Cette page relate un voyage effectué sur l'île de la Réunion, du 21 novembre au 3 décembre 2010, par le biais de l'agence Terres d'Aventure. Intitulé "Ile de la Réunion, traversée intégrale", ce circuit de 13 jours proposait d'arpenter à pied "l'île intense". Pour chaque journée, vous trouverez un petit récit qui s'attache à présenter les points que j'ai estimé marquants. Quelques photographies, prises dans leur grande majorité avec un appareil numérique Sony DSC-HX1 (plus rarement avec un DSC-W12), illustrent l'ensemble.
Particularité intéressante si vous désirez replacer ce voyage dans son contexte spatial, j'ai enregistré pratiquement quotidiennement nos déplacements à l'aide d'un GPS Garmin Oregon 400T. Les traces ont été converties pour être exploitables par le fabuleux logiciel Google Earth. Lorsque vous ouvrirez un itinéraire sous ce dernier, vous serez automatiquement positionné au point de départ, à une altitude variant entre 5 et 47 kilomètres, le parcours suivi apparaissant sous la forme d'un ruban rouge (déplacement à pied) ou violet (déplacement motorisé). De nombreux points remarquables (gîte, volcans, etc.) sont indiqués par de petites icônes. La plupart d'entre-elles sont cliquables, ce qui provoquera l'affichage d'une fenêtre comportant souvent une photographie, ainsi qu'une courte description de l'endroit.
Détail supplémentaire, une petite échelle fera son apparition en haut à droite, ce qui vous permettra de rejouer le circuit dans le temps. La position sera alors marquée par une icône verte, qui signalera également le mode de déplacement (à pied ou en bus). Il est possible d'ouvrir les traces les unes après les autres, de manière à suivre l'enchaînement des différentes randonnées jour après jour. L'échelle indique toujours l'heure locale (le décalage horaire était de -3 heures entre la France et la Réunion). Ces traces GPS constituent une excellente alternative aux photographies pour découvrir et suivre notre cheminement sur cette île exceptionnelle.
Jour 1 (dimanche
21 novembre 2010) : A Dos d'Ane
Par le hublot de l'appareil, l'océan indien semblait s'étendre à l'infini, vaste surface étale d'un bleu gris pâle, ponctuée ici et là par les mouchetures blanches de petits nuages. La Terre ne paraissait être qu'un globe d'eau. J'ai eu beau me tordre le cou, impossible d'apercevoir la moindre parcelle de terre. Après une ou deux pressions sur le petit écran frontal placé sur le dossier du siège situé devant moi, j'ai affiché la vue offerte par la caméra frontale du Boeing 777, plein à craquer en cette fin novembre. L'une des pistes de l'aéroport Roland-Garros, construit au nord de l'île, à proximité de la ville de Saint-Denis, a rapidement fait son apparition sur le petit écran. Après une descente impeccable et quelques cahots plus tard, l'appareil s'est immobilisé pour libérer ses passagers, forcément incommodés (en tout cas j'aime à le penser, puisque c'est pratiquement toujours mon cas) par les quelques onze heures de vol.
La toute première impression laissée par une nouvelle région du globe est souvent liée à la nature de l'air telle qu'on la ressent en parcourant la courte passerelle qui relie l'appareil à son terminal. La peau enregistre immédiatement la température et l'humidité de l'air, et dans le cas de la Réunion, les deux atteignaient déjà des valeurs élevées, le choc étant d'autant plus rude qu'en France, l'avion s'était arraché à un automne froid et grisâtre, les températures devant encore plonger après notre arrivée sur l'île.
A peine parvenu à l'extérieur, par delà la plaine du littoral, mon regard s'est porté vers l'intérieur de l'île. Les deux géants étaient invisibles, mais je savais qu'ils étaient désormais tout proche, simplement masqués par les nuages qui s'accrochent souvent aux pics et aux parois volcaniques. Un taxi nous a conduit à un petit hôtel situé au cœur de Saint-Denis, et après un peu de repos, un bus nous a transféré en début d'après midi au petit village de Dos d'Ane, après avoir longé la côte et traversé la ville de Possession, ou le gouverneur Jacques de Pronis pris officiellement le contrôle de l'île en 1642. La route en corniche, qui relie Saint Denis à la Possession, est assez spectaculaire. Située au pied d'une falaise instable, elle doit être entretenue en permanence, ce qui en fait le tronçon de route le plus couteux de France.
Dos d'Ane constitue l'une des portes d'entrée dans Mafate, l'un des trois grands cirques de l'île, disposés à environ 120° l'un de l'autre autour du sommet du Piton des Neiges, comme les feuilles d'un trèfle. De tous les cirques, Mafate est le plus sauvage, le plus sec, le moins habité. Nous allons y passer quatre jours, en portant les affaires indispensables (à l'exception de celles liées au couchage, les couvertures et draps étant fournis dans la plupart des gîtes). Le séjour commence donc très fort, et les premières journées promettent d'être les plus difficiles !
Ayant déplié une carte topographique sur une table, notre guide nous convie à une brève présentation de l'île. Appartenant à l'archipel des Mascareignes, un petit groupe de trois îles (La Réunion, Maurice et Rodrigues) semblables aux îles hawaïennes et situées dans le sud-ouest de l'océan indien, La Réunion est entièrement volcanique. Dernière création d'un point chaud, qui a successivement donné naissance aux intimidantes coulées de lave des Trapps du Deccan en Inde (probablement impliquées dans la disparition des dinosaures il y a 65 millions d'années), puis aux Laccadives, aux Maldives, aux îles Chagos et enfin aux Mascareignes, l'île de la Réunion n'est que la pointe émergée (d'une dimension de 70 km sur 50 km) d'un iceberg de laves. L'édifice prend effectivement appui sur le plancher océanique, situé par 4000 mètres de fond, sa base mesurant 240 km sur 200 km. Un trentième seulement (soit environ 3 %) de la surface est donc à l'air libre, et du plancher océanique au sommet du Piton de Neige, le dénivelé est de 7000 mètres !
Jeune, puisqu'elle est née il y a 3 à 5 millions d'années, l'île de la Réunion est principalement architecturée autour de deux édifices volcaniques majeures : le Piton des Neiges (très rarement enneigé, malgré son nom) et ses flancs affaissés et érodés, qui occupe environ 2/3 de l'île (partie ouest), et le Piton de la Fournaise, qui est l'un des volcans les plus actifs au monde, avec plus de 100 éruptions au cours du siècle dernier (partie est). Les deux unités volcaniques sont séparées l'une de l'autre par deux plaines, la plaine des Palmistes et la plaine des Cafres. L'île elle-même à une forme elliptique, le grand axe étant orienté nord-ouest sud-est.
Désormais éteint (sa dernière éruption remonte à 20 000 ans environ), le Piton des Neiges a été disséqué de façon impressionnante par les forces érosives. Suite à la vidange des chambres magmatiques, ces flancs se sont effondrés sur eux-mêmes pour former trois impressionnantes dépressions, qui ont ensuite été vivement attaquées par les précipitations, donnant naissance à des reliefs spectaculaires et impraticables. Mafate, dans lequel nous allons nous engouffrer en suivant le lit de la rivière des Galets, en constitue le plus parfait exemple. Ses paysages tourmentés, aériens, évoquent un sanctuaire dangereux et sauvage, ou l'homme risque à tout instant de se perdre, victime d'un vertige soudain, ou de l'envoutement d'une végétation exubérante et oppressante, qui recouvre pratiquement tout.
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Trajet depuis Saint Denis vers Dos d'Ane. Début de la trace
depuis Saint Denis : 14:21:51. Fin de la trace à Dos d'Ane : 15:19:46. Temps
écoulé : 0h57. Longueur : 36,7 km. Vitesse moyenne : 38 km/h.
Jour 2 (lundi 22
novembre 2010) :
Mafatigué !
Lorsque le petit bus nous a débarqué la veille à proximité immédiate du gîte de Dos d'Ane, des réunionnais se sont approchés de notre groupe pour nous demander avec curiosité ce que nous comptions faire comme activité. Lorsque je leur ai répondu que le programme prévoyait 4 jours de marche (et trois nuits) dans le cirque de Mafate, l'un d'eux est parti d'un grand éclat de rire, avant d'ajouter avec malice que nous allions vraiment découvrir l'île de la Réunion ...
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le bougre ne mentait pas. La journée a commencé assez tôt, et à 7h45, nous sommes entrés directement dans le vif du sujet, par une descente d'environ trois heures vers la profonde vallée de la rivière des Galets. En contrebas, nous apercevions parfois le lit sinueux et grisâtre du cours d'eau, entouré par des à pics vertigineux, comme tranchés au couteau. Très rapidement, le silence fut rompu par le vrombissement d'un hélicoptère, qui nous a survolé avant de disparaître dans le labyrinthe basaltique. En l'absence de routes, Mafate est effectivement uniquement accessible à pied, ou par voie aérienne. Tôt dans la matinée, pour profiter du ciel bleu dégagé (l'ennuagement des reliefs commençant en début d'après midi), les hélicoptères effectuent de nombreuses rotations, offrant à leurs passagers une vue imprenable sur les lames de laves effilées et les abîmes de Mafate. Certains d'entre eux transportent également les vivres et collectent les déchets, les îlets du cirque étant dotés de nombreux petits hélipads. Durant tout notre court séjour, le ballet des appareils nous a rappelé en permanence à quel point Mafate est une région isolée et coupée du monde.
Après avoir traversé à guet la rivière de Galets, nous avons ensuite entrepris de remonter le long du flanc de l'imposant piton Cabri. A 11h30, l'insolation était déjà importante et le soleil semblait chauffer à blanc les canyons et les ravines. L'air, chargé en humidité, était difficilement respirable, et la progression était de plus en plus difficile. Autour de moi, une végétation tropicale et luxuriante étendait ses frondes, contribuant à l'impression d'asphyxie qui se faisait de plus en plus forte. Une heure et demie de marche plus tard, le petit groupe avec lequel je marchais s'est arrêté près d'une petite source d'eau, mince filet surgissant d'un mur vert. A l'arrêt, j'ai soudain remarqué avec stupeur que je n'arrivais absolument plus à reprendre ma respiration. Pas le moindre souffle de vent pour me rafraichir. Les parois végétales qui m'entouraient semblaient définitivement menaçantes, et le ciel avait commencé à se charger de nuages, chape d'humidité qui semblait s'être refermé comme un couvercle hermétique sur le cirque. La sensation d'étouffement s'est intensifiée ... S'agissait-il du décalage horaire ? Du changement brutal de climat, du passage violent entre l'hiver européen froid et grisâtre et la torpeur de l'été tropical ? De la fatigue accumulée au cours des onze heures de vol, et du manque de récupération malgré une nuit peu agitée à Dos d'Ane ? Des quelques verres de rhum arrangés avalés la veille, et que j'ai consommé avec délice, moi qui ne bois d'habitude que de l'eau ? Toujours est-il qu'une grande faiblesse s'est soudain abattue sur moi, en même temps qu'une prise de conscience aigue de ma situation. La Réunion n'est pas qu'un formidable terrain de jeu pour les marcheurs, c'est avant tout une île, avec tout ce que cela transporte de symboles ...
Sur les 19 personnes, organisées en deux groupes, qui s'étaient inscrites pour ce voyage à la Réunion, deux avaient déjà malheureusement abandonnées : l'une définitivement, la seconde nous ayant rejoint plus tard à Salazie. Plusieurs personnes avec qui j'ai discuté m'ont rapporté avoir durement ressenti le décalage entre la métropole et l'île, et avoir eu besoin d'au moins une journée d'acclimatation à la sortie de l'avion. Reste qu'au delà du chamboulement propre à tout voyage, et des conséquences qu'à ce dernier sur le corps, je reste convaincu que dans mon cas, la nature insulaire de la Réunion a joué un rôle dans mon désarroi et ma désorientation. J'aurai maintes fois l'occasion, dans les jours et les semaines qui ont suivi, de réfléchir à ce qui caractérise en profondeur une île, et aux différences existant avec les grands espaces, que j'affectionne depuis toujours, et qui avaient pour l'instant ma préférence. Pour l'instant, le plus urgent était de se remettre sur pied, et de reprendre la longue progression vers notre destination, un petit village dont le nom m'a semblé de circonstance, Ilet à Malheur.
Finalement, aux environs de 17h00, nous sommes parvenus à un col, et nous avons entamé notre descente vers l'îlet d'Aurère, ou nous avons laissé le premier groupe de marcheurs. Au vu de ma fatigue, j'aurais sans doute du les accompagner et en rester là, mais ma fierté m'a poussé à continuer avec le groupe plus jeune dans lequel j'avais été intégré. Quelqu'un m'en aurait-il fait la remarque que j'aurais d'ailleurs refusé de négocier !
Dans les cirques, les îlets sont des regroupements de cases édifiés sur de petits plateaux, et ils constituent des petits villages à part entière, avec souvent une église, une école, etc. Chaque îlet tire son énergie du soleil, grâce à des panneaux solaires (parfois complétés par des petits groupes électrogènes), et dispose d'un réseau de distribution d'eau, abondante naturellement. Le cirque de Mafate compte 9 îlets. Même si les dispositifs de télécommunication se développent, le courrier est encore distribué à pied, les facteurs de Mafate parcourant chaque jour un nombre impressionnant de kilomètres.
Aurère (qui signifie "bonne terre" en malgache) fut fondé par le premier blanc de Mafate, et vivait surtout de la culture de café, de géranium et de fruits. Le maïs fait désormais partie des plantations. Le nom du second îlet, Ilet à Malheur, fait quand à lui référence au massacre de 1829 perpétré par un groupe de chasseurs d'esclaves blancs contre une quarantaine d'esclaves en fuite (les "marrons"), venus se réfugier dans les hauteurs inaccessibles de Mafate. La nature a depuis longtemps effacé toute trace de la violence aveugle ayant déferlée ici, et l'endroit est aujourd'hui tout à fait charmant. Des cases colorées égayent un petit plateau verdoyant, cernés par des remparts de lave infranchissables. Seul son nom rappelle qu'ici, des hommes épris de liberté ont trouvé la mort face à un pouvoir inhumain.
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Vers Ilet à Malheur. Début de la trace
depuis Dos d'Ane : 07:40:27. Fin de la trace à Ilet à Malheur : 17:48:10. Temps
écoulé : 10h07. Longueur : 15,1 km. Vitesse moyenne : 1,5 km/h.
Jour 3 (mardi 23
novembre 2010) :
Die Another Day
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Les immenses lames de lave volcaniques qui entouraient Ilet à Malheur se détachaient majestueusement sur un ciel bleu azur, d'une pureté indéfinissable. Assis sur une petite pierre au beau milieu de ce petit village de montagne hors du temps, j'ai attendu avec mes compagnons que le groupe laissé la veille à Aurère nous rejoigne après une courte marche d'environ 40 minutes.
Une fois réunis, nous avons entamé la journée la plus difficile du circuit. Le groupe venant d'Aurère devait rejoindre l'îlet des Lataniers, situé déjà à bonne distance. Quand à mon groupe, une fois les Lataniers dépassés, nous devions encore marcher pendant trois heures pour atteindre l'Ilet de Roche Plate, situé à 1100 mètres d'altitude, le long du vertigineux rempart du Maïdo. Mon GPS a enregistré le dénivelé total parcouru ce jour là, et les chiffres sont éloquents : 1200 mètres de dénivelé négatif, et 1500 en positif ! Même si le signal s'est parfois dégradé lors de passages sous un couvert forestier particulièrement dense, provoquant des déplacements erratiques dans les trois dimensions de l'espace de ma position, ces chiffres sont globalement juste, et s'accordent parfaitement au ressenti, lorsque nous avons débarqué, certains légèrement exténués, un peu avant 19h00, à Roche Plate. La table du gîte était déjà dressée et un groupe de randonneurs nous attendait avec impatience pour commencer le repas. Mais voir débarquer des retardataires, lampes frontales déjà allumées, est apparemment un spectacle courant à Mafate ...
Depuis Ilet à Malheur, nous avons progressé plein sud en franchissant une série de ravines, avant d'obliquer plein ouest pour rejoindre l'Ilet de Grand Place, ou nous avons déjeuné vers 13h00. Ce village s'étage sur trois niveaux : Grand Place les Hauts, Grand Place boutique, ou il est possible de se ravitailler, et enfin Grand Place les Bas, surnommé aussi Cayenne. Désireux de trouver un peu de tranquillité, nous avons dépassé les cases de Cayenne pour nous arrêter le long d'un sentier herbeux. Un petit près carré, arrosé par des sprinklers, était situé quelques mètres plus loin. Pour des campeurs peu soucieux de se faire mouiller, l'endroit aurait été idéal pour poser une tente, si ce n'était la présence d'un panneau mentionnant l'interdiction d'occuper ce bout de terre, réservé à l'atterrissage des hélicoptères. L'un des sprinklers faisait un peu de zèle et nous gratifiait parfois d'une averse miniature, qui, l'espace d'un instant, rendait plus supportable l'air moite qui baignait l'îlet.
Une fois restauré, nous avons effectué une large boucle pour franchir la vallée nous séparant de l'îlet des Lataniers (atteignant ainsi l'altitude la plus basse de la randonnée), que nous avons rejoint à 15h30 environ. L'un des groupes s'est éparpillé dans l'îlet, tandis que nous regroupions nos forces pour attaquer les trois dernières heures de marche qui nous attendaient. La première heure s'est déroulée sans trop d'effort, le long d'un sentier qui montait régulièrement sans montrer le moindre signe d'inflexion. Les choses se sont vraiment corsées après les 400 premiers mètres de dénivelé depuis Les Lataniers. Le sentier a commencé à grimper furieusement le long d'une arête vive de roches noires, à grand renfort d'escaliers, connus pour leur capacité à briser le rythme de la marche. L'endroit a vite été désigné sous le nom de "Machu Pichu", en raison à la fois du panorama somptueux et de la nature aérienne des reliefs. Courbé sous l'effort, les yeux rivés au sol, j'ai peu à peu cessé de regarder les paysages dantesques qui m'entouraient. Pour ma part, j'avais rebaptisé le sentier "l'escalier de la mort", et les 300 derniers mètres de dénivelé ont été un calvaire à parcourir, la fatigue accumulée durant la journée n'aidant pas à la progression.
Finalement, nous sommes parvenus à un col donnant sur un à pic vertigineux de plusieurs centaines de mètres. Un sentier accroché à la paroi, équipé d'un câble, courrait le long du vide, que la baisse de luminosité et l'accumulation de lourds nuages dans le ciel rendait passablement menaçant. Nous avons traversé rapidement le passage scabreux, et après un peu plus d'une demi heure le long d'un sentier en sous bois, nous sommes arrivés à l'îlet de Roche Plate, dominé par les 1200 mètres de verticalité du formidable rempart du Maïdo.
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Vers Roche Plate. Début de la trace
depuis Ilet à Malheur : 08:13:54. Fin de la trace à Roche Plate : 18:55:19. Temps
écoulé : 10h41. Longueur : 19,4 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 4 (mercredi 24
novembre 2010) :
La Nouvelle, capitale de Mafate
La journée de la veille ayant été légèrement fatigante, nous nous sommes permis de prendre un peu de repos supplémentaire. Courte grasse matinée en vérité, car le soleil s'est mis à briller très tôt dans le ciel de Mafate, et ses rayons éclatants ont eu tôt fait de nous réveiller. Comme si cela ne suffisait pas, le ballet des hélicoptères a repris, et nous avons pu admirer, depuis les fenêtres du gîte, la dépose d'une charge lourde par un appareil de la société Hélilagon, qui a atterri sur un hélipad situé à quelques dizaines de mètres de là.
J'ai pour ma part été assez impressionné par la maitrise dont à fait preuve le pilote durant la manœuvre. Après s'être approché lentement de la zone de l'hélipad, simple carré de verdure, il a délicatement déposé le gros sac cubique qu'il transportait, puis, en reculant lentement et en prenant garde au câble, il a tout simplement posé à son tour l'hélicoptère en retrait de la charge. La porte de l'hélicoptère a claqué, et le pilote est rapidement sorti pour détacher la cargaison, avant d'en amarrer une autre. L'hélicoptère a ensuite redécollé à la verticale, faisant monter en dessous de lui le câble porteur puis le paquetage. Un virage, et la libellule de métal a disparu dans un ciel d'azur vers l'intérieur du cirque. Le pilote a apparemment effectué l'ensemble de la manœuvre seul, alors que j'étais persuadé que ce genre de dépose nécessitait le concours d'au moins deux personnes. La disparition d'un pilote chevronné et de son passager en juin dernier dans Mafate rappelle que l'héliportage reste une activité aussi indispensable à la vie des Mafatais que risquée ...
C'est finalement vers 9h30 que nous nous sommes mis en route le long de la spectaculaire muraille de lave du Maïdo, mur de 1000 mètres de haut d'une verticalité presque parfaite, et qui ferme à l'est le cirque de Mafate. Après un peu moins de deux heures de marche, nous avons obliqué à l'ouest pour nous diriger vers la cascade de Trois Roches. La rivière des Galets donne ici naissance à une jolie chute d'eau, et une vaste dalle rocheuse polie par les courants invite tout naturellement le voyageur au farniente. Après un rapide déjeuner, nous nous sommes remis en route, et un sentier assez raide nous a conduit à la Plaine Aux Sables. L'impression produite par le paysage de ce secteur est étonnante. Pour une raison quelconque, la végétation qui règne en maitre à Mafate a cédé ici du terrain, pour laisser place à un sol nu qui semble sableux et stérile. Un petit sentier ocre permet de traverser rapidement la plaine, et le voyageur, un instant convaincu d'être arrivé à la lisière d'un désert, replonge à nouveau sous l'ombre du couvert forestier.
Vers 15h30, l'un des membres de notre groupe nous a quittés pour rejoindre le gîte Gravina, composé d'un petit groupe de bungalows colorés serrés les uns contre les autres. Indifférent aux randonneurs, des poules caquetaient dans un joli potager, l'ensemble évoquant un havre de paix, perdu dans l'espace et le temps. Le reste du groupe a poursuivi pour aboutir, après un peu moins d'une heure de marche, à l'îlet de la Nouvelle. Considéré comme la capitale de Mafate (environ 130 habitants), à cause de son étendue et de sa position centrale, la Nouvelle est un lieu animé et populaire, qui étourdit un peu par son côté "ville", surtout après plusieurs jours passés dans la solitude qui caractérise le cirque.
D'accès aisé, l'endroit est touristique et offre de nombreuses commodités : boulangerie, épicerie, camping, tables d'hôte, dortoirs communs en gîte ou joli bungalow individuel, il permet à chacun de trouver chaussure à son pied. Le restaurant, quelque peu bondé et bruyant, dans lequel nous avons diné nous a permis de découvrir un nouveau plat : le gratin de chouchou. Cette cucurbitacée semblable aux courgettes produit un fruit oblong de couleur vert pâle qui ressemble à une poire fripée. Le chouchou est très apprécié à la Réunion, et se retrouve dans des gratins, des caris, des soupes, des salades, des gâteaux, des confitures. Les feuilles de chouchou (brèdes), cuites au four ou à l'eau, se consomment comme des haricots ou se dégustent en tartes. Les tiges desséchées servent quant à elles à la fabrication de chapeaux de paille. Originaire du Mexique, le chouchou s'est particulièrement bien acclimaté à la Réunion, à tel point qu'il est considéré comme une espèce envahissante, même si ses capacités invasives sont oubliées quand on le consomme ! Un peu comme la Nouvelle, dont l'activité touristique s'oublie bien vite quand on lève les yeux et que l'on se rappelle soudain que l'on est au beau milieu d'un cirque sauvage et majestueux, sur une île perdue au milieu de l'Océan Indien ...
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Vers la Nouvelle. Début de la trace
depuis Roche Plate : 09:30:19. Fin de la trace à la Nouvelle : 16:19:11. Temps
écoulé : 6h49. Longueur : 10,2 km. Vitesse moyenne : 1,5 km/h.
Jour 5 (jeudi 25
novembre 2010) :
Grand Ilet, cirque de Salazie
Il est 9 heures du matin lorsque nous quittons l'îlet de la Nouvelle, laissant derrière nous le cirque de Mafate pour nous diriger plein est vers celui de Salazie, séparé du premier par le col de Fourche. Mafate, que nous explorons depuis déjà 4 jours, va nous réserver une dernière surprise. Après environ une heure de marche, s'ouvre devant nous l'étrange et inquiétante Plaine des Tamarins.
Cette forêt, qui occupe un vaste plateau dégagé, est constituée en grande majorité de tamarins des Hauts, un arbre endémique de l'île de la Réunion, qui se développe entre 1200 et 2200 mètres d'altitude. Son bois se révèle très résistant aux outrages du temps, d'ou son utilisation pour fabriquer des bardeaux, ces petits rectangles semblables à des tuiles qui recouvrent les toitures et les façades des cases.
Petits, recroquevillés sur eux-mêmes, dotés de branches souvent difformes et tordues, les tamarins semblent luire d'une étrange lumière argentée. Le côté fantastique de la forêt de Tamarins des Hauts est encore renforcé par les lichens filamenteux vert pâle qui pendent des branches tels des cheveux de sorcière, ainsi que par la brume qui s'accroche en permanence au plateau, noyant les arbustes dans une vapeur humide et cotonneuse. Les arbres semblent appeler le voyageur à se perdre, à se dissoudre parmi les silhouettes noires et noueuses des troncs.
Le brouillard nous environne bientôt de toute part, et seul le sentier nous guide désormais à travers le dédale végétal. Vers 11h30, nous parvenons au col de Fourche, point de passage entre d'un côté le cirque de Mafate, et de l'autre le cirque de Salazie. Droit devant nous se dresse un éperon rocheux recouvert par la végétation. Pendant quelques secondes, il semble trancher la brume au couteau, et l'instant d'après, il disparait comme par magie dans le néant blanc.
Jetant un coup d'œil du côté salazien, je m'aperçois que la situation n'est guère différente. De ce côté aussi toute la montagne fume, et les nuées de brouillard montent à l'assaut des pentes, recouvertes d'une végétation impénétrable de petits arbustes, de fougères arborescentes, de troncs élancés ou trapus, égaillée ici et là par les corolles de fleurs multicolores. Les capes de pluie s'imposent bientôt, et c'est sous les gouttes d'eau que nous basculons pour la première fois dans Salazie.
Tout comme Mafate, l'origine du nom Salazie reste controversée. Il viendrait selon certains du nom d'un esclave prénommé Salazie qui s'y serait réfugié. Pour d'autres, il serait dérivé d'un mot malgache utilisé pour désigner le trépied d'une marmite. Le mot malgache "salazane", signifiant "pieu" ou "piquet" pourrait être une référence directe aux trois Salazes, un ensemble de chicots rocheux qui semblent monter la garde telles des sentinelles sur les hauteurs. Ces derniers sont situés sur la ligne de crête allant du Gros Morne au Grand Bénare, et séparant le cirque de Cilaos de Mafate. Enfin, Salazie pourrait aussi signifier "bon campement". Des trois cirques de l'île, c'est effectivement le plus humide, le plus accessible et le plus peuplé. L'importante pluviométrie explique l'exubérance de la végétation, ainsi que les nombreuses cascades qui entaillent les parois de basalte. Accueillant 25 villages, les habitants de Salazie vivent de l'élevage de petits bétails, ainsi que de la culture de diverses espèces, dont certaines en serres : tomates, poivrons, concombres, pommes, café, tabac, et bien sûr cannes à sucre et chouchou.
Après un rapide pique nique le long d'un sentier forestier bordé de fougères arborescentes et de cryptomeria (un conifère originaire d'Extrême-Orient, introduit à la Réunion pour reboiser certains secteurs), nous avons rapidement progressé vers le nord jusqu'à rejoindre les lacets d'une route goudronnée (étant absentes à Mafate, j'en avais pour ma part presque oublié l'existence !). Bien que plus accueillant que Mafate, le cirque de Salazie n'est en pas moins soumis aux fléaux naturels, que ce soit le passage de cyclones ou les glissements de terrains. A au moins un endroit le long de la route en épingle à cheveux qui nous a conduit vers Grand Ilet, nous avons pu observer la déformation de la chaussée. L'érosion continue bel et bien de creuser les cirques volcaniques, comme peuvent en attester les cantonniers affectés au maintien des routes ...
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Grand Ilet, cirque de Salazie. Début de la trace
depuis la Nouvelle : 08:43:13. Fin de la trace à Grand Ilet : 16:13:50. Temps
écoulé : 8h00. Longueur : 15 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 6 (vendredi
26
novembre 2010) :
Hell Bourg, paradis plus qu'enfer
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Nous quittons Grand Ilet de bon matin, vers 8h00, sous un ciel bleu azur, pour nous diriger plein sud vers le secteur de Grand Sable, dominé par la pointe du Gros Morne. En 1875, un pan énorme de roche, de forme pyramidale, se détacha du sommet et enseveli l'îlet de Grand Sable, ensevelisant presque la totalité de ses habitants. Nous parvenons sur place après 2 heures de marche, et obliquons à l'est, le long d'un magnifique chemin ombragé, qui coupe presque en ligne droite, sur près de 500 mètres, le couvert forestier. Le sentier continue au sud, et une passerelle suspendue permet de franchir la rivière Bras Sec.
Nous passons alors au plus proche du Piton d'Anchaing, cône vert au sommet tronqué qui est probablement l'un des reliefs les plus emblématiques de Salazie. Ce Piton est nommé en hommage à Anchaing, un esclave cafre qui, amoureux d'une jeune esclave nommée Héva maltraité par son maître, décida de s'y réfugier en sa compagnie. Sur les hauteurs prétendument inaccessibles du Piton, ils survécurent, heureux et libres. La légende veut qu'ils aient eu des enfants. Cependant, leur maître, blessé dans son orgueil par leur fuite, décida de lancer sur les traces des fuyards un redoutable chasseur d'esclaves. Rattrapé par le mercenaire, Anchaing fut laissé pour mort. Le maître, dont les forces déclinait chaque jour, ne fut cependant pas satisfait, et, tourmenté par la jalousie, renvoya le chasseur capturer la belle Héva. Le couple d'esclaves marrons, ainsi que leurs enfants, furent finalement rattrapés et fait prisonniers. A leur retour dans le domaine du maître, ils apprirent que ce dernier avait succombé, et furent rendus à la liberté par la fille de ce dernier. Par reconnaissance, ils travaillèrent un moment dans l'exploitation, avant de ressentir à nouveau l'appel de la montagne. Une fois revenu sur le Piton, ils y vécurent pour finalement y mourir. A la Réunion, l'histoire d'Anchaing et d'Héva est un mythe fondateur, auquel se réfèrent tous ceux qui, épris de liberté, ont décidé de lutter contre leur joug.
Depuis la passerelle, nous sommes descendus en direction du sud est pour arriver vers 13h30 aux anciens thermes d'Hell Bourg. Si les thermes eux-mêmes sont en ruine, l'endroit, parfaitement entretenu, est très bucolique. Après avoir déjeuné, nous avons rejoints le charmant village d'Hell Bourg, situé tout à côté.
Si son nom semble évoquer un passé marqué par de terrifiants épisodes (Hell signifie enfer en anglais), à l'instar d'Ilet à Malheur dans le cirque de Mafate, il n'en est en fait rien. Le village porte simplement le nom d'un ancien gouverneur de la Réunion, Anne Chrétien Louis de Hell. Pittoresque et fleuri, c'est un lieu calme et reposant, qui doit d'ailleurs sa naissance à la découverte, en 1832, de sources thermales aux vertus thérapeutiques. Dix années plus tard, un village s'érige à proximité des sources, qui seront exploités par un établissement thermal en 1952. Le lieu devient mondain, et de riches propriétaires construisent de superbes cases créoles. Hell Bourg perdit ensuite de son prestige, et à partir de la moitié du 20ème siècle, le village subit une sévère désaffection, principalement à cause d'un tarissement et d'une baisse de la minéralisation des eaux, et de la concurrence de la station de Cilaos, située dans le cirque du même nom. Le coup de grâce est porté par un cyclone, qui bouche les sources sous un éboulement. A coups d'explosifs, les habitants tenteront de les faire rejaillir, aboutissant au résultat inverse. Définitivement obstruées, les sources thermales d'Hell Bourg, qui avaient donné au village ses lettres de noblesse, ne couleront plus. Des thermes, il ne reste aujourd'hui que des ruines, escaliers colonisés par la végétation, réservoirs rouillés aux parois rivetées, pans de mur délabrés recouverts de carrelages brisés et pièces métalliques éparses ...
Hell Bourg a conservé de nombreuses cases construites au moment de son apogée, et qui constituent aujourd'hui, avec son cimetière fleuri, son principal intérêt. Il suffit de marcher tranquillement dans les rues du village pour admirer ces superbes demeures, cases modestes ou villas bourgeoises. Le visiteur notera également la présence de guetali, des petits kiosques en bois élevés à l'angle des rues, et dont les panneaux ajourés permettaient à son occupant d'observer sans être vu. Ils étaient en particulier utilisés par des jeunes filles de bonne famille pour épier en toute discrétion d'éventuels prétendants ...
L'une des villas d'Hell Bourg, la maison Folio, peut se visiter pour une poignée d'euros. Outre la demeure construite en 1870 et ses trésors, la visite permet de découvrir toute la richesse florale de la Réunion (orchidées bien sûr, mais aussi plantes médicinales, carnivores, etc), au travers d'un magnifique jardin. La villa est également flanquée de deux pavillons qui jouaient le rôle d'office et de quartier des esclaves, ainsi que d'un guetali qui servait aux réceptions. Divers ustensiles d'époques (dont il faut deviner l'usage) ainsi que plusieurs essences de bois remarquables sont présentés dans la visite. Lorsqu'on la découvre, la villa Folio procure une étrange sensation. Celle de quitter la réalité de notre siècle pour se retrouver transporté dans un passé fantasmé, ou les corsaires volaient des lits à baldaquins à des navires anglais de la Compagnie des Indes, ou de vieilles femmes courbés tressaient patiemment des chapeaux avec des tiges desséchées de chouchou, ou chaque meuble, coffre superbement ouvragé ou commode en bois de rose, avait une histoire et une noblesse. Saviez-vous que le camphre est tiré d'un bois ? Que la vanille est une orchidée qui doit être pollinisée manuellement ? Durant notre parcours dans le jardin tropical, notre hôte n'a pas cessé de multiplier les métaphores, comparant les coroles multicolores à la beauté des jeunes femmes, tout en rappelant l'instant d'après, en passant devant une fleur d'amandier, combien leur compagnie peut tourner à l'amère. Que ce soit à l'intérieur de la villa créole, ou sous les frondes végétales, je n'ai pu me départir de cette intrigante sensation d'être mis face à un passé, qui bien que révolu, parvient encore, par mille artifices et effluves, à s'exprimer et à troubler ...
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Hell Bourg. Début de la trace
depuis Grand Ilet : 08:01:24. Fin de la trace à Hell Bourg : 14:42:16. Temps
écoulé : 6h41. Longueur : 13,2 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 7 (samedi
27
novembre 2010) :
La forêt de Bélouve
Ce matin comme la plupart des précédents, nous partons vers 8h00, en direction d'un vaste plateau situé à l'est et sur lequel s'étend la forêt de Bélouve. Le sentier traverse Hell Bourg, puis rapidement, devient escarpé. Les troués dans le couvert forestier offrent une vue imprenable sur le cirque de Salazie.
Sur le sentier, nous croisons un petit monument voué au culte de St Expedit. Ce commandant d'une légion romaine (La Fulminante) est mort en martyr en 303, décapité, refusant de renier sa foi. Après la première guerre mondiale, il commence à faire l'objet d'un culte païen toujours très vivace, malgré la désapprobation de l'église. Plus de 350 oratoires, le plus souvent des petites niches peintes en rouge, abritant une statue du Saint et décorés de fleurs en plastiques, de bougies, d'ex voto, sont disséminés sur l'île. Les réunionnais prient St Expedit pour des affaires urgentes, que ce soit protection ou désir de vengeance sur autrui. La devise du légionnaire, "plutôt aujourd'hui que demain", plaît beaucoup aux habitants de l'île. Il faut noter toutefois que si la faveur accordée par ce Saint n'est pas jugée suffisante, le floué n'hésite pas parfois à enlever la tête de la petite effigie !
La légende entourant St Expedit me plaît assez, et je ne peux m'empêcher de faire un vœu, très simple, simplement du beau temps pour les jours à venir. Comme nous le verrons par la suite, St Expedit n'exaucera pas mon souhait en ce qui concerne le Piton des Neiges. A ce moment là, la pensée d'aller lui couper la tête m'a traversé, mais j'ai finalement décidé de refreiner mes envies de vandalisme vengeur. Toujours est-il qu'il semble m'avoir entendu avec un peu de retard (ou a-t-il simplement craint des représailles ?), si l'on considère le temps magnifique dont nous avons profité une fois dans le secteur de la Fournaise ...
D'une manière générale, les religions jouent un grand rôle dans la vie des réunionnais, et les différents cultes, chrétiens, hindous, musulmans, pour n'en citer que quelques-uns, coexistent sans pratiquement aucune friction. La sorcellerie est également présente, et fait partie du folklore créole. Ainsi, des réunionnais continuent de déposer régulièrement des offrandes (cigarettes, rhums, fruits, fleurs, coqs noirs sans tête) sur la tombe de Sitarane à Saint-Pierre, un sinistre mozambicain qui passait pour un sorcier et qui fut décapité en 1911 pour avoir assassiné, avec une bande de malfrats, de nombreuses personnes au cours de meurtres rituels. Un certain Mr Zett fut également décapité à Salazie au début du 20e siècle après avoir commis une série de viols et de pillages. Effrayés par la perspective d'être tourmenté par son fantôme, les réunionnais envoyèrent sa tête loin de là, à Saint-Denis.
Après environ deux heures de montée et 550 mètres de dénivelé, nous parvenons au sommet du plateau, à proximité d'un gîte ou nous dormirons deux nuits. La journée sera assez tranquille en termes de dénivelé. Excepté le sentier permettant de se hisser sur le plateau de la forêt de Bélouve, le reste de la randonnée va se dérouler sur un terrain relativement plat.
Une fois nos sacs allégés, nous sommes prêts pour découvrir la forêt de Bélouve. Un sentier bien entretenu pénètre dans les bois, et permet de rejoindre le fameux trou de fer. Les arbres nous entourent bientôt de toutes parts. Cette forêt primaire humide possède une flore très riche : fougères arborescentes géantes (Fanjans) dont certains spécimens peuvent atteindre 10 mètres de haut, tamarins des Hauts aux troncs tordus qui constitue l'essence dominante, et qui sont souvent colonisés par des plantes épiphytes (dont des orchidées), bois de couleurs endémiques, cryptomeria du Japon, etc. Le sol, assez boueux, ralenti parfois la progression, mais de nombreuses passerelles et caillebottis en bois permettent de se déplacer aisément, tout en protégeant la végétation d'un écrasement certain sous les semelles des chaussures.
A midi, nous débouchons sur le belvédère du Trou de fer, une formidable dépression géologique de 300 mètres de profondeur, dans laquelle dévalent des cascades dont les eaux viennent grossir la rivière du bras de Caverne. Nous avons de la chance, car l'endroit, généralement noyé sous la brume, est parfaitement dégagé. Le creusement du massif rocheux est impressionnant, et le trou de fer semble totalement inaccessible. Il est cependant envisageable d'y descendre en rappel, à condition d'être téméraire et expérimenté. Si l'on désire garder les pieds au sec, il est également possible de frissonner en s'offrant un survol - couteux - en hélicoptère.
Nous rebroussons chemin en suivant d'abord le même sentier qu'à l'aller, que nous quittons ensuite pour entamer une petit boucle. A 13h00, nous faisons halte dans une jolie clairière, à proximité de la Grande Mare. Plus loin, les tamarins des Hauts ont repris possession des sols, et l'horizon est barré par le rempart de la forêt de la Plaine des Lianes. Nous finissons la journée assez tôt, à 15h00, en retrouvant le gîte de Bélouve.
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La forêt de Bélouve. Début de la trace
depuis Hell Bourg : 08:14:40. Fin de la trace à Bélouve : 15:21:02. Temps
écoulé : 7h06. Longueur : 12,7 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 8 (dimanche
28
novembre 2010) :
Le Piton des Neiges
A 8h00, sous un ciel parfaitement bleu, nous quittons le gîte de la forêt de Bélouve pour nous diriger vers le refuge de la caverne Dufour, point de passage obligé pour tous les randonneurs qui désirent atteindre le sommet du Piton des Neiges pour y admirer le lever du soleil, spectacle féerique s'il en est. Le chemin du Cap Anglais, qui longe en direction du sud ouest le rempart délimitant le cirque de Salazie, conduit tout droit à ce dernier. Le temps est au beau, même si quelques nuages s'accrochent déjà sur les principaux reliefs. Le ciel va cependant se couvrir assez rapidement, et après deux heures de marche, un brouillard épais et humide nous entoure, masquant le paysage alentour, qui n'apparaît plus que de façon fugace et partielle, lorsque les vents parviennent, un court instant, à déchirer le voile cotonneux qui s'accroche au plateau. Vers 11h00, quelques gouttes de pluie commencent à frapper le feuillage. Nous sommes au lieu dit du Cap Anglais, et décidons de piquer niquer rapidement sous nos capes de pluie, abrités tant bien que mal par quelques arbres.
Le second groupe ayant fini par nous rejoindre, nous leur laissons la place et nous remettons aussitôt en route. Avec l'altitude, le brouillard commence à se dissiper, et nous cheminons bientôt à travers une vaste lande principalement occupée par de petits arbustes trapus et ligneux, les branles, qui sont assez proches de la bruyère. Blottis sur le flanc du Piton, nous apercevons les constructions du refuge, que nous atteignons assez tôt, vers 14h00, après environ un kilomètre de dénivelé. Le gîte n'est pas encore ouvert, et j'en profite pour déballer mon sac à dos sur une petite terrasse en bois, histoire de faire un peu de rangement.
Situé à 2478 mètres d'altitude, le refuge de la caverne Dufour est composé d'un bâtiment principal vert pâle, de deux tentes blanches et d'une petite annexe en bois. Possédant une capacité d'accueil de 64 personnes, il est très souvent complet, le Piton des Neiges étant une attraction incontournable à la Réunion. Pour notre part, nous sommes logés dans l'un des quatre dortoirs (48 places), équipés de lits superposés à trois niveaux. Les deux tentes peuvent accueillir 16 personnes supplémentaires. Il est également possible de camper à proximité du gîte, les randonneurs pouvant utiliser un petit coin cuisine avec réchaud et évier. Le refuge est chauffé, les couvertures fournies, mais le confort est rudimentaire, surtout lorsque la pluie se fait désirer. Lorsque nous sommes arrivés, il n'avait pas plu depuis pratiquement une semaine, et les douches (froides) ainsi que les sanitaires étaient fermés. Une situation qui n'est pas sans poser quelques désagréments, car étant donné le niveau de fréquentation, certains secteurs situés aux alentours du gîte deviennent rapidement "minés", et au fil des jours, il faut s'éloigner de plus en plus pour trouver des endroits propres.
Vers 19h00, la grande salle servant à la restauration est pleine à craquer, et ses vitres sont vite embuées. Malgré le froid mordant régnant à l'extérieur, il faut rapidement se dévêtir. Les gardiens du refuge nous servent un succulent rougail saucisse, plat typique de la Réunion, arrosé de rhum arrangé. Après un repas aussi copieux, je me hâte vers mon lit. La nuit va effectivement être courte, avec un levé prévu pour 3h30. Le sommet du Piton des Neiges n'est qu'à une heure et demi de marche environ, mais il vaut mieux prévoir large : il serait en effet dommage d'arriver là haut après le lever du soleil ! C'est donc plein d'espoir que je m'endors, encouragé par le ciel étoilé que nous avons admiré en sortant du mess, et quelque peu aidé par le rhum. Ai-je rêvé d'un pic de lave aux arêtes tranchantes, pointant au travers d'une mer de nuages ? De la lumière jaune pâle d'un soleil encore timide, en train de gagner, lentement mais inexorablement sur l'ombre et les ténèbres ? Je ne saurais le dire, mais lorsque je me suis réveillé vers 3h00, je me rappelle parfaitement que mon esprit n'a pas voulu tenir compte du fin et régulier crépitement qui frappait le toit ...
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Refuge de la caverne Dufour. Début de la trace
depuis le gîte de la forêt de Bélouve : 08:07:46. Fin de la trace au refuge de
la caverne Dufour : 13:49:25. Temps
écoulé : 5h42. Longueur : 8,7 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 9 (Lundi
29
novembre 2010) :
Le Piton de la Pluie
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La plupart des randonneurs entassés dans les différents dortoirs du refuge semblaient s'être rendus à l'évidence, et continuaient de dormir, ou venaient juste de se renfoncer à nouveau sous les couvertures. Pour ma part, j'ai rassemblé mes affaires, allumé ma lampe frontale, et je suis descendu de mon perchoir, provoquant quelques grognements dans la chambrée. L'affaire est déjà réglée, mais malgré la pluie qui tombait désormais sans discontinuer, j'ai décidé de me réveiller à l'heure prévue, et je gardais espoir qu'une amélioration de la météo allait finalement nous permettre de nous élancer malgré tout à l'assaut du Piton des Neiges.
Il est 3h20, et la grande salle attenante aux dortoirs est presque déserte. Nos deux guides, Frédéric et Claire, sont attablés à une table, l'air encore endormi, comme les rares personnes déjà debout. De l'eau a été mise à bouillir sur un réchaud, et j'engloutis rapidement une tasse de café et une paire de petits pains, histoire de me réveiller. Frédéric n'est pas optimiste sur l'évolution du temps, et les vestes imperméables ruisselantes de pluie de ceux qui s'aventurent dehors ne laissent effectivement rien présager de bon. Je refuse néanmoins de regagner mon lit.
A l'extérieur, aucune étoile n'est visible, et un ciel noir, menaçant, chargé de nuages, recouvre l'ancien volcan. La pluie tombe sans discontinuer, mais les gouttes sont presque invisibles dans le faisceau blanc de la frontale. Les réunionnais appellent ça de la farine de pluie, et le terme est parfaitement trouvé. Cela fait des jours et des jours qu'il n'a pas plu sur le refuge, et les réservoirs servant aux sanitaires vont enfin pouvoir se remplir. Cependant, pour l'instant, ces derniers ne sont toujours pas fonctionnels, et il faut encore s'éloigner à bonne distance du refuge et s'enfoncer dans la lande.
Le refuge n'est désormais plus qu'une silhouette grisâtre qui se fond dans l'obscurité, et dont la présence n'est plus marquée que par l'éclairage qui filtre à travers les fenêtres de la salle hors sac. Ma frontale projette un fin cône de lumière qui perce les ténèbres, illuminant les tiges ligneuses et tordues des brandes. A chaque instant, le pinceau lumineux met en évidence des milliers de petites gouttelettes qui semblent avoir leur vie propre et qui scintillent brièvement, avoir de retourner dans la nuit. La veille, dans la même situation, un ciel sans nuage m'avait permis d'admirer des myriades d'étoiles, joyaux stellaires que l'homme a tenu à relier en figures. Rigel la bleue et Betelgeuse la rouge dans la constellation d'Orion, le groupe des Pléiades, Aldébaran la sanguine dans la constellation du Taureau ... Surpris comme souvent par ma propre insignifiance devant une telle immensité, je suis toujours en même temps fasciné par la beauté insondable de notre Univers. Le ciel était certes désormais entièrement masqué par les nuages, mais recroquevillé dans l'obscurité, hypnotisé par la farine d'eau qui dansait sans fin dans le cône de lumière projeté devant moi, la même fascination inquiète quand à la véritable nature de notre Monde m'a à nouveau envahi.
Assis sur une table, lisant quelques pages ou grignotant un biscuit, somnolant allongé sur un banc, les heures se sont lentement écoulées. L'aube a fini par arriver, et nous sommes sortis pour y assister. Le lever du soleil au sommet du Piton des Neiges est vraisemblablement un spectacle d'une grande beauté, mais nous n'avons eu droit pour notre part qu'à une aurore famélique et livide, un mince trait de lumière grisâtre et sale qui est venu souligner un horizon trop proche. La pluie tombait avec moins d'intensité, mais un brouillard l'avait remplacé, recouvrant la lande d'une nébulosité froide et blanche. Quelques courageux s'étaient mis en route pour le sommet, habillés de sacs poubelles en guise de cape de pluie, mais ils n'ont pas mis longtemps à revenir. Une ou deux autres personnes, mieux équipées, se sont rapprochées du Piton, mais n'ont rien vu d'autres que des roches détrempées émergeant de la brune. Moi et deux ou trois personnes de mon groupe avons bien tenté, en vain, de faire fléchir nos guides, prétextant que le sommet n'était de toute façon qu'à une bonne heure de notre position et qu'à défaut d'y voir goutte, nous aurions au moins la sourde satisfaction d'y être allé, mais nous sommes finalement restés au refuge. Les dortoirs se sont vidés, et tout le monde a commencé à prendre son petit déjeuner dans une ambiance maussade.
Finalement, à 9h30, nous avons quitté le refuge de la caverne Dufour pour entamer une longue descente vers le sud ouest, de façon à rejoindre la ville de Cilaos, ainsi que le troisième et dernier cirque de l'île. Le sentier, abrupt par endroit, était assez boueux et coupait au travers d'une végétation exubérante, indifférente à la pluie comme au soleil. Après un peu moins de 3 heures de marche, nous avons marqué une pause pour déjeuner à proximité d'une route en lacet. Nous avons ensuite mis une heure pour parvenir à Cilaos, passant devant l'église immaculée de Notre Dame des Neiges, avant de nous arrêter à un charmant petit hôtel situé à proximité de l'étendue d'eau de la Mare à Joncs.
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Cilaos. Début de la trace depuis le gîte de la
caverne Dufour : 09:25:14. Fin de la trace à Cilaos : 13:57:30. Temps
écoulé : 4h32. Longueur : 7,4 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 10 (Mardi
30
novembre 2010) :
Le Tour du Bras Rouge
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A 8h00 du matin, comme un ultime affront, la masse volcanique du Piton des Neiges se dressait vers un ciel d'un bleu parfait, au-dessus de notre hôtel. Après 10 jours passés dans la partie ouest de l'île, à explorer les trois cirques, nous nous apprêtions à partir vers le second secteur emblématique de la Réunion, le volcan de la Fournaise. Plusieurs choix nous avaient été proposés pour cette journée de transition. Les amateurs de repos pouvaient visiter la bourgade de Cilaos et ses thermes, ou plus simplement lézarder au bord de la piscine de l'hôtel, tandis que les plus sportifs pouvaient s'essayer au canyoning. Pour ma part, je me suis laissé tenter par une belle petite randonnée en boucle dans le cirque de Cilaos.
Nous nous sommes mis en route à 8h30, et après avoir laissé derrière nous les cases blanches de Cilaos en montant vers le nord, nous avons progressé plein ouest en suivant les courbes de niveau, jusqu'à l'îlet du Bois Rouge. Une descente nous a ensuite amenée vers 11h00 au pied d'un petit bassin d'eau claire, alimenté par une cascade. Bien que fraîche, la baignade fut un délice, d'autant que la forte insolation assurait un séchage presque immédiat dès la sortie de l'eau. Pour ma part, j'aurais bien profité plus longtemps des charmes de l'endroit, mais il a fallu se résoudre à se remettre en route, après une heure de farniente.
Une fois grimpé sur l'autre versant, nous avons obliqué vers le sud, terminant ainsi la première partie de la boucle. Vers 13h00, la faim aidant, nous avons déjeuné à l'ombre du couvert forestier, avant de repartir plein est vers Cilaos par un joli sentier, qui passe à proximité de la fameuse cascade du Bras Rouge (nommée ainsi à cause des traces rouges laissées par l'oxydation du fer sur les rochers). L'effondrement d'un pan rocheux a donné ici naissance à un grand bassin. Juste avant d'entrer dans la ville, nous sommes passés à côté des anciens thermes qui ont fait la réputation de Cilaos. Il était un peu moins de 16h00 lorsque nous sommes arrivés à l'hôtel, ou je me suis offert une autre baignade après cette journée ensoleillée et bien remplie, cette fois ci dans la piscine !
Il nous restait quelques heures pour visiter Cilaos, une ville assez touristique qui doit principalement son essor à la découverte de sources thermales en 1819, et qui sont venues supplanter, ainsi que nous l'avons vu plus haut, celles du village d'Hell Bourg dans Salazie. La ville et son cirque devraient leur nom à un mot malgache signifiant "lieu on l'on se sent en sécurité" (ou, plus inquiétant, "lieu que personne ne quitte"). Cependant, comme c'est le cas pour les autres cirques, certains estiment que l'origine du nom Cilaos est plutôt à chercher du côté des esclaves marrons, qui ont trouvé dans ces hauteurs déchiquetées un refuge contre une vie de soumission. Bien qu'escarpés et accidentés, les reliefs de Cilaos n'auraient cependant pas réussi à décourager les chasseurs lancés aux trousses des fuyards, et nombreux furent ceux qui y trouvèrent la mort. Une fois tournée la page de cette histoire tragique, Cilaos resta inhabité jusqu'en 1850, date de son occupation par des familles de paysans, bientôt rejoints par de plus riches propriétaires. La ville vit aujourd'hui principalement du tourisme, de la viticulture, et de la culture de lentilles, apparemment très appréciées par les gastronomes. Outre les thermes, elle est également connue pour sa broderie, et accueille un musée dédié à cette activité.
Au centre de la ville, un petit monument commémore le jumelage de Cilaos avec Chamonix. L'île étant dépourvue de pics granitiques et de glaciers, le lien avec la capitale de l'Alpinisme, située à des milliers de kilomètres, par delà les mers et les continents, peut surprendre au premier abord. Un séjour dans les cirques permet cependant d'apprécier pleinement la justesse du rapport entre les deux villes. Question paysages et dénivelés, la Réunion soutient effectivement sans peine la comparaison avec le massif du Mont Blanc !
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Tour du Bras Rouge. Début de la trace depuis
Cilaos : 08:20:59. Fin de la trace à Cilaos : 15:48:07. Temps
écoulé : 7h27. Longueur : 12,6 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 11
(Mercredi 1er décembre 2010) :
En route vers la Fournaise
S'il est aisé, lorsque l'on loge à Cilaos, d'oublier la situation de cette ville, la route de montagne qu'il faut emprunter pour s'extirper du cirque remet les pendules à l'heure. La fameuse RN5, longue d'environ 30 kilomètres, compte en effet pas moins de 350 virages, certains surplombant des à-pics vertigineux, et bat donc des records de sinuosité. Les nombreux tunnels taillés dans les falaises sont si étroits qu'un seul véhicule peut s'y engouffrer à la fois. Une attention toute particulière doit donc être accordée à l'autre extrémité de ces longs couloirs noirs, histoire de bien s'assurer qu'aucune voiture ou bus ne s'y présente en même temps.
De Cilaos, que nous avons quitté à 8h00, nous avons mis 1h40 environ pour rejoindre la ville de Saint-Louis sur le littoral. Nous avons ensuite longé ce dernier pour rejoindre l'agréable station balnéaire de Saint-Pierre, ou nous nous sommes accordés une petite baignade dans les eaux délicieusement chaudes (24°C !) de l'océan indien.
A cause de sa jeunesse géologique, l'île de la Réunion n'est pas encore bordée de lagons, comme ceux qui font la réputation de Maurice ou des Seychelles. L'île elle-même ne correspond donc pas à l'image archétypale de l'île tropicale, avec ses plages de sables blancs plantées de palmiers oscillant lentement sous une brise légère. La Réunion possède néanmoins quelques plages, et avec ses étendues de sable blanc corallien et son côté paisible, celle de Saint-Pierre est assurément l'une des plus belles de l'île.
Vers 11h00, nous nous sommes remis en route pour nous diriger presque plein nord vers le Tampon, puis la Plaine des Cafres, qui avec sa voisine la Plaine des Palmistes, séparent l'ancien massif volcanique du Piton des Neiges de celui, toujours actif, de la Fournaise. La traversée de la Plaine des Cafres (qui a été jadis un refuge pour les esclaves en fuite, d'ou son nom) procure une sensation d'irréalité, tant les changements de paysage sont fascinants, depuis le littoral jusqu'à la bordure du rempart de la Plaine des Sables. Les zones de pâturage sont particulièrement remarquables, et presque en un instant, le visiteur a l'impression de se retrouver au beau milieu des Vosges, du Jura ou de l'Auvergne. Route en lacet traçant son chemin parmi de douces collines, forêts de conifères, troupeaux de vaches broutant paisiblement dans des pâturages bucoliques, exploitations laitières avec tracteurs, réservoirs et meules de foin, rien ne manque à l'appel !
Finalement, vers 12h30, nous avons fait halte au bord de la route forestière menant au volcan, pour profiter des tables d'une aire de pique nique, dans le bois Ozoux. Un épais brouillard recouvrait l'endroit, et il était par moment impossible de voir à plus de quelques mètres. Un peu inquiet, je me suis demandé si nous n'allions pas à nouveau subir une météo déplorable, comme celle qui nous avait bloqué l'accès au Piton des Neiges. Nos deux guides semblaient cependant totalement convaincus que le beau temps régnait sur le volcan, et qu'il n'y avait pas lieu de se faire du souci. A 13h45, nous avons donc laissé notre moyen de transport derrière nous, et sommes partis à pieds en direction du maître des lieux, le Piton de la Fournaise.
Au pied du Piton des Basaltes, nous avons croisé une stèle érigée en hommage à un garde forestier, Josémont Lauret, mort de froid et de fatigue en 1887, invitation à la prudence, le brouillard, les rafales de vent et les pluies pouvant ici prendre en traître le marcheur le plus expérimenté. Les conditions météorologiques peuvent effectivement évoluer de façon drastique dans ce secteur de l'île, et la vigilance est donc de mise lors des excursions pédestres. Le sentier continuait ensuite au sud est vers l'oratoire Sainte-Thérèse, autre rappel du destin parfois tragique des premiers explorateurs du massif de la Fournaise. A l'ouest, les pentes du rempart de la rivière de l'est plongent vers le Cassé de la Savane du Rond. Une courte descente conduit ensuite directement dans la caldeira de la Plaine des Sables. Les branles de la lande cèdent alors définitivement la place à un sol rouge et stérile, qui marque le début d'une zone désertique somptueuse, et qui n'est pas sans évoquer la planète Mars. L'horizon est barré par trois petits pitons volcaniques, équidistants et alignés parallèlement, qui attirent irrésistiblement le regard. Parmi eux, le Piton Chisny, haut de 2440 mètres et qui domine la Plaine des Sables de 200 mètres.
Nous avons traversé la Plaine des Sables plein sud, jusqu'à rejoindre la route du volcan. Ceux qui le désiraient sont ensuite partis vers le Piton Chisny, que nous avons attaqué par son flanc sud. Né d'une éruption de type strombolien il y a 1000 ans, et qui s'est déroulée en trois phases, le Chisny a craché d'importantes quantités de scories et de bombes, donnant à la Plaine des Sables son aspect lunaire et désolé. Par delà la crête du Chisny, à l'est, se trouvent les cratères égueulés d'Aubert de la Rüe, ultimes bouches éruptives du Piton. Le sommet offrait une vue imprenable sur le cône terminal de la Fournaise, situé au centre de l'enclos Fouqué. Des coulées de lave noires comme de l'encre marquaient ses flancs, et donnaient une idée des réjouissances qui nous attendaient le lendemain. Nous avons terminé notre journée de marche en repartant plein nord, jusqu'au gîte du volcan, ou nous avons passé la nuit.
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En route vers la Fournaise et
randonnée vers le Piton Chisny. Début de la
trace depuis Cilaos : 07:52:06. Fin de la trace au gîte du Volcan : 17:35:30. Temps
écoulé : 9h43. Longueur : 98.8 km. Vitesse moyenne : 10 km/h. Début de la
trace rouge correspondant à la randonnée vers le Piton Chisny : 14:01:56. Fin de
la trace au gîte du Volcan : 14:35:30. Temps écoulé : 3h34. Longueur : 10,1 km.
Vitesse moyenne : 3 km/h.
Jour 12
(Jeudi 2 décembre 2010) :
Le Volcan
Passionné de géologie et de minéralogie depuis l'enfance, j'attendais cette journée avec une impatience grandissante et non dissimulée. Mes étagères de ma bibliothèque croulent sous les ouvrages de volcanologie, plusieurs livres et cartes étant entièrement consacrés au Piton de la Fournaise. Inutile de préciser que lorsque nous nous sommes mis en route à 7h00, mon esprit enflammé hésitait continuellement entre la sérénité apporté par le ciel d'un bleu parfait, et l'excitation palpable d'avoir enfin l'occasion, après en avoir tant rêvé, de fouler du pied les coulées de lave de la Fournaise !
Pourtant, malgré tout ce que j'avais pu lire, toutes les photographies que j'avais pu admirer, rien ne m'avait en fait préparé au choc que j'ai ressenti lorsque, après une demi heure de marche environ, nous sommes arrivés au bord du rempart de l'Enclos Fouqué, au lieu dit du Pas de Bellecombe et que j'ai aperçu, 100 mètres en contrebas, le sublime cône de scories du Formica Leo.
Le Formica Leo est peut-être le plus beau cône éruptif parmi tous ceux qui ont poussé tels des champignons de roches sur les flancs de la Fournaise. D'une hauteur modeste (20 à 25 mètres), il serait né d'une éruption volcanique en 1753. Constitué de scories rougeâtres qui lui donnent sa teinte rouille caractéristique (encore que celle-ci varie avec l'ensoleillement), il est coiffé par deux petits cratères plus ou moins circulaires, aux pentes assez fortes, qui ressemblent à s'y méprendre aux puits coniques que creusent les fourmilions, d'ou le nom de Formica Leo donné à ce remarquable édifice volcanique (ancien nom latin de l'insecte, que les entomologistes désignent aujourd'hui sous le nom de Myrmeleon formicarius).
Quelques mots sur le fourmilion, aussi diabolique que le Formica Leo est attirant. Pour capturer des proies, la larve de cet insecte sournois construit un piège redoutable en creusant dans des terrains sableux un puits en forme de cône inversé. L'insecte effectue à cette occasion un véritable travail d'ingénieur, l'inclinaison des pentes étant précisément choisie pour que ces dernières soient instables. L'équilibre est assuré de façon à ce que le piège ne se comble pas de lui-même, mais que, dès qu'un insecte s'y risque, ses flancs se déstabilisent, l'avalanche conduisant alors tout droit l'infortunée bestiole vers les mandibules de son prédateur. Si, par hasard, l'insecte résiste, le fourmilion n'hésite pas à projeter quelques grains de sable, histoire d'accélérer, dans tous les sens du terme, sa chute. En ce qui concerne le Formica Leo, le risque de tomber à l'intérieur et d'y être dévoré est quasiment nul, même si les premiers explorateurs ont apparemment eu quelques inquiétudes lorsqu'ils se sont hasardés à examiner l'étrange bouche rougeâtre. En fait, c'est même le contraire qui risque d'arriver. Véritable attraction touristique de l'île, sur laquelle il est presque impossible de ne pas vouloir monter, le petit cône adventif subit une érosion importante, et il est possible qu'un jour, il soit tout simplement interdit de grimper dessus !
Comme de nombreux autres appareils volcaniques de la Fournaise, le Formica Leo est un cône de projection, qui s'est formé suite à l'empilement de fragments de lave crachées par une bouche volcanique, et qui se sont solidifiés au cours de leur bref parcours dans l'atmosphère, avant de retomber au sol ou ils ont édifié un cône. L'évacuation des gaz dissous dans le magma confère aux scories une structure poreuse, vacuolaire. L'aspect aplati, tronqué, du Formica Leo laisse penser que seul son sommet serait en fait visible. La partie inférieure de ce petit volcan miniature pourrait effectivement être ensevelie sous des coulées de lave cordées (d'une dizaine de mètres d'épaisseur environ).
Une fois le Formical Leo exploré, nous sommes partis en direction du sud est vers le dôme terminal du Piton de la Fournaise. Nous avons rapidement rallié un cônelet de laves scoriées remarquable, que les géologues désignent sous le nom de hornito (fourneau en espagnol), la Chapelle Rosemont. A partir de là, nous avons commencé à gravir lentement le flanc du cône terminal, en suivant un marquage régulier au sol. Le sentier est agréable, et ne fait que s'approcher de certaines coulées en gratons qui dégoulinent sur les pentes du volcan, et ou la progression serait bien plus difficile. Au fur et à mesure de la montée, un panorama spectaculaire se dévoile sous nos yeux. Au nord ouest, les remparts délimitant la caldeira de l'Enclos, et celle, plus ancienne, de la Plaine des Sables, avec, au loin, le massif du Piton des Neiges. Au nord, le plancher de l'Enclos Fouqué, constellé de coulées de lave et d'évents volcaniques, et qui chute brutalement vers la Plaine des Osmondes, qui finit par déboucher sur l'océan indien.
Il est 10h00 lorsque nous arrivons au bord du cratère Dolomieu, qui couronne, avec son confrère le cratère Bory, le dôme sommital de la Fournaise. La dépression minérale, qui semble avoir été découpée à l'emporte pièce, mesure 1100 mètres sur 800 mètres, et est encore plus impressionnante depuis que son plancher s'est affaissé de 300 mètres suite à l'éruption d'avril 2007. Des coulées de lave situées en aval ont vraisemblablement vidangée un réservoir magmatique superficiel qui se trouvait sous le cratère, provoquant un effondrement massif auquel personne n'a malheureusement (ou heureusement, c'est selon) assisté. La région du volcan s'ennuage assez rapidement en fin de matinée, et il est donc préférable d'être au sommet le plus tôt possible, pour pouvoir bénéficier d'un panorama unique sur les terres calcinées de l'Enclos Fouqué, dont la sinistre beauté semble lancer un défi à la mer de nuages qui recouvre la côte, et plus loin, à l'étendue bleutée de l'océan indien.
Pour des raisons de sécurité, les randonneurs sont invités à ne pas s'écarter des itinéraires balisés, et nous sommes donc revenus au pied du Pas de Bellecombe par le même chemin que celui emprunté à l'aller. Vers 13h00, sous un soleil de plomb, nous avons cherché un peu d'ombre au pied du rempart pour déjeuner, puis nous sommes remontés au Pas de Bellecombe. Le col du Pas de Bellecombe, qui perce l'imposant rempart délimitant la caldeira la plus récente de la Fournaise (l'Enclos Fouqué), est l'unique point de passage vers cette dernière. Pendant longtemps, les explorateurs ont cherché en vain un moyen de descendre sur le plancher de la caldeira, et pouvoir ainsi arpenter ce site exceptionnel. Au 18e siècle, Un gouverneur, Guillaume Léonard de Bellecombe, offrit une prime au premier qui parviendrait à trouver un passage, et après bien des tentatives, un inconnu, probablement un esclave Créole, finit par découvrir le chemin tant convoité. Le col fut nommé en l'honneur du gouverneur, tandis que son découvreur véritable tomba dans l'oubli.
La majeure partie du groupe s'est dirigée vers le gîte du volcan, mais pour ma part, je suis resté avec quelques volontaires pour continuer à découvrir un peu plus les paysages hypnotisant de la Fournaise. Depuis le Pas de Bellecombe, nous sommes partis plein est, en longeant le bord du rempart de l'Enclos. Après environ une demi-heure de marche, nous sommes arrivés au Piton de Partage, équipé de plusieurs instruments de mesure installés par l'Observatoire volcanologique de la Réunion. Au loin, les nuages qui s'étaient élancés vers les grandes pentes s'attaquaient désormais au cône terminal de la Fournaise, qui disparaissait petit à petit dans les brumes, comme si la Nature, désireuse de protéger le regard des hommes d'un trop plein de majesté, avait décidé de tirer le voile sur ses forces vives.
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Le Volcan. Début de la
trace depuis le gîte du Volcan : 06:58:33. Fin de la trace au gîte du Volcan : 12:27:18. Temps
écoulé : 8h29. Longueur : 16,6 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 13
(Vendredi 3 décembre 2010) :
La grande descente
A 7h00, nous quittons le gîte du volcan pour notre dernière journée sur l'île de la Réunion. Un départ matinal, qui va nous permettre de profiter pleinement des magnifiques paysages de la Plaine des Sables, qui est à cette heure totalement déserte. Le sentier longe le Piton Haüy, puis le croissant du Demi Piton, avant de traverser la route du volcan et de contourner le flanc ouest du Piton Chisny. Le terrain est plat, mais je décide de ralentir mon pas, pour profiter au maximum de la sérénité qui emplit les lieux. Le ciel est d'un bleu presque parfait, et à part quelques trainées effilochées à l'horizon, aucun nuage ne s'y amasse encore. Le souffle du vent est presque imperceptible, et la poussière cendreuse comme les roches semblent définitivement figées, comme si, après être sortis des entrailles de la Terre avec une rare violence, les éléments aspiraient au calme et à la quiétude.
Au sol, une pierre attire mon regard, et je ramasse un joli morceau de dunite, une roche presque entièrement composée d'olivine, un joli minéral jaune-vert riche en fer et en magnésium. Le morceau d'olivine est entouré d'une pate volcanique basaltique, et a probablement été recraché par le Piton Chisny tout proche. La plupart des laves émises par le Piton de la Fournaise sont des basaltes alcalins, provenant d'un magma qui n'a séjourné que brièvement dans un réservoir souterrain superficiel, situé à quelques kilomètres de profondeur. Ce réservoir est alimenté par une chambre magmatique plus profonde, dans laquelle le magma séjourne plus longtemps avant de reprendre son ascension vers la surface. Un processus très important de différentiation se met alors en place : lorsque la température du magma diminue au fil du temps, les minéraux les plus réfractaires, c'est à dire les minéraux qui possèdent la température de fusion la plus haute, se mettent à cristalliser dans le bain magmatique, et les cristaux sédimentent pour s'accumuler en couches au fond de la chambre magmatique. Avec une température de fusion de 1600°C en moyenne, l'olivine est le premier minéral à prendre en masse et à revêtir les parois de la chambre. Au cours d'une éruption particulièrement violente, le magma en mouvement peut arracher des fragments d'olivine presque pur (que l'on appelle péridotite, ou mieux, dunite) à la chambre et les ramener à la surface ou ils sont éjectés, recouverts de lave basaltique qui refroidit autour d'eux pour former une gangue noire. La petite pierre que je tiens dans les mains, un fragment de dix centimètres qui ressemble à du sucre cristallisé verdâtre, et qui est enchâssé dans une pâte de basalte, provient vraisemblablement d'une chambre située à environ 10 kilomètres sous mes pieds, bien en dessous des eaux de l'océan indien, et qui alimente d'autres réservoirs plus superficiels, dont celui localisé sous le cône terminal de la Fournaise ...
Une fois le Chisny dépassé, le sentier continue au sud en traversant des étendues noires et déchiquetées, puis débouche brutalement sur une impressionnante ravine, dont le fond est envahi par des coulées de lave, qui descendent de la Plaine des Sables tels des torrents qui auraient été figés par une trempe instantanée. L'une de ces coulées, longue de 17 kilomètres et qui a cascadée jusqu'à la mer le long du lit de la rivière Langevin, a été émise par le Piton Chisny. Notre itinéraire va emprunter cette ravine, qui au terme de presque deux kilomètres de dénivelé, va nous conduire au village de Grand Galet, et de là au littoral. La descente commence de façon très raide, et nous amène à un premier replat. Le lit d'une ancienne rivière, obstrué par des coulées, nous sert ensuite de guide et facilite quelque peu la progression. Nous parvenons bientôt au bord d'un ressaut, qui offre une vue impressionnante sur la grande ravine, recouverte en contrebas par une forêt touffue qui semble impénétrable. Le sentier, de nouveau acrobatique, longe le lit de la rivière asséchée, puis s'enfonce au sud en direction d'une petite butte. A 12h30, nous faisons une courte pose à l'ombre des arbres pour pique-niquer, avant de rejoindre le fond de vallée, ou un chemin peu pentu nous permet de rejoindre Grand Galet et sa superbe cascade. Le bus qui doit nous ramener n'étant pas encore arrivé, nous avons continué à pied sur un peu plus de 2 kilomètres, avant d'établir finalement la jonction avec le véhicule. Une fois les sacs entassés à l'arrière, le bus s'est mis en route, en direction de la Pointe de Langevin, puis est remonté vers l'ouest le long du littoral en effectuant presque un demi-tour complet de l'île, passant par Saint-Joseph, Saint-Pierre, Saint-Leu, pour faire enfin halte à Saint-Gilles les bains, station balnéaire réputée pour sa plage et son ambiance festive, sorte de Saint-Tropez de l'océan indien.
Les restaurants, les résidences, les magasins de Saint-Gilles m'ont paru étranges, comme s'ils étaient déplacés, après toutes ses journées passées à marcher dans la touffeur des cirques, ou sur les étendues de laves de la Fournaise. L'île de la Réunion a cela d'exceptionnelle qu'elle concentre une grande variété de paysages et d'environnements. A rêver devant le désert lunaire de la Plaine des Sables, à naviguer d'îlet en îlet parmi les arêtes et les crêtes de Mafate, on en oublierait presque les villes du littoral, et leur modernité toute proche. Reste que les merveilles de l'île sont d'abord pour moi en son centre, qui semble vivre et pulser selon un rythme qui lui est propre. Au cœur de la Réunion, les remparts des caldeiras, les parois vertigineuses des cirques forment comme une autre frontière, délimitant une île à l'intérieur de l'île. L'océan indien et la verticalité se combinent alors, isolant le visiteur dans un espace hors du temps, ou la terre rougeoie, la pluie tombe en farine, et où les frondes de fougères géantes, les entrelacs de lianes et les troncs noueux, sonnent comme un douloureux rappel du caractère fou et exubérant de la vie.
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La grande descente et
Saint Gilles. Début de la
trace depuis le gîte du Volcan : 07:04:25. Fin de la trace à la cascade : 15:54:17. Temps
écoulé : 8h50. Longueur : 18.7 km. Vitesse moyenne : 2 km/h. Début de la
trace correspondant à la descente et au transfert vers Saint Gilles : 07:04:25. Fin de
la trace à Saint Gilles : 18:00:16. Temps écoulé : 10h56. Longueur : 98,9 km.
Vitesse moyenne : 9 km/h.
La Réunion
Née au fond de l'océan indien il y a 5 à 7 millions d'années, l'île de la Réunion a surgi des eaux de l'océan indien quelques millions d'années plus tard, (2 à 3), le temps pour les innombrables coulées de lave qui la constituent de se hisser à la hauteur des flots. Entièrement volcanique, elle est constituée au deux tiers par le Piton des Neiges, désormais très fortement érodé et endormi, le tiers restant étant occupé par le Piton de la Fournaise, l'un des volcans les plus actifs du monde. La plus grande partie de l'île (9/10e du volume) est invisible, car située sous les flots. La Réunion repose en effet par 4000 mètres de fond sur le plancher de l'océan indien, ou son diamètre avoisine les 240 kilomètres (à comparer à la partie émergée, qui mesure 70 kilomètres sur 50 kilomètres). Culminant au-dessus des flots à 3069 d'altitude, le Piton des Neiges est ainsi l'un des volcans les plus hauts du monde, avec une hauteur totale d'environ 7000 mètres.
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Située très à l'écart des dorsales océaniques ou des fosses de subduction (c'est à dire des frontières entre plaques tectoniques), la Réunion doit son existence à un tout autre type de volcanisme, que les géologues désignent sous le nom de volcanisme intra-plaque, ou volcanisme de point chaud. Un panache de matériel en fusion, émis depuis une région très profonde du globe, remonte lentement sur des centaines voir des milliers de kilomètres à travers le manteau terrestre, pour finir par percer, telle la flamme d'un chalumeau, les quelques 40 kilomètres d'épaisseur de la plaque océanique africaine. L'empilement d'un nombre incalculable de coulées de lave autour de la bouche du chalumeau parvient à donner naissance à des volcans à pente faible (5° à 10 °), dont le relief ressemble à celui d'une assiette retournée sur une table, et que l'on nomme volcans boucliers.
Le premier volcan de la Réunion, qui est aussi le plus ancien, n'est autre que le Piton des Neiges. D'un diamètre d'environ 50 kilomètres, son sommet est aujourd'hui érodé de manière effroyable. Trois immenses cirques, Mafate, Salazie et Cilaos, disposés comme les pétales d'une feuille de trèfle, balafrent en effet ses flancs. Par endroits, les parois atteignent un kilomètre de hauteur, et tranchent à l'emporte pièce le substratum rocheux, constitué par l'accumulation de couches de laves, de scories et de cendres, recoupées et compartimentées ici et là par des dykes (fracturations profondes ayant guidées les remontées de magma, et aujourd'hui comblées par de la lave refroidie). Jusqu'à 430 000 ans, le Piton des Neiges a d'abord craché des laves fluides qui ont formé un cône surbaissé typique d'un volcan bouclier. Au cours de la longue histoire du volcan, elles sont ensuite devenues plus acides, c'est à dire plus riche en silice, devenant alors pâteuses, et conférant aux éruptions un caractère bien plus explosif, avec des manifestations violentes de grandes ampleurs : coulées pyroclastiques (similaires à celles ayant anéanties Pompéi ou Saint-Pierre de la Martinique), nuées de cendres et de ponces, dépôts d'ignimbrites défigurent alors le paysage. Le volcan cesse son activité il y a environ 20 000 ans, un cône strombolien (dépôts alternées de laves et de scories) aux pentes plus inclinées que celle d'un volcan bouclier, occupant son sommet.
Appuyé sur le flanc sud-est de son illustre prédécesseur, séparé de ce dernier par la plaine des Palmistes et la plaine des Cafres, se trouve le second volcan de l'île, le Piton de la Fournaise. Il est né il y a 380 000 ans, à une époque ou le Piton des Neiges était encore largement actif. Avec des pentes inférieures à 10°, c'est lui aussi un volcan bouclier, légèrement plus petit que le Piton des Neiges (40 kilomètres de diamètre). Il est composé de trois calderas d'effondrement de grandes tailles (dizaine de kilomètres), emboitées les unes dans les autres, grossièrement concentriques et ouvertes vers l'est, et qui résultent d'un gigantesque collapsus lié à la vidange d'une chambre magmatique, cet épisode terminant une phase de construction antérieure. La diminution de la taille des caldeiras, et le raccourcissement de la durée de la phase d'édification laisse penser que le réservoir de magma à l'origine de la Fournaise devient de plus en plus petit, et migre vers le haut.
Première caldeira : il y a environ 180 000 ans, l'activité de la première fournaise se termine par la formation d'une caldeira d'une quinzaine de kilomètres de diamètre. Fortement érodée depuis, elle a pratiquement disparu du paysage, seule sa portion ouest, du Nez de Boeuf au Piton de la ravine des Grègues, est encore visible. Ces reliefs résiduels d'une hauteur de 300 mètres sont soulignés par la rivière des Remparts.
Seconde Caldeira : la caldeira de la Plaine des Sables (13 kilomètres de diamètre environ) est âgée d'environ 40 000 ans, et son relief est souligné par la rivière de l'est, qui coule au pied d'un joli rempart situé à l'ouest. Une bonne partie du plancher de la caldeira est recouvert de laves et de scories crachées par le Piton Chisny.
Troisième caldeira : la caldeira la plus jeune (4700 ans seulement) est celle de l'Enclos Fouqué. Cette vaste dépression en forme de U, ouverte à l'est sur l'océan indien, mesure 13 kilomètres sur 8 kilomètres, et enserre un cône sommital de 3 kilomètres de diamètre et de 400 mètres de hauteur. Ses pentes, assez inclinées (25 °), sont recouvertes par de nombreuses coulées de lave, et sont grêlées par des cônes de scories et de laves. Le sommet est flanqué de deux cratères, le Bory à l'est (2632 m, inactif depuis 1791) et le Dolomieu (2366 m) à l'ouest, ou s'est concentrée l'activité éruptive de ces dernières années. La grande majorité des éruptions de l'Enclos prennent naissance le long de fissures radiales au cône terminal. A l'est, un escarpement impressionnant se jette vers la mer, et forme le secteur des grandes pentes, prolongé par le Grand Brulé, ainsi appelé en raison des dégâts occasionnés par les coulées sur la végétation. Le Piton de la Fournaise est toujours en activité, avec une éruption en moyenne tous les 10 mois, ce qui en fait l'un des volcans les plus actifs du monde.
Du point de vue de l'érosion, le massif de la Fournaise est découpé par trois grandes vallées : au nord, celle de la rivière de l'Est, et au sud, celles de la rivière des Remparts et de la rivière Langevin (par laquelle nous sommes redescendus vers le littoral). Ces dernières peuvent canaliser des coulées de lave, y compris en provenance d'éruptions hors enclos.
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L'île de la Réunion est traversée par plusieurs zones de faiblesse, ou s'est concentrée (et se concentre encore) la majeure partie de l'activité volcanique, mise en place du magma en profondeur et éruption proprement dite. La plus importante est orientée N 120°, et relie Le Piton des Neiges à la Fournaise en passant par la plaine des Cafres. Les cônes stromboliens du Piton Haüy, du Demi-Piton et du Piton Chisny sont typiquement situés sur cet axe. Un autre axe de faiblesse en forme d'arc de cercle, concave vers l'est, et passant par le sommet du cône terminal, est également bien marqué. Au nord (N 10°) et au sud (N 170 °), cet axe se poursuit jusqu'à l'océan, recoupant respectivement les zones de Sainte Rose et Saint Philippe. Les montées de magma le long de cet axe contribuent à détacher tout le flanc est du volcan, qui glisse peu à peu vers la mer (tandis que le flanc ouest, adossé au Piton des Neiges, reste stable). Cet axe matérialise en fait l'emplacement de la future caldeira. La fissuration ayant eu lieu durant l'éruption hors enclos de 1986 à Saint Philippe préfigure l'ouverture de cette dernière, qui découpera un jour tout un morceau de l'île comme un simple coup de cuillère dans une motte de beurre. Un dernier axe (nommé Ramond-Baril) de direction N 185° s'individualise également, et est souligné par une boutonnière de petits cônes volcaniques. Ces axes sont vraisemblablement reliés à des structures océaniques majeures.
Une petite chambre magmatique superficielle, située à faible profondeur (3 kilomètres environ, soit au niveau de la mer), pousserait vers le haut sous le cône terminal de la Fournaise (soit un affleurement plus important que les chambres magmatiques des volcans hawaiiens). Elle serait connectée et remplie à intervalles plus ou moins réguliers par un grand réservoir de magma, localisé à environ 10 kilomètres de profondeur. En temps normal, la chambre magmatique superficielle jouerait le rôle de réservoir tampon. Occasionnellement, la vigueur d'une remontée de magma pourrait cependant excéder sa capacité de remplissage, l'éruption étant alors directement alimentée par la chambre magmatique profonde, le magma sous pression jaillissant de manière violente. Le réservoir profond servirait lui-même de zone de stockage du magma, et serait à son tour alimenté par un panache de matériel mantellique venu des profondeurs de la Terre (peut-être de 2900 kilomètres de profondeur, à l'interface du manteau inférieur et du noyau, que les géophysiciens nomment couche D''). Il faut noter qu'une chambre magmatique superficielle subsisterait aussi sous le Piton des Neiges, ainsi que semble l'attester le fort gradient géothermique dans les cirques, la présence de sources chaudes à Cilaos et de dépôts fumerolliens à plusieurs endroits du cirque de Salazie. Il faut noter qu'à la Réunion, l'activité sismique, qui signale la remontée forcée du magma le long de fissures et l'imminence d'une éruption aux volcanologues, cesse généralement durant cette dernière.
Le Piton de la Fournaise est principalement constitué de basaltes alcalins (typique d'un volcanisme de point chaud, et donc différent des basaltes tholéitiques émis par les dorsales océaniques). Il s'agit d'une roche sombre composée de minéraux riches en fer et en magnésium (olivine et pyroxènes), ainsi que de silicates d'aluminium, de sodium et de magnésium (plagioclases), avec de petites quantités d'oxyde de fer (magnétite). Lors d'un drainage par le bas de chambres magmatiques superficielles, dont le fond est riche en cristaux d'olivine ayant sédimentés, les laves peuvent contenir une quantité significative (plus de 30%) de ce minéral. Appelées océanites, elles sont alors d'une fluidité extrême, et peuvent dévaler les pentes à une vitesse effrayante (80 km/h). Des éruptions violentes, comme celles du Piton Chisny, peuvent également remonter en surface des nodules d'olivine arrachés au plancher d'une chambre magmatique profonde. Avec un peu de patience et d'attention, il est ainsi possible de ramasser de jolis fragments de dunites venus des profondeurs du sous-sol au niveau de la plaine des Sables.
Etant par nature un volcan bouclier (un volcan rouge au caractère effusif marqué, contrairement aux volcans gris très explosifs), la Fournaise génère principalement des éruptions de type hawaiien, caractérisées par des fontaines de lave et des coulées de lave. Les fontaines résultent de la détente brutale des gaz dissous dans le magma, qui est projeté à des dizaines voir des centaines de mètres de hauteur, et déchiqueté en lambeaux de différentes tailles. En retombant autour de la fissure éruptive, ces produits volcaniques finissent par construire des cônelets ou des cônes de scories. S'ils ont eu le temps de refroidir dans l'air, les morceaux de roche chutent en crépitant comme du verre brisé. S'ils arrivent encore chauds et plastiques au sol, ils se soudent entre eux. Les matériaux éjectés sont classifiés en fonction de leur taille : en dessous de 2 millimètres de diamètre, on parle de cendres, entre 2 millimètres et 2 centimètres, de lapillis, et au-delà, de scories, les spécimens les plus imposants étant qualifiés, avec une certaine logique, de bombes.
Lorsqu'elles sont très vigoureuses, les fontaines peuvent parvenir à former des gouttelettes de lave, qui, en s'étirant au cours de leur trajet dans l'atmosphère, donnent naissance à des petits fils de verre, que l'on nomme poétiquement larmes ou cheveux de Pelée (il était possible d'en observer au sol à proximité de la Chapelle Rosemont). Ceux-ci, entraînés par les vents, peuvent retomber à des dizaines de kilomètres du point d'éruption. Leur dépôt dans des zones de pâturage peut représenter un réel danger pour les troupeaux (voire même pour l'homme), à cause des risques de perforation intestinale liés à l'ingurgitation de ces fibres de verre. Quant aux coulées de lave, elles sont généralement très fluides (température de 1100°C à 1200°C), et peuvent parfois parcourir de grandes distances (plus de 10 kilomètres de long) avant de s'arrêter, surtout lorsqu'elles cheminent à la faveur de tunnels qui jouent le rôle d'isolant. La fluidité est telle que les coulées peuvent même former des rouleaux lorsqu'elles frappent une paroi de basalte refroidi, comme le ferait une vague se fracassant contre un obstacle ! Leur épaisseur est assez faible (moins de 10 mètres).
Deux grands types de coulées prédominent sur le Piton de la Fournaise. Le premier type porte le nom de coulées lisses. Elles sont produites par des émissions de lave vomies à haute température, de viscosité faible, et qui progressent donc rapidement. La couche la plus superficielle du torrent de lave, en contact avec l'air froid, va refroidir plus vite que le cœur de la coulée. Une pellicule superficielle de la coulée va prendre en masse, avant de se ratatiner sur elle-même, entrainée malgré elle par la lave sous-jacente qui continue d'être mobile. La surface, plissée, cordée, boudinée, évoque alors des draperies (il s'agit de coulées "pahoehoe", terme hawaiien signifiant "satiné"). La carapace peut aussi se briser en dalles irrégulières qui s'entrechoquent, et qui peuvent former un dallage sur lequel il est ensuite aisé de marcher (c'est par exemple le cas entre le Pas de Bellecombe et la Chapelle Rosemont).
On peut aussi observer des coulées rugueuses, dont la surface est morcelée, scoriacée, instable et friable, pleine d'aspérités tranchantes. A distance, ces coulées sont aisément repérables par leur couleur noir d'encre peu engageante. Elles rendent la progression difficile et dangereuse, d'ou leur nom de coulées "Aa", cri de douleur poussé par les habitants d'Hawaii lorsque ces derniers devaient traverser pieds nus les coulées en question. Les coulées "Aa" portent à la Réunion le nom de gratons, car elles évoquent l'aspect peu engageant que prend la graisse de porc lorsqu'elle est plongée dans l'eau. Elles peuvent s'appeler différemment suivant les endroits, ainsi dans le massif central, les géologues les désignent sous le terme de cheires. Les coulées Aa se forment lorsque la lave, moins fluide, ne parvient plus à plisser la couche superficielle qui a commencé à se refroidir, et qui est devenue moins plastique. Les contraintes mécaniques qui s'exercent sur elle provoquent sa fragmentation en une myriade de petits fragments qui s'entrechoquent et s'aiguisent mutuellement en crissant.
La plus grande majorité (97%) des éruptions ont lieu au sein de l'Enclos Fouqué, et prennent généralement naissance le long de fissures radiales qui déchirent le cône terminal. Elles ont lieu au sommet du cône, sur ses flancs ou à son pied, moins fréquemment sur le plancher de l'enclos ou dans les grandes pentes (le secteur de l'enclos qui tombe vers la mer). Enfin, très rarement, le volcan s'offre le luxe de sortir de l'Enclos. Ces éruptions exceptionnelles sont alors souvent caractérisées par un débit très important de laves très fluides, avec un dynamisme explosif faible. A titre d'exemples mémorables, on peut évoquer les coulées de 1977 (éruption du Piton de Sainte Rose au nord de l'Enclos, rendue célèbre par le fait qu'une coulée s'est arrêtée à l'entrée de la nef de l'église de Sainte Rose, alors que cases et plantations de cannes à sucre ont été ensevelies sans pitié tout autour) et 1986 (éruption bifide au sud de l'Enclos, au niveau du Piton Takamaka. L'une des coulées parvient à couper la route nationale N2, à proximité de Saint Philippe, tandis que la seconde cascade jusqu'à l'océan et formera le promontoire de la Pointe de la Table dans sa lutte avec l'océan). Les éruptions hors enclos, en ayant lieu à basse altitude, à proximité immédiate de zones habitées, présentent un danger réel pour les populations de l'île.
Les activités explosives sont assez peu fréquentes à cause de la pauvreté du magma en gaz dissous. L'activité volcanique peut cependant adopter aussi un style strombolien, ou les coulées de lave alternent avec les émissions de scories, les cônes construits par ce type d'éruption présentant alors des pentes assez fortes, sans dépasser toutefois ici les 100 mètres de hauteur. Les éruptions phréatiques (projection de vapeurs brulantes et de roches du substratum, pulvérisées en cendres et blocs) ou phréato-magmatiques (projection de gaz, de roches préexistantes mais aussi de magma juvénile) sont rares (moins de 1 %), mais peuvent néanmoins se produire après de fortes pluies ou le passage d'un cyclone tropical, lorsque la lave rentre en contact avec de grandes quantités d'eau infiltrées dans le sous-sol. Lorsque les coulées parviennent à atteindre le front de mer, des manifestations explosives dramatiques et spectaculaires ont également lieu. L'activité fumerollienne est quasiment inexistante, exceptée dans le secteur de la Soufrière, et dans une bouche volcanique située au bord de la plaine des Osmondes. Le voyageur ne devra donc pas s'attendre à rencontrer fumerolles, marmites de boue, solfatares et geysers, sources chaudes et bassins multicolores, comme c'est le cas par exemple en Atacama, ou en Islande.
L'île
Tout a commencé sous l'eau, bien sûr. En surface, il n'y avait encore rien, que le ressac incessant des vagues, sans le moindre signe pouvant laisser présager de ce que qui allait advenir. Les bouches volcaniques qui crachaient des torrents de lave rougeoyantes, les évents infernaux vomissant la terre liquide, les fissures dégueulant la pâte fluide en fusion, tout cela agissait à l'abri du regard, dans les profondeurs de l'océan, mécanique invisible d'une création inattendue.
A quoi pouvait bien ressembler la Réunion lorsqu'elle est sortie des flots ? Une lame de roche noire fumante, anguleuse et menaçante, perçant les eaux comme l'éperon d'un requin, la proue d'un navire en perdition ? Nul ne le sait. Toujours est-il que la Nature n'a pas du attendre bien longtemps pour coloniser le promontoire sorti de nul part, et, continuellement repoussée par les coulées de lave en fusion et les pluies de fragments volcaniques, elle s'attaquait à la moindre parcelle à peine refroidie, grignotant le roc, rampant à sa surface, s'enracinant dans ses interstices, enserrant la Terre jusqu'à la recouvrir presque entièrement, comme si l'océan, furieux de voir échapper un territoire de ses griffes, se lançait de nouveau vers l'insolent d'une autre façon, pour le submerger dans une autre multitude. La Réunion était prête pour accueillir les premiers hommes.
Toute île est par définition un refuge, voire un sanctuaire, que l'on atteint uniquement après avoir traversé un espace immense, soit en naviguant, soit en volant, et la Réunion n'échappe pas à cette règle. En se promenant sur le littoral, il est difficile de ne pas imaginer quelque navire de corsaires en fuite, accostant en hâte au bord d'une plage déserte, son équipage débarquant cassettes de bois et coffres métalliques pour aller les enfouir dans l'humus gras et poisseux d'une forêt profonde, en plein centre de l'île. La notion de refuge prend d'ailleurs une valeur toute particulière à la Réunion, puisque, comme nous l'avons vu, les trois grands cirques de l'île, accidentés, inaccessibles, hostiles, ont servi d'abris à de nombreux esclaves. Fuyant la soumission et les chaînes, bravant les dangers du relief et de l'environnement, les esclaves marrons ont tenté de trouver la paix dans les hauteurs. Hélas, les chasseurs de prime, motivés par l'appât du gain ou l'appel du sang, se sont lancés à leurs trousses, forçant les fuyards à redoubler d'audace et à s'enfoncer toujours plus à l'intérieur de l'île, au péril de leur vie.
Située à 21° de latitude sud, un peu au-dessus du tropique du Capricorne, la Réunion est une île tropicale, mais elle ne répond pas à l'image que l'imaginaire s'en fait habituellement. C'est en effet une version plus brutale de l'île aux plages de sable fin bordées de palmiers parasols. Chauffée à blanc par un soleil implacable, entourée d'un air lourd, chargé d'humidité, par moment irrespirable, l'île peut se montrer exténuante. C'est tout particulièrement le cas dans le cirque de Mafate, d'ou l'on ne peut rentrer et sortir qu'à pied, ou par les airs. La végétation, omniprésente, enserre chaque sentier, colonise la moindre paroi, en toute impunité, comme si rien ne pouvait arrêter ce bouillonnement vital, qui sous mille formes, prend appui sur la terre pour mieux s'élancer vers le ciel. Des corolles multicolores des orchidées aux troncs tortueux et lugubres d'arbres nains argentés, des frondes dentelées des fougères géantes que l'on dirait mutantes aux innombrables espèces herbacées, des senteurs délicates des bois de couleurs aux vielles branches pourries jonchant le sol des forêts primaires, la vie a ici décidé d'expérimenter sans aucune contrainte et limite, dans une espèce d'élan furieux teinté de rage. Les métaphores du jardinier de la villa Folio, à Hell Bourg, pour qui y prêtait attention, ne laissaient guère de doute quand à la nature de cette présence, qui semble être en permanence penchée sur vous, tout à la fois hostile et amicale. L'île de la Réunion abrite un esprit féminin. On peut se demander si le malaise fait de pesanteur, d'étouffement, qui surprend souvent le voyageur fraichement débarqué sur l'île, n'est pas lié en partie à une agitation inconsciente de l'esprit, qui reconnaît et s'émeut soudain de la présence d'un grand symbole, celui de la Mère-Nature, de la Déesse-Mère.
J'ai toujours été naturellement attiré par les grands espaces, ou l'on peut respirer sans contrainte. Des steppes sans fin de Patagonie aux déserts de sable et de rocs, des pentes infinies des volcans de la cordillère des Andes aux plaines moussues de l'Islande, ces horizons ouverts vers l'ailleurs et le ciel reposent et inspirent, invitent à la rêverie et la contemplation, emplissant l'esprit d'une étrange sérénité. A l'inverse, les jungles torrides et les forêts écrasantes, à l'atmosphère moite et suffocante, semblent asphyxier le corps et accabler l'esprit. Il est pourtant un lieu à la Réunion ou la végétation a du renoncer, et ou l'air est plus frais, vivifiant. Tout autour du Piton de la Fournaise, centre actif de l'île, des paysages brulés, noircis, s'étendent, comme une blessure cautérisée dans le couvert végétal. Sinistres et repoussants par la destruction aveugle qui a présidée à leur formation, ils semblent également vibrer d'une sourde énergie, celle du feu vital qui sous la surface, s'accumule dans des chambres souterraines, s'écoule le long des failles, emplit les fissures et stoppe tout près de son but, n'attendant plus qu'un infime déséquilibre, qu'une insignifiante poussée, pour enfin déborder et s'épancher. Sanglant et majestueux, comme le décrivait le naturaliste Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, le Piton de la Fournaise n'est peut-être rien d'autre que le trésor, le secret de l'île de la Réunion. Un passage ou les énergies ardentes s'engouffrent et embrasent, luttant ou s'unissant aux masses vertes et bleues des forêts et de l'océan.
Endroit de mystère, monde en miniature à explorer et découvrir, planète en réduction (les astres n'étant finalement rien d'autres que des îles célestes), l'île de la Réunion est un concentré de notre Univers, à la fois paradis perdu et labyrinthe menaçant, une expérience inattendue et intrigante. Même si elle appartient, d'un point de vue territorial, à notre pays, elle est pourtant belle et bien située à des années lumières de lui.
Bibliographie
. Dernière mise à jour : 4 mai 2012. Des commentaires, corrections ou remarques ? N'hésitez pas, écrivez-moi! |