Hut. Le paysage est recouvert d'une neige fraîche, reste fugace d'une tempête ayant déferlée sur le sommet, que la quiétude de la matinée ne laissait pas présager.


Ce profil altimétrique montre clairement la montée vers Uhuru Peak (5895 mètres) depuis le camp de Barafu (4600 mètres), puis la grande descente jusqu'à la hutte de Mweka à 3000 mètres. Au cours de cette journée, le dénivelé positif a été de 1338 mètres, et le dénivelé négatif de 2848 mètres (17,2 kilomètres parcourus en 19h33, dont 6h17 de déplacement continu, à une vitesse moyenne de 2,7 km/h).

Engoncé dans mon sac de couchage, je laisse les minutes et les heures passer, sans pouvoir trouver le sommeil. Bientôt, trop tôt sans doute, un assistant-guide viendra frapper contre la toile de tente, annonçant l'heure du lever. Il sera 23h00. Nous allons devoir marcher dans la nuit noire et glacée, et à cet instant, couché au sol, profitant encore de la chaleur de mon duvet, cette perspective ne m'enchante guère.

Quelques heures auparavant, notre guide a prononcé un étrange discours, bien différent de celui que l'on pourrait entendre en France. Il est entré dans la tente mess, s'est assis en silence sur une chaise, et a patiemment attendu que cessent les discussions. Il nous a alors expliqué que nous allions entreprendre la partie la plus difficile de l'ascension, et qu'il nous faudrait affronter les maux de tête, les nausées, la fatigue et le froid, en acceptant la douleur, en faisant face aux idées et pensées négatives qui envahiraient notre esprit jusqu'à le paralyser. Que la souffrance se laisse passer, et qu'elle s'oublie aussi. Initié à la méditation, ces paroles un peu difficiles à attendre m'ont marqué, et j'ai tenté de les écouter du mieux possible. Sans doute parce que j'avais l'intuition que mon acclimatation était loin d'être idéale, et que le mal des montagnes, que j'avais pour l'instant ressenti uniquement pendant quelques heures, lors de la soirée du nouvel an à Barranco, allait vraisemblablement me tomber dessus, avec bien plus de violence ...

Je somnole, sans pouvoir m'endormir, pelotonné dans le duvet. J'essaye d'imaginer les pas, avant leur manifestation. Ils sont sans fin, rassemblés en formation, comme des légionnaires romains avant la bataille. Inlassablement, mon esprit se met à passer en revue les innombrables petits soldats plantés debout, près à l'action, et qui devront bientôt s'animer, répétant ainsi les milliers de pas qui devront être effectués. Il me faudra tous les accomplir, un par un, insensiblement, dans le froid de la nuit, pour parvenir au sommet. Quelqu'un tape sur la toile de tente. Un peu de répit, et les coups reprennent. Je me décide à quitter mon sac de couchage, rassemble les quelques affaires éparpillées autour de moi, puis m'extirpe de l'abri pour me diriger vers la tente mess. Le ciel est noir, étoilé. Je ne me sens pas particulièrement en forme, mais parvient à avaler un bol de café, avant de grignoter du bout des lèvres quelques biscuits.

Nous nous rassemblons dehors, à la lueur des frontales. Loin devant, j'aperçois une procession de petits points lumineux, comme autant de lucioles parties à l'assaut de l'arête de Stella, qui conduit, 1100 mètres plus, à Stella Point, secteur ou l'arête finit par rejoindre la crête sommitale du Kilimandjaro. Très lentement, à minuit, nous nous mettons en route, traversant en silence le campement de Barafu, pour finalement mettre nos pas dans la trace. Le terrain est caillouteux mais assez stable, et il est très rare de devoir patiner dans la cendre volcanique. Rapidement, nous rejoignons d'autres marcheurs, et nous voilà faisant à notre tour partie de celle longue chenille humaine qui rampe et se contorsionne comme dans un rêve sur la pente du Kibo. Les assistants-guides qui nous accompagnent ne cessent de répéter "polepole", ce qui en Swahili signifie "avec calme, lenteur". Quelque chose en moi s'agite, et j'éprouve soudain un besoin de marcher plus rapidement. Le terrain est facile, et je ne comprends pas pourquoi personne ne parvient à monter d'un pas plus décidé. Je m'écarte de la colonne pour progresser dans la rocaille grossière recouverte de neige qui borde le sentier. Un assistant-guide me rattrape et m'invite à retourner dans les rangs, mais j'ai envie de marcher. Au bout d'une dizaine de mètres, ayant doublé plusieurs personnes, j'aperçois une femme, manifestement une touriste, située en tête. Elle pousse sur ces deux bâtons avec une lenteur qui confine à la paralysie, et semble immobile. Cette vision grotesque m'énerve, et je reprends la marche. Derrière moi, quelqu'un répète polepole, polepole. Une sensation de nausée intense m'envahit. Je me sens de plus en plus mal. Je me plie en deux, pour vomir sur la neige. L'assistant-guide m'a rejoint et me soutient, pendant que je hoquète, sous le regard que j'imagine consterné des marcheurs que j'ai doublé un peu auparavant et qui me dépassent à nouveau.

Je me remets en marche en repensant au discours du guide. Bizarrement, mon esprit semble assez vide. Je décide de me concentrer sur mes pas, à l'exception de toute autre chose. Il n'y a que cela qui compte, avancer. Mon pied gauche se pose au sol, puis c'est au tour du pied droit, et le mouvement recommence, encore et encore. Je parviens à nouveau en butée contre une colonne de randonneurs. Elle semble assez courte, et je me décide à la doubler par la droite. Je ne fais pas dix mètres avant d'être stoppé net par la nausée. Quelques secondes plus tard, me voici à nouveau en train de régurgiter une partie du contenu de mon estomac. Il n'y a pas à dire, je ne suis pas en forme.

Nous continuons à monter. J'ai l'impression qu'il fait de plus en plus froid. Ce dernier semble même traverser la semelle pourtant épaisse de mes grosses chaussures de montagne. Un peu plus haut, l'un de mes compagnons fait la remarque que la Grande Ourse, suspendue dans le ciel étoilé, est à l'envers. Je lève la tête pour apercevoir la constellation, qui m'évoque aussitôt une casserole qu'un cuisinier retord a renversé pour en vider le contenu infâme. La nausée revient. Les cieux scintillants ne me sont d'aucune aide. Je me concentre sur mes pas, en pensant que chaque heure passée à souffrir est désormais derrière moi, et que les suivantes, celles qui sont encore à venir, seront aussi un jour un souvenir.

La pente est maintenant plus marquée. J'ai l'impression que les randonneurs sont désormais plus dispersés, que les files de marcheurs se sont éparpillées. Le malaise me reprend, et j'ai l'impression de cracher mes poumons. C'est la troisième fois que je souille la neige, et lorsque je me relève, je me sens faible, déshydraté, vidé, sans aucune force. La panique, tapie comme un loup aux aguets, surgit dans mon esprit. Pour la première fois, l'idée terrible que je ne vais pas pouvoir parvenir au sommet m'assaille, et je me sens incapable de la laisser passer ou d'y faire face. Je suis devenu cette idée, et je ne parviendrais pas au sommet. C'est probablement l'aube qui m'a sauvé. Sans que je m'en sois rendu compte, le soleil est en train de se lever, et derrière les lambeaux de nuages qui recouvrent la pente froide et noire sur laquelle nous nous hissons avec tant de difficultés et d'efforts, transparait un ruban jaune pâle nimbé de rose, qui illumine progressivement le ciel. Je tourne la tête et aperçoit, effaré, accroché au versant volcanique, le coin immaculé d'un glacier suspendu. Je savais que le sommet du Kilimandjaro était encore partiellement englacé. Mon père m'en avait parlé, ayant admiré maintes fois dans ses livres ces magnifiques photographies de la crête du glacier Kersten, dépassant d'une mer de nuages. Devant ce spectacle hors du temps, cette brève conversation m'est revenue en mémoire. Le sommet ne peut plus être bien loin, et je reprends la progression. Sans savoir trop comment, je me retrouve devant le panneau vert de Stella Point, à 5739 mètres, congratulé par les assistants guides. Il est 6h30 du matin.

Quelqu'un me tend des abricots secs, que j'avale avec plaisir. Je m'écarte un peu du panneau pour sortir ma gourde et me rincer le gosier. Peine perdue, me voilà de nouveau en train de recracher ce que je viens d'ingurgiter. Mon estomac ne veut plus rien savoir. Ce dernier vomissement est pourtant libératoire, et la nausée s'évanouit avec lui. Je sais que Stella Point n'est qu'un sommet intermédiaire, et qu'il faut encore suivre une crête pour atteindre Uhuru Point. Je décide de me remettre en route, en suivant quelques personnes qui s'engagent sur un petit chemin fait de traces de pas dans la neige. Mon visage doit refléter une certaine fatigue, car un guide tanzanien m'indique qu'il ne reste que 30 minutes avant le véritable sommet, pour un dénivelé d'un peu plus de 100 mètres. Rassuré, je continue de m'éloigner de Stella Point. Un assistant-guide, qui sort comme d'habitude de je ne sais où, m'invite à attendre quelqu'un de mon groupe. Je patiente un peu, pour voir arriver l'un de mes compagnons, soutenu par un guide. Nous nous mettons en route le long d'un sentier plat, agréable. La neige scintille sous les rayons du soleil équatorial, et crisse à chacun de mes pas. Autour de moi, le panorama est époustouflant. Malgré mon épuisement, j'essaye d'immortaliser les merveilles du sommet. Sur ma gauche s'étendent les formidables barres glaciaires, magnifiquement découpées et sculptées par les éléments. A droite se trouve le dôme brun moutonné du cratère, puis, plus loin encore, vers l'horizon, la silhouette des glaciers de la crête nord.

Je marche lentement, m'arrêtant parfois pour attendre mon compagnon. Chaque pas me rapproche du sommet, d'une victoire sur moi-même, sur la montagne et la Nature. De nombreux marcheurs, seuls, en petit groupe, me croisent en silence. J'aperçois, un peu devant, un attroupement, et juste derrière, un panneau vert pomme, qui ne ressemble pas à celui que j'ai vu tant de fois sur les photographies du sommet que l'on trouve sur Internet. Mais il n'y a plus de doute, c'est vraiment le sommet.

Un guide assistant tanzanien me félicite en me donnant l'accolade. Le panneau marque le point sommital du volcan, Uhuru Peak, qui perce les cieux à une altitude de 5895 mètres. Chaque personne présente souhaite se faire immortaliser devant ce dernier, et les randonneurs défilent, patientent, s'agitent, certains calmes, d'autres agacés, épuisés, fatigués, déboussolés, consternés. Clic clac, me voilà à mon tour photographié par un guide. Je suis trop crevé pour prendre la pause, une photo suffira. Mes compagnons arrivent un à un, et nous voici à nouveau groupé sous le panneau, pour une deuxième séance de prise de vue. Je sais qu'il en manque certains. C'est dommage mais c'est ainsi. Notre présence là haut tient à peu de choses.

Il faut maintenant redescendre rapidement, je ne comprends pas bien pourquoi. Je marche à nouveau sur la crête enneigé, croisant à mon tour de nombreux randonneurs qui avancent lentement dans l'autre direction, celle du sommet, allant chercher, au bout de l'effort et de la fatigue, un accomplissement, quelque chose d'irrationnel, d'intangible et d'inexplicable. Le soleil est plus haut dans le ciel, et les glaciers brillent de mille feux. Je dois me forcer pour m'arrêter, sortir l'appareil du sac, vérifier les réglages et appuyer sur le déclencheur, les yeux collés au viseur. Je me remets en route, et nous dépassons Stella Point, pour nous lancer dans la pente qui conduit tout droit à Barafu, et que nous avons gravi de nuit, dans une obscurité totale. Il est aisé de se laisser porter par la gravité, et de glisser dans un dérapage contrôlé. Je dévale la pente immense, et perd rapidement de l'altitude. Lors d'une pause, j'aperçois derrière moi un randonneur asiatique, inconscient, soutenu par deux porteurs, qui traînent le malheureux du mieux possible, pour le conduire vers un air plus dense ou il pourra reprendre ses esprits. Je continue de descendre. Un peu en contrebas, je vois un groupe de gens qui agitent les bras dans ma direction. L'esprit voilé par la fatigue, j'ai un peu de mal à les reconnaître. Il s'agit d'un groupe de porteurs restés à Barafu, et qui ont décidé de venir à notre rencontre. L'un deux m'offre un jus d'ananas frais, que j'avale avec délice. Les porteurs souhaitent prendre nos sacs à dos et je parcours les dernières centaines de mètres libre, sans la moindre contrainte.

Les premières toiles de tente de Barafu apparaissent. Nous allons pouvoir nous reposer un peu, manger un morceau, avant de reprendre la longue descente vers le camp de Mewka, à 3200 mètres d'altitude. Le dénivelé négatif à parcourir est impressionnant. Sitôt dans ma tente, je m'enfonce dans mon sac de couchage. Je n'ai pas soif, ni faim. Mon sommeil est entrecoupé de réveils. Le tonnerre se met à gronder au dehors. Des craquements secs, puissants, semblent déchirer le monde extérieur. L'atmosphère est électrique, menaçante, et je me rappelle avoir pensé que si une boule de feu choisissait de finir sa course sur la fragile paroi de tissu me séparant du monde extérieur, il ne resterait plus grand chose de moi. Je me rendors à moitié, une part de moi désirant l'abandon du sommeil profond, une autre souhaitant rester vigilante.


Un détail géologique manifestement intéressant sur une coulée de lave en haut de la muraille de Barranco, sur le Kilimandjaro (crédit photo : Claire et Matthieu). Cliquez pour agrandir la photo

Des coups sur la toile annoncent l'heure du départ. Je sors péniblement de la tente pour découvrir que le camp est désormais recouvert par une épaisse couche de neige fine et fraîche. Je rassemble mes affaires et m'équipe en conséquence. Les flocons tombent, et la visibilité est très faible. Nous nous mettons en route, gravissant le petit pierrier au bas duquel les tentes ont été posées. Le temps a complètement changé, et une tempête semble s'être jetée sur la montagne, précipitant les couleurs chaudes du début de journée dans un maelstrom glacé. La neige tombe abondamment, et les flocons virevoltent sous les rafales de vent. Plus haut, une coupole menaçante de nuages gris recouvre le ciel. Je marche mécaniquement. Nous descendons le long d'une agréable pente. Un manteau blanc repose sur les rochers et la végétation éparse. Derrière moi, une éclaircie a lieu, et le sommet du Kilimandjaro se découpe brièvement dans un coin de ciel bleu, avant de disparaître à nouveau, avalé par une langue nuageuse. Le vent cesse peu à peu, tandis que la température se fait plus clémente. J'ôte progressivement mes vêtements, laissant la tempête derrière moi.

Nous parvenons à un petit campement (Karanga Hut), dont j'espère qu'il mettra un point final à la descente. Hélas, l'altitude inscrite sur un panneau de bois me semble trop élevée, et la grande dégringolade depuis le sommet du volcan n'est pas encore finie. Je me remets en route le long d'un sentier qui semble suivre le lit d'un ancien cours d'eau. La rigole est couverte de pierres de toutes tailles qui cassent le rythme de la marche et rendent la progression éreintante. La pluie s'est mise à tomber. Je n'ai pas le courage de sortir tout de suite le parapluie, mais je dois finalement m'y résoudre. Le chemin n'en finit pas. A chaque virage, j'espère apercevoir les prémisses d'un campement, panneaux, toiles de tente, attroupements, mais le sentier continue comme s'il était interminable. Je suis depuis longtemps séparé de mes compagnons. Le dernier que j'ai aperçu, voilà au moins une heure et demie, pestait contre son parapluie qui se prenait dans les branchages, quand il n'était pas retourné comme une chaussette par une saute de vent plus forte que les autres. Une pluie fine s'abat sur le monde. J'aperçois enfin une bifurcation, et un panneau. Bientôt, je chemine le long d'un sentier qui dessert, à intervalles réguliers, de petites trouées au sein desquelles sont plantés des toiles de tente. Je n'ai aucune idée de la position de notre campement. J'essaye d'identifier nos tentes par leur couleur, sans succès. Je continue à descendre. J'ai l'impression d'être revenu à Machame Gate, mais l'endroit est différent. Je m'arrête à un petit refuge en bois, mais aucun de nos porteurs ou guides ne semble y être. Peut-être me suis-je perdu ? Je me remets en route. Il y a des dizaines et des dizaines de tentes tout autour de moi. Soudain, un porteur tanzanien trempé jusqu'aux os me fait signe en souriant. Je le rejoints en quelques pas, et il m'indique que notre campement se trouve à proximité, à quelques dizaines de mètres en contrebas. Les tentes sont déjà montées sur un sol recouvert d'une boue grasse et épaisse. La pluie continue de tomber. Tant bien que mal, j'essaye de transvaser mes affaires sous l'abri de toile, mais chaque mouvement soulève un peu de boue, qui semble vouloir se glisser partout. La nuit va être humide.

Durant le repas, j'apprends qu'un incident a eu lieu à Barafu. Quelque chose en rapport avec des cris, un appel au secours, l'orage. Une tempête mortelle a en fait recouvert le sommet, reléguant le soleil et le ciel bleu matinal aux limbes. J'étais trop fatigué pour avoir entendu quelque chose. Le tonnerre s'est déchainé sur Barafu, et la foudre est tombée à une centaine de mètres de notre campement, pendant que nous nous reposions, foudroyant un touriste. La neige et le froid qui se sont abattus sur la montagne ont aussi emporté des porteurs, qui avaient pris du retard dans la descente, et dont l'équipement misérable qu'ils utilisaient ne leur a été d'aucun secours devant le déchaînement des éléments. Je me rappelle soudain avoir vu quelques jours auparavant, durant la montée, un porteur frissonner sous la pluie. Le Kilimandjaro est un monde en miniature, ou l'on peut rencontrer le meilleur comme le pire. Si certains voyagistes locaux paient correctement les porteurs, guides et cuisiniers, veillant aussi à leur fournir un équipement minimum leur permettant d'affronter les conditions climatiques de la haute montagne, d'autres sans scrupules recrutent des tanzaniens qui ne seront payés que grâce aux pourboires des clients, ces derniers n'étant parfois pas au courant de la situation. Les hommes qui travaillent sous la coupe de telles sociétés sont souvent envoyés vers le sommet sans le moindre équipement, vêtements, sac de couchage et matériel de survie digne de ce nom. La Tanzanie est un pays très pauvre, et les neiges du Kilimandjaro représentent un eldorado pour des milliers de personnes, qui cherchent à se nourrir et à nourrir leurs familles, quitte à ignorer ou braver les pires dangers. Ces hommes sont en fait des sortes de mineurs, ouvrant chaque jour des galeries sur une montagne à ciel ouvert, pour que des touristes aisés venus du monde entier puissent s'offrir le frisson d'une conquête, le trouble délicat et raffiné de l'ascension d'un sommet mythique. Il est très commode, lorsque l'on pose sous le panneau planté à Uhuru Peak, d'omettre que le Kilimandjaro a des aspects ambigus, dérangeants et sombres. En une semaine, un voyageur peut atterrir à Kilimandjaro airport, faire le sommet, et repartir dans la foulée vers son pays. Il est alors tellement facile d'oublier que le remerciement d'un porteur, cette petite phrase ou il indique que le pourboire va lui permettre de faire vivre sa famille restée dans les plaines tropicales, renferme en fait bien plus de vérité que ce que l'on voudrait y entendre au premier abord.


Après six heures de montée dans l'obscurité, le soleil perce enfin les cieux noirs, dévoilant la pente immense du volcan, et, un peu plus haut, les glaciers suspendus du sommet. Cliquez pour agrandir la photo


L'aube révèle les somptueux paysages du Kilimandjaro. La terre brune et volcanique, qui conduit au cratère, et les éperons des glaciers, qui se confondent au loin avec la mer de nuages. Cliquez pour agrandir la photo


Vue rapprochée des falaises d'un glacier suspendu. L'envie est forte de franchir la pente pour aller toucher du bout des gants cette incroyable glace étincelante et immaculée. Cliquez pour agrandir la photo


Pause photo incontournable devant le nouveau panneau planté à Uhuru Peak, point sommital du Kilimandjaro. La fatigue se lit sur les traits du visage et la posture du corps, et il est amusant de comparer ces clichés à ceux pris des milliers de mètres plus bas à Machame Gate. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama pris à proximité de Stella Point. A droite, la crête rocheuse enneigée menant à Uhuru Peak. Au centre, le dôme moutonné menant à la dépression circulaire du cratère et au fond à droite, les arêtes d'un glacier du versant nord, que l'on pourrait aisément confondre avec la mer de nuages qui enserre le sommet.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Le sommet du Kilimandjaro : Début de la trace depuis le camp de Barafu : 00:02:34. Fin de la trace au camp de Mweka : 19:35:26. Temps écoulé : 19h33. Longueur : 17,2 km. Vitesse moyenne : 0,9 km/h.

Jour 7 (jeudi 3 janvier 2013) : Descente vers Mweka Gate Soleil


Cette photo est pour moi la plus belle prise par un membre de notre groupe, tant elle illustre mon ressenti de l'ascension du Kilimandjaro. La flamme de la bougie apporte une touche spirituelle à l'attente inquiète et aux espoirs du voyageur, tandis que par l'ouverture de la tente, derrière les silhouettes des marcheurs, s'ouvre le ciel infini, teinté des lueurs du couchant (crédit photo : Hélène). Cliquez pour agrandir la photo


La dégringolade le long du Kilimandjaro, avec la descente depuis la hutte de Mweka (3000 mètres) jusqu'à Mweka Gate (1625 mètres), pour un dénivelé négatif de 1411 mètres, et seulement 76 mètres de montée (8,8 kilomètres parcourus en 2h23 heures de déplacement continu, à une vitesse moyenne de 3,7 km/h, sur une pente à -15 %).

Après un petit déjeuner, nous rassemblons une dernière fois nos affaires sur une toile cirée pour nos porteurs, et munis de notre sac à dos habituel, nous nous mettons en route en direction de la porte de Mweka. Le sentier est agréable, et la marche légère. Le chemin serpente sous le couvert forestier tropical, et j'ai l'impression de revenir lentement vers la civilisation, même si je ne suis pas certain d'adhérer totalement à cette sensation. Après un peu plus de trois heures de marche, nous parvenons à Mweka Gate. C'est ici que nous allons dire au revoir à l'équipe qui nous assiste depuis notre arrivée en Tanzanie. Comme Machame Gate, l'endroit grouille d'activité, et de nombreux vendeurs ambulants essayent de vendre souvenirs et colifichets aux touristes qui reviennent du sommet, ou d'un trek sur les flancs du volcan.

Notre cuisinier a fait dresser une table à proximité d'une jolie pelouse, et nous sommes invités à manger un morceau en attendant que notre guide collecte le fameux certificat, délivré par les rangers du parc national du Kilimandjaro, et attestant de l'arrivée au sommet. Nos sacs sont chargés sur les 4x4, et c'est le moment des adieux avec l'équipe locale, qui va être remplacée par une seconde équipe pour la deuxième partie de notre voyage, un safari à travers les plaines infinies de la Tanzanie.

De nombreuses heures de route sur des pistes plus ou moins bien entretenues vont être nécessaires pour parvenir en bordure du lac Manyara, situé à une centaine de kilomètres d'Arusha. Le trajet va offrir l'occasion pour chacun de méditer sur l'ascension du volcan, qui reste en soi une aventure, loin de la routine du quotidien qui emplit la plupart des journées d'une vie. Les souvenirs des moments passés accrochés au flanc du volcan sont tellement intenses qu'ils continuent bien souvent d'agir des mois et des années après, comme si quelque chose d'essentiel avait été approché, sans qu'il soit possible de le définir précisément.

Durant le trajet, nous effectuons un bref arrêt à Arusha pour déposer du matériel et faire le plein de vivres. Désireux d'acheter un petit échantillon de tanzanite pour ma collection de minéraux, notre guide nous a déposés devant un luxueux hôtel qui héberge une petite bijouterie spécialisée. Le comptoir me fait vive impression. Des certificats délivrés par un institut international de gemmologie semblent attester du sérieux du vendeur, et des pierres mauves taillées de toute beauté, montées ou non sur des boucles d'oreille et pendentifs brillent de mille feux derrière des vitrines. La tanzanite est une gemme semi-précieuse qui n'a été découverte qu'en un seul endroit du monde : le secteur de Merelani, situé à quelques dizaines de kilomètres d'Arusha. Chimiquement parlant, il s'agit d'une variété de silicate d'aluminium et de calcium, très recherchée dans le monde de la joaillerie. La tanzanite est caractérisée par un pléiochroïsme affirmé, qui contribue à l'étrange fascination qui entoure cette gemme : selon la direction avec laquelle on regarde le cristal, ce dernier apparaît bleu, violet ou brun. Les pierres subissent couramment un traitement thermique (chauffage à plus de 600°C) pour rehausser leurs couleurs. Le prix au carat étant ce qu'il est, mon choix s'est porté sur un petit cristal non taillé, semi transparent et non chauffé, avec un beau pléiochroïsme bleu-violet, qui m'a été remis avec un certificat dans une petite boite. Lorsque l'on voyage et que l'on achète, plus pour des raisons sentimentales qu'autre chose, une gemme, sans avoir de connaissances particulières, il est aisé de se retrouver avec une pierre synthétique, un doublet ou du verre teinté. Je suis presque certain d'avoir acquis une vraie tanzanite, mais le doute demeure toujours, et m'a poussé à en savoir plus sur la gemmologie, d'abord par le biais de livres. J'avoue que le cérémonial de la vendeuse m'a beaucoup intrigué et séduit : recherche des caractéristiques de la pierre via son numéro d'identification (j'étais curieux de savoir si cette dernière avait été cuite), rédaction du certificat, mise sous enveloppe du cristal avec des gestes lents et visibles, comme si cette étape était l'occasion pour certains de réaliser un tour de passe-passe (escamotage du cristal ou remplacement à la dernière seconde par un faux). Quelque chose s'est mis en marche dans mon esprit, et j'ai soudain réalisé que bien que passionné par la géologie et la minéralogie, je ne savais rien ou presque du monde des gemmes et des pierres précieuses ...

Arusha est derrière nous, et nous voici de nouveau lancés sur les pistes. Par la vitre du 4x4, mon regard se perd sur les plaines immenses. En quelques kilomètres, nous sommes passés du béton et du bruit de la ville à la brousse profonde. Pourtant nous n'avons encore rien vu des paysages tanzaniens. Lorsque nous parvenons au lodge ou nous allons rester pour la nuit, le soleil est déjà couché. Notre arrivée se fait dans la confusion, et par chance, mon compagnon de chambré et moi recevons la clé d'un luxueux bungalow, spacieux, équipé de moustiquaires et surtout doté d'une douche privée. Après presque une semaine passée à dormir dans des tentes sans pouvoir se débarbouiller autrement qu'avec des lingettes ou une bassine d'eau pour mouiller un gant de toilette, le fait de pouvoir se laver sous un filet d'eau claire et chaude est un délice, tout comme la sensation de ressortir propre et net. Nous avons ensuite rendez-vous dans un petit bâtiment ouvert aux quatre vents pour dîner, suite à quoi nous retournons dans nos chambres pour profiter d'une nuit de sommeil réparatrice sur un véritable matelas. Pendant les discussions autour de la table, nous apprenons que tout le monde n'a pas eu la chance d'être logé en bungalow, et que certaines chambres ressemblent plus à des cellules de prisonnier ! La description qui est en faite par nos infortunés compagnons est suffisamment comique pour me donner envie d'en savoir plus, même si je n'ai aucune raison de tronquer le luxe de notre bungalow, que nous taisons un peu par respect, contre un "simple matelas posé sur un dalle de béton" ! Autre détail particulièrement exotique, durant nos déplacements dans le lodge, nous sommes accompagnés par un masaï en tenue traditionnelle, dont le rôle est de nous protéger d'éventuels animaux sauvages.

Pour autant, après avoir découvert les lieux le lendemain, je ne peux pas m'empêcher de trouver l'endroit trop luxueux, trop touristique, comme si je regrettais presque l'austérité et la simplicité des tentes du Kilimandjaro. Des familles, installées dans des petites huttes africaines, prennent un copieux petit déjeuner, habillées de pied en cap avec des vêtements de safari, à tel point qu'en croisant certaines personnes sur les sentiers qui desservent le complexe, j'ai eu l'impression de me retrouver sur le tournage d'un film façon "Out of Africa", ou de rencontrer Jonathan Higgins, le majordome de Magnum. C'est donc avec enthousiasme que je m'installe à nouveau dans les 4x4, qui s'ébrouent bientôt en direction du nord-ouest, vers la caldeira mythique du Ngorongoro.


Notre groupe au complet, posant pour la traditionnelle photo devant la porte de Machame Gate, juste avant les premiers pas qui vont nous conduire au sommet du volcan. Les tenues sont impeccables, le moral au beau fixe, les visages souriants ! Cliquez pour agrandir la photo


Claire et notre guide, Abed (ayant été plus de 300 fois au sommet, il m'a semblé être une sorte de personnage un peu mystique, cette impression étant renforcé par la déférence avec laquelle les porteurs s'adressaient à lui), en train de contempler les espaces ouverts de la Tanzanie, au sommet de la muraille de Barranco (crédit photo : Claire et Matthieu). Cliquez pour agrandir la photo


Photo de groupe, elle aussi traditionnelle, à Uhuru Peak. Notre groupe n'est hélas plus au complet, le mal des montagnes ayant prélevé son implacable tribut. Si les vêtements paraissent encore à peu près propre (merci à la pluie), les visages sont pour beaucoup marqués par la tension, la fatigue, l'effort. La joie est présente, mais elle est surtout intérieure. Et il faut encore redescendre ! Cliquez pour agrandir la photo


La conclusion de l'ascension, sur une pelouse verdoyante de Mweka Gate. Un peu de repos bien mérité pour le groupe et l'équipe locale, porteurs, cuisinier, guides-assistants et guide en chef. Pour aller au sommet, il faut en moyenne compter sur 3 porteurs par personne. Autant dire que, bien qu'étant discrets - à tel point qu'ils donnent parfois l'impression de se fondre avec la montagne - rien ne serait possible sans eux. D'une certaine manière, de part leur activité, ils sont une part du volcan. Cliquez pour agrandir la photo

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers Mweka Gate : Début de la trace depuis le camp de Mweka : 08:33:53. Fin de la trace à Mweka Gate : 14:04:10. Temps écoulé : 5h30. Longueur : 8,8 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers Manyara : Début de la trace depuis le camp de Mweka : 08:33:53. Fin de la trace au bungalow du lac Manyara : 20:02:10. Temps écoulé : 11h28. Longueur : 219 km. Vitesse moyenne : 19 km/h.

Jour 8 (vendredi 4 janvier 2013) : Un sanctuaire nommé Ngorongoro


Un 4x4 tanzanien équipé d'un toit ouvrant descend lentement la crête de la caldeira du Ngorongoro en suivant une piste de latérite. Le fond du cratère est situé environ 600 mètres plus bas. Avec les cratères d’Olmoti et d’Empakaai, le Ngorongoro est situé sur la branche est de la vallée du Grand Rift. Cliquez pour agrandir la photo


Le profil altimétrique montre clairement le cratère du Ngorongoro, ceinturé par une muraille de 600 mètres, et dont le plancher est parfaitement plat.

Un éléphant se déplace avec lenteur au fond du cratère du Ngorongoro. Il s'agit généralement de vieux mâles qui trouvent ici une vie paisible, et de l'herbe en abondance.

Allongé dans l'herbe, un lion du Ngorongoro fait la sieste, indifférent à l'émoi qu'il suscite parmi les visiteurs du parc. La présence du roi des animaux est très souvent signalée par un attroupement de véhicules 4x4 arrêtés sur les pistes de terre, d'ou dépassent de nombreux téléobjectifs.

Nos jeeps stoppent devant l'entrée officielle du cratère Ngorongoro, qui est probablement l'une des plus imposantes merveilles de la Tanzanie. Nous descendons des véhicules pour musarder un peu devant les vitrines et panneaux explicatifs d'un petit musée, tandis que nos guides s'acquittent des démarches administratives permettant de pénétrer dans le sanctuaire. Un petit magasin de souvenirs jouxte le bâtiment accueillant les touristes. J'y achète une gourde aux couleurs du Kilimandjaro, les températures s'étant mises à grimper depuis que nous avons quitté le microclimat du volcan.

Le Ngorongoro (un nom amusant qui provient apparemment du tintement des clochettes que les Masaïs accrochent aux cous des ruminants) est une vaste zone de plateaux et de sommets volcaniques situé sur la branche orientale de la vallée du grand Rift, cette immense fracture qui scinde en deux la corne de l'Afrique, et ou se concentrent des phénomènes volcaniques complexes et parfois uniques au monde. L'attraction phare de ce secteur est le fameux cratère du Ngorongoro, dépression circulaire de 22 kilomètres de diamètre environ, et qui sert de sanctuaire à des dizaines de milliers d'animaux, qui naissent, vivent et meurent au sein de ce milieu fermé.

La caldeira du Ngorongoro est une caldeira d'effondrement, et elle s'est donc formée suite à la vidange de la chambre magmatique d'un ancien volcan, il y a 2 à 3 millions d'années. Après le départ du magma, le plafond de la chambre magmatique désormais vide s'est écroulé, laissant une profonde cicatrice dans le paysage. Le cratère du Ngorongoro est magnifiquement préservé, et le rempart montagneux qui dessine le cratère est demeuré intact. Le paysage qui s'offre au spectateur, depuis le rebord de la cavité, est tout à fait dantesque. Les dimensions sont telles que l'esprit a du mal à imaginer la taille de l'édifice volcanique qui s'est affaissé et a disparu, laissant derrière lui un si grand vide. Le volcan aurait pu culminer à presque 6000 mètres, et être d'une hauteur comparable au Kilimandjaro.

Les jeeps descendent maintenant lentement le long d'une piste de latérite qui serpente sur la paroi ouest. Six cent mètres plus bas, le plancher du cratère est occupé par une prairie verdoyante, car le cratère est une cuvette naturelle qui favorise le recueillement des eaux. Un lac salé, le lac Magad (ou Magadi) est visible au centre de la caldeira, son rivage étant joliment souligné de rose par les centaines de flamands qui y vivent. Le Ngorongoro possède également deux zones marécageuses, le Mwandusi et le Gorigor. Une fois parvenu en bas, nous ouvrons les toits des jeeps et, debout sur les sièges, nous nous mettons à rechercher frénétiquement les premières traces de vie animales. Les téléobjectifs se braquent sur le premier zèbre ou gnou, et les premières exclamations de joie ou de surprise se font entendre à l'apparition d'un troupeau d'éléphant, ou d'un oiseau particulièrement coloré.

J'avoue volontiers être bien plus attiré par les roches et les créatures microscopiques que par la faune ou la flore, mais le cratère du Ngorongoro est d'une telle majesté, d'une telle ampleur qu'il est impossible de rester insensible devant l'extraordinaire vitalité qui se dégage des lieux.

Au fur et à mesure que les 4x4 progressent dans le cratère, les animaux semblent effectivement surgir de tous les endroits à la fois. Certes, rares sont ceux qui traversent les pistes ou qui viennent inspecter nos véhicules, et il est nécessaire d'être muni d'une bonne paire de jumelles, ou d'un téléobjectif performant, pour profiter pleinement du spectacle. Cependant, j'ai peine à croire qu'après quelques heures dans le cratère, une personne puisse encore trouver un quelconque intérêt dans la visite d'un zoo. Les lieux dégagent une telle impression de liberté et de diversité que le voyageur ne peut qu'être ému. La description de cette dernière ressemblerait à un inventaire à la Prévert : zèbres, gnous, gazelles, hyènes, phacochères, chacals, buffles, éléphants, et bien sûr le seigneur des lieux, le lion. Certains sont très rares, comme le rhinocéros noir. Quelques-uns sont absents, tels la girafe et le crocodile.

Après avoir circulé sur les pistes à l'intérieur du cratère, nous nous sommes arrêtés pour pique-niquer près de la source Ngoitokitok, qui alimente un marais ou se prélasse de nombreux hippopotames. Nous avons ensuite continué en direction du nord est pour remonter sur le rempart, que nous avons suivi sur presque 180° degrés pour faire un demi arc de cercle dans le sens des aiguilles d'une montre, avant de quitter définitivement les lieux pour partir vers le nord-ouest, là ou le plateau du Ngorongoro rejoint les plaines du Serengeti. Dans un premier temps, les véhicules ont suivi des routes carrossables, qui se sont peu à peu transformées en pistes poussiéreuses. Nous avons traversé, sans hélas pouvoir nous arrêter, la célèbre gorge d'Olduvia, une ravine profonde et desséchée, considérée comme le berceau de l'humanité suite à la découverte des restes les plus anciens d'hominidés par Mary et Louis Leakey dans les années 50.

Les pistes elles-mêmes ont disparu, et les jeeps ont tracé leur chemin au jugé sur des plaines verdoyantes immenses. Le monde est devenu plat. Puis les animaux se sont mis à apparaître. Des hordes de gnous, de zèbres et de gazelles, en pleine migration vers le sud. Bientôt, les plaines furent couvertes de centaines de milliers de points noirs, jusqu'à l'horizon. Un spectacle démesuré et fascinant, fou et improbable, tout droit sorti d'un voyage dans le temps, comme si les véhicules, à force de rouler sur l'infini, s'étaient retrouvés projetés dans un passé révolu, une terre vierge et primitive, ou les forces de la nature régnaient en maître, et ou l'homme n'était encore qu'une lointaine possibilité.

En roulant furieusement sur la plaine, chaque véhicule laissait derrière lui un sillage de poussière rouge. Devant nous, les animaux ne cessaient de s'écarter ou de s'enfuir en courant, jaillissant des deux côtés le long d'élégantes trajectoires courbes et de mouvements de fuite coordonnés. Zèbres, gnous et gazelles semblaient pouvoir vivre là les uns avec les autres, de la façon la plus naturelle possible, dans un mélange de tolérance et d'indifférence. Nous aperçûmes, perdues au milieu de cette mer animale sans pour autant en être le moins du monde affectées, quelques cigognes, immobiles et dignes.

Le soleil a finit par disparaître derrière une colline lointaine, et l'obscurité a commencé à recouvrir les plaines. Heureusement pour les chauffeurs, nous étions proches de notre destination, et les 4x4 s'arrêtèrent bientôt au beau milieu de nulle part, en pleine nuit, après avoir dépassé des constructions Masaïs. Des tentes avaient été installées dans un sous-bois, tandis que des Masaïs veillaient près d'un feu de bois. Des femmes avaient dressé des petites barricades ou étaient accrochés des babioles colorées, mais à cause de l'heure tardive, elles repartirent en direction de leurs villages sans avoir rien vendu.

Seul un vieux guerrier habillé de façon traditionnel, et armé d'un arc et d'une lance est resté près du foyer, en compagnie d'un enfant Masaï. Bien que leur présence ait quelque chose de folklorique, ils étaient là pour veiller sur nous et tenir à l'écart les bêtes féroces, comme ils le font dans leurs villages. Coupés du monde moderne, nous avons dîné à la lueur des lampes frontales, avant de veiller un peu autour du feu, et de rejoindre nos abris de toile.


Une vue du lac salé Makat, depuis les hauteurs du rempart qui ceinture la dépression du Ngorongoro. La plante grasse à gauche est probablement une Euphorbia bussei. Cliquez pour agrandir la photo


Au premier abord, l'intérieur du cratère est un lieu vert, paisible et vide. Pourtant, au fur et à mesure que les 4x4 progressent vers le centre, les animaux deviennent de plus en plus visibles, et le visiteur devine que derrière le calme apparent de l'endroit, la Nature se livre à une lutte sans merci pour la survie. Cliquez pour agrandir la photo


Une piste de latérite s'étire sur le fond plat du cratère, jusqu'à la muraille intacte de 600 mètres de hauteur qui ferme à l'horizon la cuvette volcanique. Toutes les taches noires posées sur l'herbe sont des animaux en train de se reposer ou de brouter. Cliquez pour agrandir la photo


Une de nos jeeps fonce à vive allure sur les plaines du Ngorongoro en laissant dans son sillage un nuage de poussière. Dérangés par le véhicule, gnous et gazelles, qui recouvrent les collines par milliers, en compagnie de zèbres et même de cigognes, s'écartent avec plus ou moins de bonne volonté. Plus d'un million de gnous migrent annuellement vers le nord pour mettre bas à la frontière entre le Ngorongoro et le Serengeti. Le spectacle qu'ils offrent alors est hallucinant. Cliquez pour agrandir la photo


Un village Masaï, dans le parc du Ngorongoro. Ces derniers sont tolérés et peuvent pratiquer l'élevage. La chasse est cependant interdite (les rangers tentant du mieux possible de lutter contre le braconnage), tout comme l'agriculture.


Une vue des contreforts qui ceinture la dépression du Ngorongoro. Il s'agit de la plus grande caldeira intacte et située à l'air libre (c'est à dire non inondée par les eaux, la plupart des caldeiras accueillant des lacs) de la planète.


Panorama des plaines du parc du Ngorongoro situées au nord-ouest de la caldeira, vers la frontière avec le Serengeti, alors que le soleil se couche. Nous sommes ici en plein territoire Masaï.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Ngorongoro : Début de la trace depuis le bungalow du lac Manyara : 07:54:15. Fin de la trace au campement de Piaya : 18:57:55. Temps écoulé : 11h04. Longueur : 267 km. Vitesse moyenne : 24 km/h.

Jour 9 (samedi 5 janvier 2013) : Les montagnes de Gols 


Les tentes dans la lumière ambrée du levant, à proximité du petit village Masaï de Piaya. Si ce n'est la présence potentielle de bêtes sauvages (tenues à l'écart pendant la nuit par un guerrier Masaï), la beauté de l'endroit a un goût de Paradis. Cliquez pour agrandir la photo


Une randonnée tranquille dans les montagnes de Gols, avec des dénivelés assez faibles (540 mètres de montée et 922 de descente, pour 17,3 kilomètres parcourus en 4h29 heures de déplacement continu, à une vitesse moyenne de 3,9 km/h). A droite, on distingue le décrochage qui s'ouvre sur l'immense plaine vert émeraude.


Une journée de marche tranquille et reposante, parmi des paysages d'une beauté inattendue et émouvante (Crédit photo : Jacques).

Au petit matin, en ôtant le filet moustiquaire puis la porte de la tente, j'ai été frappé par deux choses. La quiétude et le silence qui régnaient sur l'endroit ou notre campement avait été établi, et la lumière, étrange, apaisante, dorée. Après un rapide petit déjeuner, je n'ai pas pu m'empêcher de grimper la petite colline au pied de laquelle les tentes avaient été plantées, pour voir ce qui se cachait de l'autre côté. Sur la gauche se trouvait une crête rocheuse de strates sédimentaires, qui formait comme l'épine dorsale d'un animal géant enfoui dans le sol. Par delà la crête, le sol descendait en pente douce vers une petite cuvette, ou broutaient paisiblement quelques zèbres sauvages à l'ombre d'acacias parasol. En me voyant surgir, ces derniers ont relevé la tête, pour me fixer quelques secondes, avant de se remettre à mâcher l'herbe grasse, tout en continuant à me jauger d'un œil méfiant. La distance qui me séparait d'eux était apparemment encore suffisante pour qu'ils se sentent en sécurité. Plus loin, une plaine immense et verdoyante s'ouvrait jusqu'à l'horizon dans la lumière chaude de l'aube. Un paysage moutonné de collines boisées aux pentes douces emplissant l'espace, terre infinie invitant à l'exploration.

J'ai rejoint mes compagnons, et une fois nos affaires rangées et nos sacs fermés, nous avons quitté à pied le campement de Piaya, pour remonter la petite pente et basculer dans la grande plaine. Les zèbres se sont écartés au trot, tandis que notre petit groupe, guidé par le Masaï qui avait monté la garde durant la nuit, foulait en silence le sol vert de la savane. Cette randonnée dans les montagnes de Gols a été un ravissement du début jusqu'à la fin, et, en ce qui me concerne, elle fût l'une des plus belles journées de marche que je n'ai jamais réalisée. Nous avons progressé ainsi quelques heures, sans suivre le moindre sentier, pour atteindre au environ de midi un petit village, ou nous avons changé de guide. Nous sommes ensuite repartis, croisant parfois des villages Masaï, avant d'emprunter un sentier rocailleux qui conduisait en haut d'une colline, au sommet de laquelle, à l'ombre des acacias, nous avons déjeuné. Très loin, derrière les voiles d'un horizon brumeux, un cône d'ombre est apparu : la silhouette caractéristique d'un volcan gris, explosif, celle de l'Ol Doinyo Lengaï.

Nous nous sommes remis en route, en suivant un sentier à peine visible, qui serpentait dans une végétation assez dense, dont de superbes pousses de Sansevieria Ehrenbergii, une plante ligneuse que les Masaïs nomment Oldupaai, et dont le nom a servi à baptiser les gorges d'Olduvai. Le sentier a fini par déboucher au sommet d'une falaise, au pied de laquelle s'étendait l'un des plus incroyables panoramas qu'il m'ait été donné de voir. Une plaine incommensurable, parfaitement plate, d'un vert aux tons indéfinissables, tout à la fois lumineux, humide, dense, qui courrait jusqu'à l'horizon pour se fondre dans un ciel pastel, infini, ou dérivait des piliers nuageux d'un blanc éclatant. Lorsque l'œil, étourdi par l'ampleur de cette vision, se mettait à chercher quelques points de repère pour faire face à cette immensité, voici qu'apparaissait, tout en bas, une multitude de petits points, blancs et noirs. Des troupeaux d'animaux, principalement des vaches, en train de paître. Sur le vert, un petit point rouge, perdu, en mouvement. Un Masaï. Plus loin, une sorte de craquelure brun clair, comme une zébrure sur la surface vert absinthe du monde, surplombée par endroit par les frondaisons d'acacias. Un canyon secret, une gorge mystérieuse protégée des tourments d'un soleil implacable. Ici, les montagnes de Gols prennent fin, pour donner naissance aux plaines majestueuses du Serengeti.

Nous avons descendu la petite falaise pour mettre pied sur l'immensité. Bien que la perspective ait changé, vu d'en bas, le spectacle n'en demeurait pas moins saisissant. Nous avons rejoints les 4x4, garés à l'ombre d'une petite zone boisée. Des Masaïs étaient groupés près des véhicules, abandonnant pour quelques instants les troupeaux de bêtes pour tenter de nous vendre quelques souvenirs. Nous avons remercié notre guide, et les véhicules se sont ébroués sur une piste poussiéreuse, en direction du lac Natron. Nous sommes arrivés sur place au moment du coucher du soleil, et tandis que la lumière déclinait, nous avons admiré en silence les eaux alcalines du lac qui viennent presque lécher le cône volcanique du Lengaï.

Mon regard est inexorablement attiré par ce dernier, car j'ai bien l'intention d'en faire l'ascension pour pouvoir admirer les laves blanches, uniques au monde, qu'il crache à son sommet. La fatigue de la journée ne parvient pas à masquer mon excitation à l'idée de m'élancer sur les pentes du volcan. Il s'agit d'une marche délicate, qui a lieu de nuit, sur un terrain difficile, l'idéal étant d'arriver en haut du cratère avec le lever du soleil. De notre groupe, je suis le seul à vouloir tenter le sommet, même si l'un de mes compagnons s'est montré dans un premier temps intéressé. Notre accompagnateur se met à la recherche d'un guide, qui arrive accompagné d'un Masaï. Le Lengaï est effectivement un volcan sacré pour ce peuple, et son ascension ne peut avoir lieu sans leur consentement. Je règle les cent dollars demandés, et part préparer mes affaires. Le départ a lieu à 23h00. Hélas, mon accompagnateur ne tarde pas à me rejoindre pour m'indiquer que le guide tanzanien est revenu avec mon argent. Les conditions météorologiques vont devenir déplorables au cours de la nuit, rendant apparemment l'ascension impossible. Dépité, je jette un coup d'œil au ciel noir. Il n'y a nulle trace de perturbations, et tout est parfaitement calme. Je commence à me demander si le Masaï n'a pas bloqué la montée pour d'autres raisons. En tout cas, une chose est sûre, je n'irai pas au sommet du Lengaï ce soir.

Au cours de la nuit, la pluie se met à tomber. Dans un demi-sommeil, il me semble entendre de violentes rafales de vent. Le lendemain, notre accompagnateur m'indique avec un grand sourire que je suis, selon lui, béni des dieux. Hier soir, un groupe est parti vers le volcan sans tenir compte des avertissements du petit bureau local des guides. Ils avaient à peine fait une centaine de mètres qu'une pluie violente s'est abattue sur eux, transformant le sol en une gadoue innommable. Trempés jusqu'aux os, ils ont du rebrousser chemin, sans pouvoir prétendre à un remboursement de la course. Effectivement, une fois que l'ascension est engagée, et que l'accès au sommet se trouve barré pour quelques raisons que ce soit, il n'est pas possible de récupérer son argent.

Pour ma part, je continue régulièrement à rêver au cratère dégueulant des laves noires et blanches du Lengaï, monstruosité solitaire de notre globe, aberration de la Nature dominant la savane herbeuse de Tanzanie, loin, très loin, à l'autre bout du monde.


Le soleil se lève sur les collines et la savane arborée des montagnes de Gols. Au second plan, des zèbres broutent paisiblement. Impression tenace d'assister au matin du monde, dans un ailleurs ou la civilisation moderne n'existe pas. Cliquez pour agrandir la photo


Savane arborée des montagnes de Gols. La forme et la stature des arbres participent grandement à la beauté des paysages, et à l'impression de quiétude qu'ils dégagent. Cliquez pour agrandir la photo


Une vision infinie de la Terre, digne de la couverture d'un livre de science-fiction, depuis le sommet d'une petite muraille rocheuse, au terme de notre randonnée dans les montagnes de Gols. Un Masaï solitaire (point rouge) se déplace au centre en bas, tandis qu'un troupeau (tâches noires et blanches) paît un peu plus haut à gauche. La plaine verte est craquelée par des fissures brunes soulignées par des arbres. Au loin, les reliefs volcaniques laissent place à des colonnes de nuages qui s'évaporent dans l'azur du ciel tropical. Cliquez pour agrandir la photo


Le cône presque parfait, et légèrement menaçant sous les lueurs du couchant, de l'Ol Doinyo Lengaï, depuis la rive ouest du lac Natron. Montagne sacrée pour les Masaïs, demeure d'une divinité capable de rendre les femmes fertiles, le Lengaï est le seul volcan du monde à cracher des laves calcaires. Ces carbonatites sont émises sous la forme d'un fluide noir, relativement froid par rapport à la température d'émission des basaltes (seulement 500 à 550°C), et devient blanc en se solidifiant. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama vallonné des montagnes de Gols. Des collines boisées alternent avec des prairies ou pâturent des troupeaux, sous la surveillance de bergers Masaïs.


Le sol, recouvert de gros blocs de quartzite, blanche ou légèrement rosâtre, rend parfois le paysage un peu plus aride. Sur les flancs de la petite colline à la silhouette escarpée (à gauche du centre), on devine l'empreinte circulaire d'un village Masaï.


Panorama de la plaine immense, sur laquelle débouche le sentier que nous avons suivi dans les montagnes de Gols. Les tâches blanches indiquent des troupeaux. A l'horizon, au centre, se dresse le volcan Ol Doinyo Lengaï. Malgré les efforts pour assembler ce panorama, ce dernier n'est qu'un piètre substitut de la réalité. Perché sur la falaise, le visiteur semble ici faire face à l'infini.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Montagnes de Gols et lac Natron : Début de la trace depuis le campement de Piaya : 08:25:44. Fin de la trace au campement du lac Natron : 19:07:37. Temps écoulé : 10h42. Longueur : 123 km. Vitesse moyenne : 12 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Randonnée dans les montagnes de Gols : Début de la trace depuis le campement de Piaya : 08:25:44. Fin de la trace aux jeeps : 15:21:45. Temps écoulé : 6h56. Longueur : 17,3 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 10 (dimanche 6 janvier 2013) : Le lac Natron 


Les paysages du lac Natron au couchant, avec le cône parfait de l'Ol Doinyo Lengaï. Malgré la proximité de ce volcan gris, explosif, l'endroit dégage une grande sérénité. Cliquez pour agrandir la photo


Profil altimétrique de la petite marche conduisant à la cascade d'Engare Sero. Le terrain est globalement plat, la seule difficulté étant de devoir parfois traverser le cours d'eau (72 mètres de montée et 39 de descente, pour 1,9 kilomètres parcourus en 30 minutes environ, à une vitesse moyenne de 3,4 km/h).

Vue du canyon encaissé permettant d'accéder à la cascade d'Engare Sero, au fond duquel coule une eau vive.

Au petit matin, il ne reste rien de la pluie et de la tempête de la nuit. Tout est calme, et la nature est encore endormie. Nous quittons le campement tôt, sans avoir pris le petit déjeuner, pour profiter de l'arrivée des premiers rayons du soleil sur les eaux étales du lac Natron. Celui-ci est tout proche, et après un court trajet en 4x4, nous mettons pied à terre, et partons pour une petite randonnée le long de son rivage. Il n'y a pratiquement pas de vent. A chacun de nos pas, nous laissons une empreinte sur une terre grise, argileuse, recouverte par de nombreux débris animaux et végétaux rejetés par le lac : des branches de bois blanchis par les sels, des carapaces chitineuses d'énormes insectes, sans doute des nèpes. Si ce n'est le cône du Lengaï et les reliefs montagneux visibles à l'horizon, la grève du lac est plate, monotone, mélancolique. Le paysage est comme peint dans des tons de gris et de bleu délavés. Tout est calme, tranquille, paisible. A notre approche, des groupes de flamands roses s'envolent, pour se poser quelques dizaines de mètres plus loin, à un endroit ou nous ne pourrons pas les déranger, et ou ils peuvent à nouveau jouir de la quiétude que nous avons momentanément troublé.

Le lac Natron tire son nom de sa très forte alcalinité, due principalement à la présence de grandes quantités de bicarbonate de sodium. Logée dans une dépression orientée nord-sud, cette étendue d'eau n'a aucun exutoire. La seule façon pour l'eau d'en partir est de s'évaporer, chose facile au vu du climat régnant dans cette région du monde. Sa taille varie grandement avec les saisons, et sa profondeur moyenne est très faible : 3 mètres seulement. S'y baigner n'est pas vraiment une bonne idée : l'eau est tellement basique qu'elle brûle la peau, et la teneur en sels est telle qu'elle est visqueuse. Lorsque l'évaporation est très élevée, les minéraux dissous précipitent pour former une croûte minérale gris blanc. Les Masaïs exploitent ce gisement naturel de sels, en découpant des plaques qu'ils chargent sur des mules pour les vendre au marché. Si le lac Natron est un milieu hostile, il n'empêche pas le développement de certaines formes de vie. Des micro-organismes halophiles, comme des cyanobactéries, pullulent dans ses eaux troubles, et constituent un met de choix pour les innombrables flamants roses qui vivent sur le lac. Sa forte concentration en sels s'explique peut-être par sa proximité avec le volcan Lengaï, qui rejette une lave unique au mode, de la carbonatite (roche très basique contenant une forte proportion de carbonate de sodium).

Le soleil est désormais un peu plus haut dans le ciel, et nous rentrons au campement pour prendre un petit déjeuner. Nous plions ensuite nos affaires que nous entassons dans les 4x4, avant de repartir pour la cascade d'Engare Sero. Pour atteindre, cette dernière, il faut suivre un cours d'eau qui serpente au fond d'une gorge très encaissée. Des chaussures adaptées à l'eau (sandales) sont donc recommandées. Il convient d'être un peu prudent, des chèvres pâturant dans les hauteurs pouvant parfois déloger des cailloux qui se font une joie de rebondir le long des parois. Le canyon débouche finalement sur une première petite cascade, qu'il faut franchir pour passer sous une arche naturelle, qui donne accès à une vasque dans laquelle se jette les eaux bouillonneuses et fraîches d'Engare Sero. Après cette baignade bienvenue dans ce jacuzzi naturel, nous sommes repartis en suivant le même chemin, et avons regagné le campement pour déjeuner. L'heure est ensuite venue de reprendre la route en directement du lac Manyara, pour rejoindre le lodge ou nous avions résidé en revenant des pentes du Kilimandjaro.

Les 4x4 sont partis plein sud, laissant sur notre droite le cône du Lengaï, à qui je dis adieu avec un pincement au cœur. Nous allons parcourir plus d'une centaine de kilomètres sur des pistes poussiéreuses et des chemins de terre, tracés le long d'une plaine flanquée, à l'ouest, par le Kilimandjaro, et à l'est, par le plateau volcanique du Ngorongoro, que nous avions abordé de l'autre côté quelques jours auparavant. Il fait chaud, et les cahots continuels invitent à somnoler. Les roues soulèvent des nuages de particules rougeâtres qui viennent se coller aux vitres du véhicule, tandis que défile la savane tanzanienne. Au loin, le long cou gracile d'une girafe est penché sur un acacia. Nous traversons parfois des villages, assemblage hétéroclites de petites huttes et de palissades, plus rarement d'habitations en dur, avant de retrouver quelques centaines de mètres plus loin la brousse. J'essaye d'imaginer à quoi peuvent bien ressembler ces paysages durant la saison sèche. La Tanzanie se colore alors en jaune, celui du soleil, des herbes desséchées et de la poussière. A un moment, je distingue au loin la trainée verticale ocre d'un tourbillon de poussière (dust devil), qui se déplace paresseusement sur la plaine. Bientôt, j'aperçois plusieurs de ces congénères, qui dérivent au gré du hasard, sans que rien ne semble devoir freiner leur course lente. L'un d'eux coupe un petit village sans en être aucunement altéré, et ressort librement, comme s'il faisait partie des habitants. Nous parvenons finalement à Mto Wa Mbu, ou abondent les boutiques de souvenirs. Les jeeps font halte à proximité d'un vaste magasin ou s'entassent des centaines de peintures et de sculptures. Les filles disparaissent bientôt dans le commerce labyrinthique, au grand dam de mes compagnons, qui sont apparemment un peu groggy par le rodéo tout-terrain, et qui aimeraient maintenant plus que tout pouvoir se délasser sur la terrasse de la piscine du lodge, un rafraichissement glacé à la main. Amusé par cette réaction typiquement masculine, notre chauffeur achète à une vendeuse de rue une grosse grappe de bananes, que nous engloutissons avidement. Je ne peux m'empêcher de penser avec amusement que cette technique pour calmer la grogne doit remonter à bien loin, du temps ou nous étions encore des singes ! Notre jeep s'éloigne de Mto wa Mbu, laissant les filles à leurs souvenirs, et nous rejoignons le lodge, situé à quelques encablures de là, au sud.


La grève mélancolique et désolée du lac Natron. Aucun souffle de vent ne vient troubler l'eau saumâtre, dont la surface étale forme un miroir dans lequel vient se refléter les blancs et les bleus du ciel. Cliquez pour agrandir la photo


Le lac Natron abrite des milliers de flamands, attirés par les eaux riches en micro-organismes, et par la quiétude des lieux. Par endroit, des petites collines arrondies, recouvertes de végétation, et dont les flancs semblent comme grignotés, fondus, dépassent des eaux alcalines du lac. Cliquez pour agrandir la photo


Au fil des ans, les eaux du lac Natron s'évaporent dans l'atmosphère tropicale, augmentant progressivement la teneur de l'eau en sels minéraux, qui précipitent parfois pour former une croûte craquelée blanchâtre. Inéluctablement, le niveau des eaux baisse, et le lac finira un jour par disparaître complètement. Cliquez pour agrandir la photo


Les eaux limpides de la cascade Engare Sero tombent parmi la végétation luxuriante qui s'accroche aux parois d'un canyon encaissé. Sur les hauteurs, les bergers Masaïs amènent parfois des bêtes à paître, tandis que des singes se baladent de branche en branche. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama du lac Natron au levant. Le cône volcanique du Lengaï est bien visible à droite.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Du lac Natron au lac Manyara : Début de la trace depuis le rivage du lac Natron : 07:36:25. Fin de la trace au bungalow du lac Manyara : 17:45:09. Temps écoulé : 10h09. Longueur : 134 km. Vitesse moyenne : 13 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Le rivage du lac Natron et la cascade Engare Sero : Début de la trace depuis le rivage du lac Natron : 07:36:25. Fin de la trace au campement du lac Natron : 13:47:21. Temps écoulé : 6h11. Longueur : 14,5 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 11 (lundi 7 janvier 2013) : Le lac Manyara 


Des girafes en liberté dans le parc du lac Manyara. La Tanzanie est un rêve pour celui qui aime les animaux, et une seule journée de safari dans l'un des grands parcs nationaux permet déjà de voir et d'observer des dizaines et des dizaines d'espèces. Cliquez pour agrandir la photo

En arrivant au lodge érigé sur le bord du lac Manyara, la première question que je me pose avec malice est de savoir si nous allons pouvoir à nouveau bénéficier des bungalows tout confort, dans lesquels certains ont eu la chance de loger la première nuit, en revenant du Kilimandjaro. Hélas, pas de sur-classement cette fois ci, et tant mieux, car les petites huttes dans lesquelles nous sommes installées maintenant ont quelque chose de tellement austère qu'elles en deviennent presque agréables. A l'intérieur de l'espace circulaire, deux petites dalles de béton accueillant un matelas, une ampoule nue au plafond pour tout éclairage, et des fenêtres équipées de moustiquaires. Spartiate, mais largement suffisant.

Tout le monde est occupé à faire ses sacs, car le départ est prévu pour le lendemain. Le soir, le chef nous concocte un repas typiquement tanzanien, avec de l'ugali (farine de maïs cuite à l'eau), ainsi que des haricots rouges et du riz accompagné de saucisses qui se révèlent être des bananes ! A l'extérieur, le vent souffle de plus en plus fort, et des nuages menaçants s'amoncellent dans le ciel obscur. Une pluie lourde se met à tomber, bientôt imité par un gecko, qui, depuis son perchoir (l'une des lampes suspendues au plafond), échoue sans être pour le moins du monde perturbé sur la table. Il est plus que tant de rentrer dans nos abris !

Le lendemain, bagages chargés dans les 4x4, nous prenons la direction de la porte d'entrée du parc national du lac Manyara. Ce dernier ne peut sans doute pas se comparer au Ngorongoro ou au Serengeti, mais il permet cependant d'admirer une faune particulièrement riche, et typique de la Tanzanie. Je retiendrais surtout les dizaines de singes en train de bondir d'arbres en arbres, ou de se prélasser affalé sur une grosse branche, les quatre pattes dans le vide, dédaignant avec une indifférence calculée le passage des véhicules tout-terrain. Un étang situé au milieu du parc permet également d'admirer des hippopotames, qui, bien que régulièrement immergés dans l'eau turbide, acceptent parfois de laisser dépasser un énorme museau, voire même de sortir brièvement du bain de boue la charpente robuste de leur grosse carcasse.

Nous faisons ensuite route pour Arusha, ou nous déposons l'un des nôtres. Certains en profitent pour faire un peu de shopping dans les nombreuses boutiques touristiques qui s'entassent au bord des routes. Puis nous regagnons l'aéroport international du Kilimandjaro. Quelque part, sous les nuages, se dresse la masse immense et inoubliable du plus grand volcan africain. D'un geste, je m'assure que j'ai encore avec moi le petit cristal violet de tanzanite. Ma main se referme sur la petite boîte qui patiente sagement dans la poche supérieure de mon sac à dos. J'ai pris l'habitude de ne pas ramener grand chose de voyage, car j'aime de moins en moins entasser des objets dans le lieu ou je vis. Le minuscule morceau de tanzanite me semble être un compromis parfait. Il me permet de quitter le pays en emportant avec moi une parcelle de l'âme du Kilimandjaro, un zeste de l'âpreté saline du lac Natron, un peu de l'écho du barrissement d'un éléphant rebondissant sur la muraille d'une caldeira, une fraction du rugissement d'un lion déferlant sur les plaines émeraudes, un éclat vital du souffle cosmique de la Nature. Ernest Hemingway a dit du lac Manyara qu'il était le plus beau de la planète. Je pense qu'il se trompe. C'est la Tanzanie tout entière qui est le plus beau des joyaux, les lacs n'en formant qu'une facette.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Le Parc Manyara : Début de la trace depuis le bungalow du lac Manyara : 08:40:41. Fin de la trace au village Masaï : 12:19:36. Temps écoulé : 3h39. Longueur : 42,1 km. Vitesse moyenne : 12 km/h.

Tanzanie


Carte satellite de la Tanzanie, montrant la zone couverte durant le séjour. Les déplacements à pied sont indiqués en rouge et en vert, les déplacements en 4x4 en violet. La masse immense du Kilimandjaro est visible à droite (avec la boucle formée par la voie Machame et la voie Mweka), tandis qu'à gauche il est possible de voir (de bas en haut) le lac Manyara, la caldeira du Ngorongoro et le lac Natron (au sud duquel se trouve le volcan Ol Doinyo Lengaï).

La Tanzanie est un choc. Dans tous les sens du terme. C'est le choc du manque d'oxygène, de l'effort et de la souffrance pour atteindre le toit de l'Afrique. Celui qui accompagne la découverte du travail des porteurs, qui se relayent par centaines sur le volcan pour permettre à quelques touristes privilégiés d'atteindre Uhuru Peak, et d'apercevoir les reliques étincelantes de l'un des plus célèbres glaciers du Monde. C'est le choc de l'inconcevable vitalité de la Nature, qui enserre la terre, les eaux et le ciel, et qui vibre, brutale, violente, éclatante, dans le martellement de milliers de gnous en route vers un sanctuaire connu d'eux seuls, dans l'envol d'une escadrille de flamands roses au-dessus d'un lac salé, dans le repos intemporel d'un lion allongé sur l'herbe grasse, cerné par le rempart circulaire d'une caldeira. C'est le frisson provoqué par la prise de conscience de la masse immense du Kilimandjaro, et du temps qu'il aura fallu à la Nature pour accoucher d'un tel édifice. C'est l'effarement devant la chimie unique de la chambre magmatique du Lengaï, seul volcan sur la planète à cracher des laves calcaires, un phénomène tellement déroutant qu'il semble avoir plus à faire avec la sorcellerie qu'avec la magmatologie. Le Lengaï, qui soulève le voile sur les mécanismes brutaux et fascinants qui ont lieu tout au long du Grand Rift, cette formidable déchirure de la croûte terrestre qui court sur des milliers de kilomètres, et qui est en train de séparer le continent africain en deux. C'est la consternation de traverser des lieux qui sont cités dans n'importe quel livre de géologie ou de paléontologie. C'est l'éblouissement des couleurs de la tanzanite, violet profond, bleu azur ou brun lumineux, une gemme qui n'est extraite que d'un seul endroit sur Terre, le secteur de Merelani situé au pied du Kilimandjaro. C'est le choc visuel des bleus, rouges et violets des tenues traditionnelles Masaïs, peuple de guerriers et de bergers qui, au 21eme siècle, a conservé des traditions qui semblent remonter à la nuit de temps, pour le meilleur, et pour le pire.

Quant elle est verdie par les pluies de la saison humide, cette terre d'émeraude offre des paysages qui coupent le souffle, et stoppent net le flux de pensées qui opprime en permanence l'esprit humain. L'âme est prise de stupeur et connaît un effarement salvateur. Quelque chose ici bouge, qui est immobile ailleurs. A tendre l'oreille, on pourrait entendre un message que la Nature a cessé de délivrer en d'autres endroits, quand elle est anesthésiée par le bruit, le béton, l'abrutissement qui accompagne la répétition des tâches, la torpeur d'un manque de sens. C'est une terre à vif, un tourbillon de sensations et de couleurs, une présence qui assomme, une beauté qui rend muet. Qu'une main veuille la saisir, et déjà elle s'échappe. Elle est ici en liberté, qu'elle courre, saute, vole, nage ou serpente. C'est un choc violet, imprévisible, un coup de poing dans l'estomac, une marque tracé au fer rouge dans les recoins de la pensée. Tanzanie. Rien que le nom est magnifique.

Il m'est souvent arrivé de penser que notre planète a été entièrement découverte, explorée et cartographiée. Que tout a depuis longtemps été dit, documenté, décrit, au travers d'innombrables livres, récits, témoignages, que toute la beauté du monde a été immortalisée au travers de films, recueils de photographies, cartes postales et clichés à encadrer. Et que d'une certaine manière, il est donc un peu vain de vouloir voyager au-delà des frontières, de souhaiter marcher quelques jours sur une terre inconnue, d'aspirer à sillonner timidement un espace étranger, et que pour vibrer et ressentir, il convient de s'exiler vraiment, de partir des mois, en somme de se lancer dans l'aventure fantasmagorique qui est celle de la figure mythique de l'explorateur. J'avais tort. Il y a des endroits du monde ou il suffit de mettre les pieds pour sentir la morsure délicieuse d'un ailleurs maintes fois rêvé, et qui cristallise enfin sous la forme d'une réalité troublante, ou se mire les reflets mauve du minéral, l'ocre sablé d'une crinière, le vert émeraude d'un brin d'herbe. La Tanzanie est l'un d'eux.

Bibliographie

. Dernière mise à jour : 5 mai 2013. Des commentaires, corrections ou remarques ? N'hésitez pas, écrivez-moi!