Cette page relate un voyage effectué en Finlande, du 1er janvier au 9 janvier 2012, par le biais de l'agence Terres d'Aventure. Intitulé "L'appel de la Taïga", ce court séjour proposait une découverte de la forêt boréale finlandaise, ainsi qu'une initiation à deux activités originales, la pratique de la motoneige et le déplacement en traîneau tiré par des chiens. Pour chaque journée, vous trouverez un petit récit qui s'attache à présenter les points que j'ai estimés marquants. Quelques photographies, prises dans leur grande majorité avec un appareil numérique Sony DSC-HX1 et DSC-W12 (plus rarement avec un iPhone), illustrent l'ensemble.

Particularité intéressante si vous désirez replacer ce voyage dans son contexte spatial, j'ai enregistré quotidiennement nos déplacements à l'aide d'un GPS Garmin Oregon 400T. Les traces ont été converties pour être exploitables par le fabuleux logiciel Google Earth. Lorsque vous ouvrirez un itinéraire sous ce dernier, vous serez automatiquement positionné au point de départ, à une altitude variant entre 2,5 et 23 kilomètres, le parcours suivi apparaissant sous la forme d'un ruban rouge (déplacement à pied ou en traîneau) ou violet (déplacement en motoneige).

Lors de l'ouverture d'une trace GPS sous Google Earth, une petite échelle fera son apparition en haut à droite, permettant de rejouer le circuit dans le temps (la vitesse de l'animation est réglable en cliquant sur la petite clé à molette). La position sera alors marquée par une icône verte, qui signalera également le mode de déplacement (à pied, en motoneige où en traîneau). Il est possible d'ouvrir les traces les unes après les autres, de manière à suivre l'enchaînement des différentes activités jour après jour. L'échelle indique toujours l'heure locale (sachant qu'il y a une heure de décalage entre la Finlande et la France).

Jour 1 et 2 (dimanche 1er et 2 janvier 2012) : Helsinki/Hossa Nuages


Premier aperçu des paysages finlandais au travers du hublot de l'appareil, juste après l'atterrissage à Kuusamo. Cliquez pour agrandir la photo


Le petit aéroport de Kuusamo. Cliquez pour agrandir la photo

Les avions en provenance de Paris atterrissant rarement au beau milieu de nul part, la première approche d'un pays correspond très souvent à la découverte de sa capitale. Ce fut le cas lors de ce voyage, puisque notre avion, un airbus A321, s'est posé à l'aéroport d'Helsinki-Vantaa. Depuis ce dernier, nous avons rapidement gagné un hôtel tout proche, planté dans une banlieue morne et austère. Malgré les températures de saison et la nuit, nous sommes cependant ressortis pour sauter dans un bus et visiter en coup de vent la capitale finlandaise, située à une quinzaine de kilomètres de distance, sur les rivages de la mer baltique.

Helsinki m'a fait l'impression d'une ville déserte et triste. La plupart des bâtiments, modernes et fonctionnels, ne semblaient pas avoir réellement d'âme. Malgré les nombreuses illuminations nocturnes de Noël, les rues manquaient de féerie. L'architecture tend clairement vers un modernisme fonctionnel, sans caractère. Un vent froid et glacé soufflait entre les habitations, et les passants se faisaient rare. Étaient-ils confortablement calfeutrés chez eux ? La morsure du froid se ressentait d'autant plus que nous étions encore en tenue de ville. Autour de nous, certaines personnes étaient emmitouflés dans de chauds vêtements, et portaient la chapka. D'autres au contraire n'étaient que légèrement vêtues, comme si les températures polaires n'étaient finalement qu'une illusion sans assise avec la réalité.

Après plusieurs tentatives infructueuses pour trouver un restaurant typique du pays, et avoir croisé quantités de pizzerias et autres échoppes aux couleurs de l'Italie, nous nous sommes rabattus dans un restaurant mexicain, qui s'est révélé excellent, sans étancher toutefois ma soif d'altérité. C'est sans doute pourquoi, une fois de retour à l'hôtel, je n'ai pas pu m'empêcher d'essayer le sauna.

Véritable institution en Finlande, la pratique du sauna remonterait à plus de 2000 ans. A tel point que si un finlandais vous en propose un, il est parait-il considéré comme impoli de refuser ! Pour ma part, je ne me suis pas fait prier. Une à deux louches d'eau sur les pierres brûlantes, et me voici en train de transpirer avec délice dans une atmosphère surchauffée et vaporeuse. Une lucarne allongée permettait d'avoir un aperçu du monde extérieur : des rues désertes éclairées par la lueur jaunâtre de lampadaires à sodium. Quelques pavillons cubiques ou rectangulaires, blocs de béton brut de décoffrage, rompaient la monotonie de ce paysage urbain qui semblait comme figé dans l'obscurité et le froid glacial. Brûlant dans un air dont la température varie généralement entre 80°C et 90°C, je n'ai pas pu m'empêcher de frissonner intérieurement. Le monde extérieur, tel que je l'observais à travers la fenêtre, me faisait inéluctablement penser aux décors du film suédois "Morse", aussi envoûtant qu'angoissant.

Le lendemain, nous retournons vers l'aéroport pour embarquer sur un vol à destination de Kuusamo. Lors de la descente, les couches nuageuses se sont ouvertes et au travers des trouées passagères, il était possible d'apercevoir une multitude de lacs gelés, autour desquels s'étendait un couvert forestier majestueux. Située un peu en dessous du cercle polaire, bordée par la frontière russe, Kuusamo est la troisième ville la plus importante de Finlande par la superficie. Autour d'elle s'étend la Taïga, ou les rennes, les ours et les loups rodent à travers la forêt boréale, les lacs, les étangs et les marais. En hiver, la neige et la glace transforment la région en un désert blanc immaculé que le soleil abandonne de plus en plus tôt chaque jour. A 65° de latitude, nous aurons encore la chance de le voir chaque matin s'élever au-dessus de l'horizon, pour se coucher vers deux heures de l'après midi. Plus au nord, l'obscurité règne en maître.

Le froid, la nuit, la Taïga. Combien de fois avais-je parcouru en pensée ces paysages du Grand Nord, en rêvant sur les photographies d'un manuel de géographie, ou sur les diapositives projetées sur le mur d'une salle de classe ? J'active mon GPS, et la petite flèche bleue se met à clignoter, minuscule, sur la carte de la Finlande, presque collée à l'immense territoire de la Russie tout proche. Pas de doute, cette fois ci, j'y suis.

Jour 3 et 4 (mardi 3 et mercredi 4 janvier 2012) : Des moteurs dans la nuit Nuages

Le pilote écrase la poignée auto chauffante des gaz, et poussé par sa chenillette arrière, le scooter des nieges semble s'envoler. Nous sommes désormais à plus de 100 kilomètres/heure, en pleine nuit noire. Par moment, le crissement des patins sur la glace vient nous rappeler que nous n'évoluons pas sur le serpent d'asphalte d'une route, mais sur le toit fragile d'un lac gelé. Mes mains, rendues malhabiles par le port de moufles épaisses, serrent fermement les poignées du siège arrière. A cette vitesse, les à-coups et les tressautements liés à la surface inégale du sol ont pratiquement disparu, mais dès que nous serons à nouveau dans la forêt, la moindre bosse me fera décoller du siège.

La veille, en fin de matinée, je me suis retrouvé aux commandes d'une Ski-Doo Rotax 550F, une motoneige noire imposante et lourde, à la gueule agressive. N'ayant aucune affinité avec les sports mécaniques, j'ai immédiatement senti que l'engin avait un peu trop de puissance sous le capot. Un malaise m'a envahi. Dans mon imaginaire, les motoneiges étaient des engins faciles à maîtriser, à l'image de la fameuse poursuite dans le film d'action "58 minutes pour vivre" (ou Bruce Willis se fait pourchasser par une bande de dingues en tenue de camouflage blanche - utilisée pour la première fois par les Finlandais contre les forces russes durant la seconde guerre mondiale - et qui lâchent rafales sur rafales dans la nuit tout en conduisant d'une main légère), ou des jeux vidéo comme Call of Duty : Modern Warfare 2 (ou le joueur descend des pentes vertigineuses à toute allure en évitant des sapins et en étant sensé dégommer des hordes d'ennemis à l'aide d'un pistolet tenu en main gauche, le tout dans un fauteuil). Mais la réalité, bien entendu, est très différente du fantasme. Après une petite heure de conduite, j'ai la certitude que je ne contrôle pas cette étrange bête de métal et de plastique dotée de deux skis avant et d'une chenille arrière, et que je vais finir encastré dans le tronc d'un épicéa. Je préfère donc laisser ma place de pilote à un conducteur plus confiant et aguerri, pour me positionner en place arrière.

Les motoneiges foncent sur les sentiers enneigés, dans un vrombissement infernal et une odeur d'essence surchauffée. Nous descendons plein sud. Vers 13h00, le pilote de tête commence à effectuer des demi tours. Guidé virtuellement par son GPS vers une petite cabane en bois ou nous sommes sensés pourvoir allumer un feu et déjeuner, il s'arrête finalement sur une vaste clairière, en lisière d'une forêt. La piste conduisant à l'abri n'est visible nulle part. Moteurs coupés, nous descendons des motoneiges. Nous allons finalement déjeuner à proximité. Notre guide nous demande de commencer à briser les branches basses, chargées de neige, des conifères alentours, pour nous constituer un petit paravent et améliorer notre confort. De son côté, il débite à l'aide d'une hachette des morceaux de bois, avant de découper dans certains d'entre eux des petits morceaux qui seront en premier jetés à la flamme. Sur d'autres plus gros, il sépare à l'aide de son couteau de minces lamelles, en prenant soin de les laisser attacher par la base au morceau de bois, qui finit par ressembler à un palmier sculpté, sorte de pomme de pin artificielle.

L'objectif semble évident : augmenter la surface du bois, de manière à améliorer la prise au feu. A l'aide d'une allumette, il enflamme des fragments d'écorce de bouleau fins comme du papier, dépose délicatement autour du foyer naissant les petits morceaux ligneux, puis construit avec les branches de "palmier" une tour similaire à celle dressée dans les feux de Saint Jean, et dont les côtés devraient bientôt être léchés par les flammes. Hélas, le brasier s'étiole, et finit par s'éteindre. Décidé à le rallumer au plus vite, notre guide sort alors des petits rectangles allume-feu, similaires à ceux utilisés pour faire partir un barbecue. Le bois doit être trop humide, car là aussi, les flammes ne tardent pas à disparaître. La dernière solution nous est fournie par les motoneiges : ces dernières fonctionnent effectivement à l'essence ... Le temps d'aller chercher un bidon rouge de secours à l'arrière d'un scooter, et voici bientôt le feu de camp inondé d'hydrocarbure.

Le jet d'une allumette enflammée est accompagné d'un grand whooof, et les flammes orange se mettent à dévorer le combustible. La satisfaction d'avoir démarré le brasier, déjà ternie par le fait d'avoir dû faire appel à autant d'artifices,  va cependant être de courte durée. Les flammes semblent réduire leur emprise sur les bûches, et bientôt, la dernière flammèche disparaît, et avec elle la clarté rassurante de la chaleur. Dans quelques jours, nous passerons une journée à apprendre les techniques de trappeur, dont celle, fondamentale, consistant à allumer un feu. Il paraît cependant déjà évident que l'exercice est bien plus ardu que prévu, et qu'il doit l'être encore plus quand on ne dispose pas d'essence ou de briquettes de kérosène. Le foyer mourrant me rappelle une nouvelle de Jack London, "allumer un feu", qui raconte l'histoire d'un trappeur piégé par un froid dément dans les espaces infinis du grand Nord. Parvenu à démarrer un feu, il voit son travail et ses espoirs s'évanouir dans la nuit glacée quand une branche vient décharger son fardeau de neige sur les flammes. Il tente de faire partir un second brasier, mais l'épuisement et la morsure polaire sont désormais telles qu'il va finir par échouer. Il mourra gelé sous le regard de son chien, qui partira à la recherche d'un autre maître, capable lui d'allumer un feu. De notre côté, l'échec fut moins cuisant : nous avons simplement mangé froid.

Il est 15h30, et la nuit est déjà tombée sur la Taïga. L'obscurité accentue la sensation de froid et d'isolement. Nous remontons sur les motoneiges pour repartir en direction du nord. Les puissants phares des engins éclairent la piste verglacée, sur laquelle nous fonçons. Deux heures et demi plus tard, nous atteignons une petite cabane en bois sur les rives du lac Huosiusjärvi. La bâtisse est froide, et il faudra un certain temps avant que le foyer ne réchauffe la pièce principale, ou se trouve une table pour les repas, des lits superposés, et une petite cuisine. L'endroit n'est pas austère cependant, car le chalet est équipé d'un véritable sauna, petite pièce en lambris d'épicéa. Une fois l'eau puisée à la rivière et le feu démarré dans le poêle, la magie peut opérer. Coutume symbolisant à elle seule la Finlande, le sauna posséderait de nombreuses vertus. Ne reculant devant rien, nous décidons de respecter le rituel des trois étapes, version Lapone : après avoir transpiré dans l'atmosphère surchauffée et saturée de vapeur d'eau, nous allons nous sécher à l'extérieur, dans l'air arctique. Après un second passage dans le sauna, c'est la friction avec de la neige, ce qui assure déjà un choc thermique conséquent. Le clou du spectacle est assurément le troisième passage, ou nous nous sommes jetés, suivant l'exemple de notre guide, dans l'épaisse couche de poudreuse qui entourait le chalet. Être étalé dans la neige presque entièrement nu, le regard guidé vers le ciel obscur par les flèches noires des conifères, est une expérience revigorante et toute particulière.

Le lendemain, après un réveil un peu tardif, eu égard aux péripéties de la veille, nous avons à nouveau enfourché les motoneiges pour partir vers l'ouest. Une demi heure environ après le départ, nous croisons une autre caravane de motoneiges. Les palabres aboutissent à une réorganisation des deux groupes : le premier, constitué de pilotes amateurs de vitesse, et le second, formé par des conducteurs désireux de progresser à un rythme plus calme et serein. Au vu de mon ambivalence quant à cette activité, mon premier choix fut de me positionner dans le second groupe. Hélas, il n'y avait plus de place côté passager. Je me suis donc retrouvé dans le premier groupe, en tant que passager certes, mais derrière notre guide. Dès qu'il a mis les gaz, j'ai rapidement compris que bien qu'étant en sécurité, j'allais devoir serrer les dents ...

Vers 13h00, nous arrivons à un petit bivouac, situé à l'extrémité est d'une étendue gelée en forme de lame de couteau, le lac Somer. L'endroit est surtout connu pour la présence de peintures rupestres (dites de Varikallio), qu'il est possible d'admirer sur une petite falaise donnant sur le flanc nord du lac. Les peintures représentent des animaux, sans doute des rennes, ainsi que des hommes, figurés avec une étrange tête triangulaire. Après que notre guide ait sondé le lac pour s'assurer de la solidité de sa surface, nous sommes aller voir ces fresques âgées de plus de 4000 ans. Progresser sur un lac à quelque chose d'inquiétant, et le moindre craquement peut facilement faire jouer l'imagination, qui se met à façonner quantités d'images, depuis celle d'une mince croûte de glace dure en train de se fissurer, jusqu'aux profondeurs abyssales et glacées situées juste en dessous. L'eau qui sourdait de la glace sous nos pas avait cependant une origine moins dramatique.

Que ce soit à pied, en raquette, en motoneige ou en traîneau, il est en fait courant de rencontrer de l'eau à la surface d'un lac gelé. Cette dernière ne signifie pas que la carapace de glace surmontant le lac est fragilisée et prête à se rompre, mais correspondant à un phénomène portant le nom de "slush". Il s'agit d'une mince pellicule d'eau piégée entre la glace recouvrant le lac et la neige fraîchement tombée. Effectivement, sous le poids du couvercle de glace qui se forme sur le lac, ce dernier va en quelque sorte déborder au niveau des berges, l'eau refluant ensuite vers l'intérieur en se frayant un passage entre la glace et la neige, qui, en jouant le rôle d'isolant, va empêcher son gel. En motoneige, dans les secteurs de "slush", il est recommandé d'accélérer, la portance de la moto étant diminuée, avec des risques de patinage. A pied ou en traîneau, il faut simplement éviter de mettre ses pieds dans l'eau.

Il était quatre heures de l'après midi lorsque nous avons quitté le bivouac. A cette heure, la nuit est totale. J'ai repris ma place derrière le guide, et c'est comme cela que je me suis retrouvé en train de filer à 100 km/h sur la surface d'un lac gelé, fendant les ténèbres glacées de la nuit finlandaise, avec pour seule vision, la piste éclairée par le cône de lumière des phares de la motoneige, ornière englacée et chaotique qui semblait infinie ...


La motoneige
Ski-Doo Rotax 550F. Puissante, agressive, racée, c'est un bel engin pour les amateurs de sports mécaniques. Le bruit du moteur et les émanations nauséabondes d'essence en font cependant un moyen de transport paradoxal dans les étendues vierges de la forêt boréale finlandaise. Cliquez pour agrandir la photo


L'auteur de cette page, aux commandes d'une motoneige. Le port du casque est bien entendu obligatoire, et il est également recommandé d'être très chaudement habillé. La conduite (ou même le déplacement en tant que passager) demande quelques efforts, mais le corps reste quand même assez statique, d'ou un refroidissement aisé. Cliquez pour agrandir la photo


Panneau situé sur les bords du lac Somer et indiquant les peintures Rupestres de Värikallio. Le bidon d'essence ajoute un certain esthétisme à l'ensemble, à moins que cela ne soit un signal explicite autorisant le passage des motoneiges. Cliquez pour agrandir la photo


Autoportrait à proximité du lac Tulijärvi. La visière du casque permet de se passer d'un masque, mais a cependant la fâcheuse tendance de se couvrir de givre, qui gêne alors la visibilité. Sans compter qu'à peine relevée, la visière peut s'abaisser à nouveau à la moindre bosse. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama pris à proximité du lac Tulijärvi vers 14h00. Nous sommes probablement au milieu d'un marais. Le soleil est déjà couché, et l'horizon est nimbé de pourpre. La luminosité va commencer à décliner, et l'obscurité va bientôt prendre possession de la Taïga, forêt boréale de conifères.


Ambiance bleutée sur les rives du lac Huosiusjärvi. Bien que nous soyons début janvier, le froid n'est pas trop important, et les températures, très timides, se refusent à approcher les -10°C.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Des moteurs dans la nuit (jour 1) : Début de la trace depuis Hossa : 10:20:59. Fin de la trace au bivouac : 18:01:46. Temps écoulé : 07h41. Longueur : 61,3 km. Vitesse moyenne : 8 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Des moteurs dans la nuit (jour 2) : Début de la trace depuis le bivouac : 10:05:33. Fin de la trace au parking : 16:26:32. Temps écoulé : 06h21. Longueur : 47 km. Vitesse moyenne : 7 km/h.

Jour 5 et 6 (jeudi 5 et vendredi 6 janvier 2012) : Will to go Neige


Le chenil d'Hossa la nuit. Les lumières ont été allumées pour faciliter la distribution de nourriture. Cliquez pour agrandir la photo

La hache monta dans l'obscurité, s'arrêta en haut de sa trajectoire en arc de cercle, puis redescendit en fendant l'air glacé telle la lame d'un rasoir, pour pénétrer dans le bloc de viande rouge. Un large morceau informe se sépara de la masse principale. Tout autour résonnait un vacarme assourdissant : aboiements féroces, hurlements angoissés et plaintes lancinantes. Indifférent au chaos émanant de plus d'une centaine de chiens de traîneau, le musher releva son hachoir géant, et trancha un nouveau kilo de viande gelée.

Ce fut ma première rencontre avec eux. N'ayant jamais vraiment interagit avec les animaux, et nourrissant une légère crainte face aux chiens dont la physionomie s'approche un peu trop du loup, j'aurai du être terrifié par ce spectacle : la hache, la viande rouge, et 140 chiens en train de tirer sur leur chaîne, d'aboyer debout sur leur niche, ou de trotter nerveusement autour de l'arbre auquel ils étaient attachés. Pourtant, j'ai été fasciné, subjugué, par cette nature déchaînée, qui apparaît ici crûment, sans artifice aucun, dans toute sa réalité et sa violence.

Une fois l'ensemble des plaques de viande découpées, les morceaux sont déposés dans une petite luge, qui est ensuite déplacée dans le chenil, illuminé par des lampes qui viennent d'être allumées pour l'occasion. Les chiens sont tellement déchaînés qu'un coup de croc est vite arrivé, et les mushers n'ont d'autre solution que de lancer à chaque chien, en se tenant à une distance respectable, la pitance congelée. Et gare si le bloc rouge tombe hors de portée d'un chien, qui tire sur sa chaîne comme un damné pour s'en saisir. Mieux vaut pousser le morceau de viande du pied pour le faire rentrer dans la zone de déplacement de l'animal, plutôt que d'y mettre la main. Qu'ils soient en train de se nourrir où de tirer un traîneau, les chiens obéissent à une pulsion venue du fond des ages, qu'il vaut mieux ne pas contrarier.

Après le petit raid de deux jours en motoneige, nous sommes sur le point d'en entamer un autre d'une durée identique, a ceci près que nous allons être cette fois ci propulsés non pas par les pistons d'un moteur à explosion, mais par la course hypnotique de chiens de traîneau, principalement des Alaskan Husky. Le départ était donné devant le chenil et un vacarme infernal montait de l'endroit. Le matin, les chiens sont nourris avec une soupe contenant des morceaux de viande, mais la distribution avait du avoir lieu depuis longtemps. Pourtant, les animaux avaient l'air surexcités, tandis que les mushers s'agitaient en tous sens, passablement tendus. Devant mon étonnement, l'un d'eux ne tarda pas à m'expliquer que l'attelage des chiens était un moment stressant. L'énervement des chiens, qui n'attendent désormais plus qu'une chose, fendre le vent, peut conduire à des dérapages et des bagarres. Le fait que certaines chiennes soient en chaleur n'arrangeait pas non plus le travail de ces meneurs d'animaux. A un mètre de moi, un male grognait, gueule ouverte, crocs apparent, tirant avec insistance sur ses liens, en dévisageant de façon mauvaise un rival. Ce dernier répondait de façon assez molle à cette agression, ce qui semblait agacer encore plus le premier, qui redoublait alors d'efforts dans sa hargne.

Avant de s'installer pour la première fois aux commandes d'un traîneau, notre guide nous donne les rudiments de base de cette activité : l'importance de ne jamais (sauf cas de force majeure) lâcher le traîneau, l'utilisation du frein, la position des pieds sur les patins, la façon de considérer le traîneau comme des skis, le fait de devoir parfois pousser pour aider les chiens, ou courir à côté pour négocier un passage délicat. Lors d'une petite mise en pratique avec les différents participants, nous sommes sensibilisés au choc du départ, lorsque les chiens parviennent à décoller le traîneau (l'à-coup peut être suffisamment violent pour expulser le conducteur), ainsi qu'aux réflexes à acquérir en cas de chute du traîneau, les chiens, indifférents au sort du musher, continuant effectivement à tirer comme si de rien n'était. Dans mon imaginaire, le conducteur du traîneau pouvait contrôler son attelage par la voix, faire comprendre aux chiens qu'il serait bon de ralentir, et attendre d'eux des comportements en adéquation avec certains événements, comme une chute. Les explications de musher ne tardent pas à me faire comprendre que la réalité est tout autre : les chiens ont été entraînés pour tirer et courir, et en l'absence d'ordres, c'est ce qu'ils vont faire. Une fois lancés, ils se comportent comme une force vive, dirigée dans un seul but, et c'est à l'homme de la réguler : par la voix pour les mushers d'expérience, en utilisant le frein ou l'ancre à neige. Que le conducteur soit éjecté de son traîneau et que ce dernier soit renversé, les animaux n'en ont que faire : ils sont nées pour tirer, et ils ne vont pas s'arrêter pour si peu ...

Je fais connaissance avec mon attelage, préparé par un musher : les chiens sont déjà engoncés dans un harnais bien ajusté, et reliés à la ligne centrale (center line ou main line) du traîneau par un lien de cou (neck line) et un lien de dos (tug line). Le mien comporte cinq chiens en tandem double : un unique chien de tête, Douglas, qui m'a inspiré, je dois l'avouer, beaucoup de respect, deux swing dogs placés juste derrière le leader (Clay et Cake), et enfin deux wheal dogs positionnés juste devant le traîneau, et dont le rôle est d'arracher ce dernier (Kurko et Dahlia).

Les chiens aboient et tirent dans tous les sens. Debout les deux pieds sur le frein, j'appréhende un peu le départ. Douglas se démène comme un diable, malgré sa petite taille. Le musher libère le lien qui relie le traîneau à un arbre tout proche, et je relâche légèrement la pression sur le frein. Le choc me fait partir en arrière, mais mes mains gantées sont fermement agrippées au guidon, et le traîneau s'envole.

L'attelage glisse en silence sur la surface gelée d'un lac. Devant moi se produit une sorte de féerie. Comme un seul homme, les cinq chiens courent sans faire le moindre bruit, leurs pattes semblant flotter sur la piste blanche. Tous les mouvements sont synchronisés, tous les muscles tendus dans le même but. La frappe des pattes sur la glace acquière une majesté, capable de défier la gravité et le temps. Il est difficile de se départir de la sensation qu'intérieurement, les chiens sont en train d'exulter.

Les complications ne tardent pas à arriver, car la piste que nous suivons ne se contente pas de traverser les étendues immaculées et monotones des lacs et marais finlandais. Dans la forêt, le tronc des arbres semble attirer magnétiquement l'arceau situé sur la partie avant du traîneau, et il faut négocier les premiers virages. Devant moi, l'un des traîneaux vient de verser. Pour éviter un impact, j'ai appuyé sur le frein, mais trop tard. Galvanisés par une pente toute proche, Douglas et ses compagnons tirent de plus en plus fort. L'attelage forme désormais un angle droit avec le traîneau, les chiens ayant pivoté autour d'un tronc d'arbre proche. Le traîneau est inexorablement attiré vers ce dernier. Je me retrouve par terre, accroché au guidon, gesticulant dans la neige, tentant maladroitement de redresser une situation qui devient de plus en plus inextricable. Heureusement, le compagnon situé derrière moi est plus expérimenté. Il stabilise son traîneau en plantant son ancre à neige (que nous n'avons normalement pas le droit d'utiliser, l'outil pouvant se révéler dangereux pour l'homme et les chiens quand il est mal utilisé), et m'aide à me redresser. Le lendemain, en pleine nuit, nous passerons à nouveau ce virage sans aucun encombre, preuve des petits progrès que nous aurons réalisé entre-temps.

Le parcours en forêt donne l'occasion d'aborder les premières pentes (le relief étant accidenté dans la région d'Hossa) : celles qui se descendent debout sur le frein, les chiens s'en donnant à coeur joie, et celles qui se montent, et ou il faut pousser, soit d'une jambe, soit en courant, les bras tendus vers l'avant. Lors des premières montées, je me reposais nonchalamment sur les chiens, jusqu'à que je m'aperçoive que Kurko, l'un de mes deux wheal dogs, se retournait un peu trop souvent vers moi pour me dévisager d'un oeil interrogateur, dans une attitude qui évoquait de plus en plus la réprimande et l'agacement. Les mushers nous avaient prévenus de cette réaction des chiens, mais la vivre à quelque chose d'étonnant. J'étais persuadé que le chien ne regardait pas simplement le traîneau, pour essayer de comprendre ce qui pouvait bien le bloquer, mais bien moi, pour me rappeler que j'avais aussi ma part du travail à accomplir.

A 12h30, nous nous sommes arrêtés à proximité d'une cabane en rondins pour déjeuner, et une fois les sandwichs réchauffés au feu de bois avalés, nous sommes repartis vers l'ouest. Le maniement du traîneau s'effectuant de manière plus naturel, le parcours s'est effectué avec une certaine fluidité. Le principal souci était de respecter la distance entre les différents traîneaux, car certains attelages situés devant moi avaient tendance à stopper ou ralentir un peu trop souvent, pour une raison que j'ignorais (arrivée de la nuit, traîneau trop lourd ou attelage sous-dimensionné, difficulté à manoeuvrer). Pour éviter que Douglas ne se prenne les pattes dans les patins du traîneau suivant, j'étais donc obligé de stopper souvent mon propre traîneau, et d'attendre avant de repartir. C'est à ce moment que j'ai commencé à prendre conscience de l'incroyable énergie de mon chien de tête.

Lorsque l'on conduit un traîneau, il peut être rassurant de se convaincre que ce dernier est sous notre contrôle. Pour ma part, j'ai du abandonner très vite cette illusion. A chacun de mes arrêts, Douglas (et parfois les autres chiens) commençaient par se rouler dans la neige, non pas pour marquer le plaisir (réel) qu'ils avaient à courir, mais plus simplement pour se refroidir. Au bout de 30 secondes environ, Douglas, dressé sur ses pattes, se mettait à aboyer, puis à lancer des plaintes douloureuses en tirant sur son harnais. A partir de là, il entamait une série d'impressionnants bonds en avant, qui avaient pour effet d'exciter tout l'attelage, et finalement d'arracher le traîneau. Les deux pieds sur les freins, appuyant de tout mon poids, je voyais ce dernier avancer mètre après mètre vers l'attelage devant moi, sans pouvoir rien faire pour stopper l'inexorable progression. Douglas tirait sur ses liens comme si sa vie entière en dépendait. Au moment ou j'écris ces mots, je le revois bondir quelques mètres devant moi, silhouette sombre se découpant dans l'obscurité, tentant d'engager le traîneau sur une pente délicieuse en haut de laquelle j'avais stoppé, histoire d'éviter une collision avec un traîneau renversé en contrebas. Saut après saut, fou d'une rage déchirante par son intensité et sa nudité, Douglas faisait avancer la masse du traîneau, pour se jeter dans la piste, comme on se jette dans l'inconnu. Ce chien aurait pu donner bien des leçons à des hommes sur des questions aussi sensibles que l'énergie et la motivation. J'ai appris plus tard avec soulagement que les mushers ont un terme qui vient d'Alaska pour désigner ce désir étourdissant qui habite certains chiens de traîneau : le will to go. Il est remarquable de penser que ce feu intérieur, moteur de leur élan, le chien l'offre au musher. Ce qui signifie que dans certaines conditions, il peut aussi lui refuser.

Une fois parvenus à notre bivouac (un joli chalet en bois situé sur les rives du lac Iso-Valkeainen), nous avons détaché les chiens des attelages, ôté leur harnais, et accroché ces derniers à des liens tendus entre les arbres. L'eau courante n'étant pas disponible, je suis allé la tirer à un puit équipé d'une pompe à main, accompagné d'un musher. A la lueur de la lampe frontale, des dizaines d'yeux verts sont apparus entre les troncs sombres des arbres. En silence, lovés dans un petit creux de neige, les chiens me dévisageaient, tels des esprits de la forêt. Une fois revenu au chalet, le musher sorti une hachette, ainsi qu'une lourde plaque de viande gelée, entourée de carton blanc, qu'il posa verticalement sur le sol. D'une pichenette, il déstabilisa le bloc rectangulaire, qui commença à basculer, compressant un coin d'air glacé entre lui et la neige. Un claquement infime se vit entendre. A une centaine de mètres de là, tous les chiens, qui étaient auparavant parfaitement silencieux, se mirent à hurler.

Le soir, les mushers nous ont régalé d'un saumon fumé cuit au feu de bois, et servi avec un riz délicieux. Le lendemain, nous sommes repartis tardivement, les préparatifs liés à la mise en place des attelages étant naturellement longs.

Fasciné, pour une raison que j'ignore, par l'activité consistant à nourrir les chiens, je me suis porté volontaire avant le départ pour aider à la distribution de la soupe, un brouet épais chargé de morceaux de viande, dont on remplit des écuelles qui sont apportées aux chiens. Le risque de morsure est ici presque nul, et il est donc possible de déposer ces dernières tout prêt de l'animal. Les écuelles n'étant disponibles qu'en petit nombre, seuls quelques chiens peuvent se nourrir, les autres devant faire preuve de patience. A la moindre tentative d'un chien pour s'approprier le repas d'un autre, le musher intervient immédiatement pour rétablir l'ordre, parfois de façon brutale. Le musher m'explique que dans une meute telle que celle-ci, le dominant doit d'abord être l'homme, ce qui n'empêche pas l'existence d'une hiérarchie entre les chiens. Quand ils présentent leur meute, les mushers pointent d'ailleurs très rapidement le ou les dominants, que ce soit à l'intérieur de l'espace confiné d'un enclos à chiots, ou au niveau du chenil lui-même. L'observation du comportement des Alaskans en train de se nourrir est particulièrement intéressante. Ainsi, certains chiens refusent de laper leur soupe quand nous sommes à proximité, et attendent notre départ pour pouvoir profiter du contenu de l'écuelle. D'autres, peu attirés par le liquide, tentent à petit coup de patte de renverser leur auge, pour pouvoir gober sur la neige les morceaux de viande. L'une des chiennes n'y a d'ailleurs pas été par quatre chemins : servie dans un bol, elle a immédiatement fait basculer ce dernier, avant de se mettre à déguster la bouillie à même le sol.

Les mushers ont procédé à quelques changements dans notre petit raid, et certains chiens ont été déplacés, tandis que des traîneaux ont été intervertis. Les chiens s'élancent à nouveau sur la piste, et nous progressons avec facilité. La composition des attelages a amené plus d'efficacité, et les progrès dans la conduite des traîneaux se font aussi sentir. Nous déjeunons à 13h00 à proximité d'un chalet, puis nous nous remettons en route pour la dernière partie du circuit. La nuit est tombée, et ma frontale, dont les piles sont épuisées, ne marche pas mieux que la veille. Dans l'obscurité, j'essaye de deviner les éventuels obstacles de la piste. Les chiens ne semblent pas être incommodés le moins du monde par l'absence de lumière. Je suis concentré sur la conduite du traîneau, et l'activité consistant à deviner la présence d'une bosse, ou les arbres au travers desquels les chiens sont passés lors de virages serrés dans les sous-bois devient amusante. Le convoi de traîneau parvient sur un lac. Nous glissons en silence dans la nuit, telle la flèche d'un arc. Pour la première fois depuis le début de notre séjour, une trouée dans la couverture nuageuse laisse apparaître un demi croissant de lune, qui inonde le paysage d'une lumière argentée.

Le dernier lac que nous allons traverser va ralentir notre progression. La piste passe dans une zone de slush assez importante, et les chiens progressent difficilement dans l'eau glacée qui recouvre la surface de l'étendue gelée. Aider les animaux n'est pas une bonne idée, étant donné que nos pieds s'enfoncent dans l'eau froide. Mieux vaut les garder au sec sur les patins, et laisser les Alaskans sortir le traîneau du secteur inondé. Sur le dernier tronçon, nous laissons un large espace entre les traîneaux, pour pouvoir profiter au maximum des derniers moments de la journée avec les chiens, qui foncent à vive allure dans la nuit.

Une fois de retour au chenil, j'aide tant bien que mal à défaire les attelages, à sortir les chiens des harnais, et à les raccompagner à leur niche. L'un des mushers me propose de ramener Dahlia, l'un de mes wheal dogs. La meilleure façon de procéder consiste à saisir l'animal par le cou, via son collier, et de le faire avancer debout sur ses deux pattes arrières. En tant que wheal dog, Dahlia est une chienne lente mais puissante, et c'est seulement au moment de la conduire vers sa niche que je prends conscience de son énergie. Inutile de le cacher, c'est plutôt elle qui me traîne, et non l'inverse ! Arrivée à sa niche, après avoir empiété sur le territoire de quelques uns de ses compagnons (qui viennent au contact en lui sautant dessus et en aboyant), je suis incapable de trouver sa chaîne dans l'obscurité, sans l'aide qu'aurait dû me procurer ma frontale. Commençant à être légèrement stressé par les à-coups de Dahlia et les assauts des autres chiens, me voici de retour au centre du chenil pour m'enquérir de la position de la chaîne (celles-ci sont généralement accrochées aux troncs de arbres, sous la neige !). Je finis tant bien que mal par ramener ce superbe animal aux yeux bleus à sa niche, et à la mousquetonner à sa chaîne. Quelques caresses pour me faire pardonner, et je reviens, extenué, sur mes pas.

Au moment de repartir, Lionel, notre musher principal, me propose d'assister à nouveau au rituel de la distribution de la viande gelée. J'accepte sans hésitation. Une fois la tournée des adultes terminées, j'accompagne un jeune musher au niveau des enclos à chiots. Ces petits chiens sont désarmants par leur comportement. Dès que l'on approche de l'enclos, ils se groupent tous au niveau du grillage (il vaut mieux alors ne pas les caresser dans cette situation, ce qui pourrait les convaincre que le monde extérieur est plus intéressant que l'enclos, et donc les pousser à sortir). Agrippés au treillis métallique, montés sur leurs pattes arrières, ils vous regardent fixement, avec un intérêt évident. Une fois dans l'enclos, ils se mettent immédiatement à jouer avec vous, tirant sur tout ce qui aurait l'arrogance de dépasser : lacets, sangles de sacs à dos, plis de pantalon. A l'heure du repas, l'attraction constituée par les petits morceaux de viande congelés les préoccupent cependant entièrement.

Là aussi, les comportements sont intrigants. Dans l'un des enclos, le jeune musher m'explique que l'une des petites chiennes a tellement peur qu'elle se terre toujours dans la grande niche, sans trouver le courage de sortir pour s'emparer de son morceau de viande que les autres lui chippent bientôt. La nourrir dans la niche n'étant pas une bonne idée, les mushers préférant la laisser certains soirs sans nourriture, pour lui donner le courage de sortir. Le musher qui m'accompagne s'étonne bientôt que l'un des chiots grogne tout seul dans son coin, alors qu'il est en train de dévorer un morceau de viande, avant de me fournir l'explication. Le chiot en question fut un temps le souffre douleur du groupe, et s'il grogne sans raison évidente, c'est tout simplement parce qu'il a déjà compris que son morceau étant un peu trop gros, il n'aura sans doute pas le temps de l'avaler complètement avant que les autres aient fini leur repas. Il a donc commencé à se défendre contre un assaut potentiel de la part de ses compagnons, et en particulier du chiot dominant. Pour lui laisser un peu plus de temps, le musher tente d'occuper les autres chiots en jouant avec eux, ou en renversant un saut de neige qu'ils prennent pour de la nourriture. Finalement, il referme la porte de l'enclos, et lance un dernier morceau de viande sur le toit de la niche, en m'expliquant que seule la petite chienne peureuse a développé l'expertise pour y grimper.

Je m'éloigne du chenil pour retourner à l'hôtel tout proche. Seul sur la route menant à ce dernier, je ne peux m'empêcher de réfléchir à l'étrange lien qui semble pouvoir se nouer entre les animaux et l'homme. L'échange entre un chien et un homme peut sans doute paraître évident à ceux qui les côtoient en permanence, mais quand ce n'est pas le cas, la découverte de cette connexion a quelque chose d'intriguant. Oserais-je dire dérangeant ?


Douglas, le chien de tête de mon attelage. Douglas, adorable crapule, combien de fois me suis-je adressé à toi pour te demander de ralentir, ou d'arrêter de me faire avancer malgré moi ? Ton nom, j'en suis sur, résonne encore sur les troncs de la forêt boréale. Cliquez pour agrandir la photo


Derrière Douglas, Clay et Cake, dans le rôle des swing dogs. Accrochés sur la ligne centrale derrière le leader, ils influencent comme lui la vitesse du traîneau, ainsi que sa direction. Ils placent également une certaine pression sur le chien de tête, en forçant en quelque sorte ce dernier à avancer. Cliquez pour agrandir la photo


Derniers chiens de l'attelage, Kurko et Dahlia (premier plan). Les wheal dogs sont des chiens lents, mais puissants, et ce sont eux qui ont pour rôle d'arracher le traîneau à la gravité terrestre. Derrière son beau pelage et ses yeux bleus, Dahlia cache ainsi une énergie impressionnante. Cliquez pour agrandir la photo


Tableau reprenant la composition de tous les attelages de notre raid. Il permet de comprendre l'importance des préparatifs menés par les différents mushers pour mettre les traîneaux en branle, et le niveau de tension (palpable) qui accompagne les départs ou les arrivées au chenil. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama du lac Hossanjärvi, sur la berge duquel nous nous sommes arrêtés avec les traîneaux pour déjeuner.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Will to go (jour 1) : Début de la trace depuis Hossa : 09:33:17. Fin de la trace au bivouac : 16:42:14. Temps écoulé : 07h09. Longueur : 26,9 km. Vitesse moyenne : 4 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Will to go (jour 2) : Début de la trace depuis le bivouac : 11:45:27. Fin de la trace à Hossa : 16:56:06. Temps écoulé : 05h10. Longueur : 25,9 km. Vitesse moyenne : 5 km/h.

Jour 7 (samedi 7 janvier 2012) : Jouer avec le feu Nuages


L'intérieur d'un igloo, érigé par un guide à proximité d'un lac finlandais. Cliquez pour agrandir la photo


Forage d'un trou sur un lac gelé à l'aide d'une tarière pour pouvoir y pêcher du poisson : on est pas prêt de manger ! (© Wei Zhang). Cliquez pour agrandir la photo

Après le dépaysement offert par les motoneiges et les traîneaux, le samedi fut plus une journée de repos qu'autre chose. Certes, nous étions sensés découvrir diverses activités de trappeur, mais l'ensemble s'est révélé décevant.

Une fois le groupe formé devant l'hôtel, nous avons chargé des raquettes et du petit matériel dans une pulkka, traîneau de transport en forme de barque qu'il est possible de tirer derrière soi, par l'intermédiaire d'un harnais de traction et de deux tiges. Le trajet à effectuer était assez court et c'est tant mieux : la progression avec une pulkka n'a rien d'évident, et cette dernière n'a pas tardé à verser son contenu sur la neige !

Le premier arrêt a eu lieu au bord du lac Hossanjärvi, au niveau d'un foyer couvert, lieu idéal pour apprendre à allumer un feu. Ayant eu l'occasion de découvrir cette activité tout particulière en pleine nature le premier jour, avec le résultat que l'on sait, la démonstration avait quelque peu perdu de son charme. Notre guide amena cependant dans son explication des éléments nouveaux, en particulier l'utilisation de petites touffes d'un lichen chevelu desséché (appelé barbe de rennes), et d'un bâton de magnésium. Contrairement à notre premier essai grandeur nature, le feu a pris rapidement, mais hélas, le conduit de la cheminée située au-dessus du foyer n'a pas tardé à décharger la neige collée à ses parois, éteignant presque immédiatement les flammes qui avaient commencé à lécher le bois. Décidément, Jack London avait vu juste avec sa célèbre nouvelle !

Une fois le feu rallumé, nous nous sommes ensuite lancé dans une activité un peu audacieuse pour les citadins que nous sommes : pêcher du poisson dans un lac gelé. Muni d'une lourde tarière à vis sans fin, nous avons entrepris de creuser un trou dans la glace. Avec satisfaction, nous avons vu l'eau apparaître rapidement sous la neige, mais il s'agissait d'une couche de "slush". Après bien des efforts, la vis hélicoïdale a cependant fini par rogner suffisamment de glace pour atteindre l'eau noire et glacée du lac. Assis sur des petits tabourets, munis d'une minuscule canne à pêche en plastique, nous avons donc tenté d'attraper du poisson, que nous étions ensuite sensé faire cuire sur le feu préalablement allumé. Inutile de dire qu'aucun d'entre eux ne s'est montré suffisamment bête pour se faire prendre au piège !

Rentrés bredouille de notre héroïque tentative pour nous nourrir nous même, nous avons chaussé les raquettes pour nous diriger vers une ferme d'élevage de rennes, ou après un petit tour en traîneau tiré par un caribou quelque peu revêche, nous nous sommes initiés au lasso (avec plus de succès que la pêche pour certains), avant de nous engouffrer dans un magnifique chalet en bois. Au menu, soupe de champignon et poronkäristys, un ragoût de rennes (viande réputée pour sa finesse) accompagné de purée de pommes de terre et de canneberges (variété de baies rouges sauvages). Au centre de la pièce, dans un âtre circulaire, un feu vigoureux brûlait d'un magnifique éclat orange. Nous nous sommes ensuite installés devant un DVD présentant quelques-uns des plus fameux habitants de la région : rennes, ours brun et ... père Noël ! Les fauteuils rembourrés étaient diablement confortables, et la pièce délicieusement chauffée, ce qui rendait toute perspective de retourner dans le froid difficile à envisager. La ferme vendait également quelques souvenirs locaux : chapka en peau de renard gris, peau de rennes, bibelots divers ornés de motifs traditionnels, mets locaux. Pour ma part, j'ai pris l'habitude d'éviter de me charger de ces objets que l'on ramène avec soi, et que l'on investit d'une sorte d'âme capable de nous transporter à nouveau, pour quelques minutes ou quelques heures, dans les lieux lointains et magiques que nous avons visité, tellement éloignés de notre quotidien qu'ils semblent parfois n'avoir jamais existé. J'ai failli repartir sans rien, quand je suis tombé sur l'un de ces petits bâtons de magnésium, enfiché dans un manche en bois sculpté. Comme durant la matinée, les propriétés de ce métal insolite me sont à nouveau revenues en mémoire.

Le magnésium est un élément résistant, léger, facile à usiner. Sa propriété la plus intéressante reste cependant son caractère inflammable : un copeau s'enflamme facilement à l'air libre, et réduit en poudre, il devient même explosif. La poudre de magnésium a longtemps été utilisée pour produire les premiers flashs photographiques : il suffisait d'en jeter une petite quantité dans une flamme pour produire un éclair aveuglant de lumière. Seuls des petits fragments de magnésium peuvent entrer en combustion. Lorsqu'il existe sous la forme d'un bloc ou d'un cylindre (comme c'est le cas ici), la masse du métal conduit et évacue suffisamment la chaleur pour éviter tout inflammation spontanée. Les feux de magnésium, qui peuvent se produire dans un environnement industriel, s'éteignent d'une manière tout à fait particulière : la seule chose à faire étant de les laisser brûler (tout comme les feux de trappeur d'ailleurs, qui par tradition ne sont jamais éteints, mais pour d'autres raisons) ! Toute tentative de les stopper avec de l'eau peut effectivement se relever catastrophique : les émissions de vapeur peuvent projeter des fragments de métal brûlant partout, et les molécules d'eau peuvent aussi se scinder en oxygène et hydrogène, aboutissant à une énorme explosion d'hydrogène. Le magnésium réagit également vivement avec le dioxyde de carbone présent dans de nombreux extincteurs : il brûle tout simplement encore plus vigoureusement et plus rapidement ! Même l'utilisation de matériaux comme le sable ou le sel ne sont pas recommandés pour éteindre des foyers de feu métallique.

Je suis donc ressorti de la ferme avec mon petit cylindre de magnésium, amusé par le fait qu'il suffise de le rayer avec la lame d'un couteau pour produire de superbes gerbes d'étincelles blanches, à même d'enflammer une petite touffe de lichens séchés ou des copeaux de bouleaux. Bien entendu, de l'imaginaire à la réalité, il y a un gouffre, mais tout commence toujours par une idée, aussi inattendue soit-elle.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Journée trappeur : Début de la trace depuis Hossa : 09:41:49. Fin de la trace à l'auberge : 16:28:27. Temps écoulé : 7h46. Longueur : 3,7 km. Vitesse moyenne : 0,5 km/h.

Jour 8 (dimanche 8 janvier 2012) : Aila Neige

Après les motoneiges et les traîneaux, qu'ils soient tirés par des chiens ou des rennes, nous avons terminé notre dernière journée en Finlande en cheminant à pied, ou plus précisément en raquette. Adorant la marche à pied, ce type de déplacement a toujours eu ma préférence. Pourtant, lorsque nous nous sommes rassemblés pour le départ devant l'hôtel, une bonne surprise m'attendait. Une chienne très affectueuse, avec laquelle j'avais déjà passé un peu de temps dans le chenil, patientait, attachée à un arbre, trépignant à l'idée de courir en pleine nature. Agée de 10 ans, Aila n'était plus intégrée aux attelages des traîneaux, mais continuait à faire de la cani-rando. Si Aila était avec nous, c'est parce que l'un des participants pensait avoir un peu de mal à progresser en raquettes, et la randonnée allait donc être placée sous le signe de la détente plus que de l'activité sportive proprement dite. Pour ma part, autant les chiens de traîneau m'avaient fasciné dans leur capacité à tracter de lourdes charges, autant le fait d'être aidé par un chien pour progresser à pied me paraissait saugrenue. Comme très souvent lorsque nous avons des idées préconçues, je me trompais du tout au tout. Aila allait en fait transformer cette journée en pur moment de ravissement.

A 10h00, raquettes au pied, nous sommes donc partis en direction du nord-ouest, en suivant la ligne de crête d'un colline longeant le lac Öllöri. La formation glaciaire sur laquelle nous progressons porte le nom d'esker. Il s'agit en fait des restes de tunnels sous-glaciaires ayant servi de passage à des rivières souterraines alimentées par la fonte des glaces. Vers l'ouest, nous pouvions aussi apercevoir des petites cuvettes remplies d'eau (gelée), des kettles. Ces structures peuvent se former lorsqu'un glacier se retire, une partie de la glace se retrouvant alors isolée du reste du glacier. Recouverte par des dépôts de sédiments, la lentille de glace, protégée de l'environnement extérieur, peut demeurer intacte très longtemps. Lorsque la glace finit finalement par fondre, le vide créé entraîne l'effondrement des strates situées au-dessus, donnant ainsi naissance à une cuvette qui va se remplir d'eau.

Vers midi, nous nous sommes arrêtés au bord du lac Huosilampi pour déjeuner, puis nous avons tranquillement rebroussés chemin. Au bout d'un moment, notre guide nous a proposé d'essayer à notre tour la cani-rando, et c'est là que les choses sont devenues très intéressantes pour moi. Comme son nom l'indique, cette activité originale consiste à se laisser tirer en avant par un chien de traîneau, qu'il faut guider par la voix ou les gestes. Comme dans un attelage, le chien est équipé d'un harnais, relié à une longe dont l'autre extrémité est fixée à une large ceinture rembourrée que l'on s'accroche au bas du dos. Une fois le mousqueton refermé, le chien commence à tirer et ... ça devient magique !

Il est difficile d'imaginer, tant que l'on ne l'a pas expérimenté, la puissance que le chien est capable d'insuffler à la marche. En début de journée, notre guide nous avait demandé de bien vouloir rester derrière lui, de manière à éviter ces situations désagréables ou tout le monde est éparpillé dans tous les sens, et ou compter les membres d'un groupe devient mission impossible. Malgré la lenteur avec laquelle nous avons progressé, j'avais bien entendu respecté cette demande. Cependant, une fois poussé en avant par Aila, j'ai trouvé dommage de ne pas lui permettre de prendre de la vitesse. J'ai commencé à marcher au côté du guide, Aila tirant sans relâche, puis je lui ai lâché la bride, avec pour résultat presque immédiat d'être happé en avant, sans perte d'équilibre, avec l'impression d'avoir chaussé des bottes de sept lieues. Le groupe a rapidement disparu derrière moi. Aila trottait joyeusement, et je me suis surpris à faire des pas plus rapide, jusqu'à commencer à courir lentement sans sensation de fatigue, les raquettes me donnant simplement l'impression d'avoir au pied des pattes de canard. De manière à pouvoir poursuivre cette progression jubilatoire au sommet de l'esker, j'ai marqué plusieurs pauses, pour donner le temps au groupe de nous rejoindre. Une fois que la jonction avait été effectuée, du moins visuellement, et en prenant garde de ne pas perdre la piste, je repartais de plus belle, propulsé par l'entrain d'Aila. Après une ou deux minutes, pour un court instant, je me retrouvais seul avec elle, au milieu de la forêt boréale, homme et animal uni dans l'effort.

Si Douglas n'en faisait qu'à sa tête durant le raid à traîneau, Aila se montrait bien plus obéissante. Certes, je ne parlais absolument pas le langage des chiens, et j'aurais sans doute été incapable de lui demander de changer de direction, de partir au galop, ou de la guider dans une descente. Pas plus d'ailleurs que je n'aurais été capable de décrypter ses demandes au travers de ses aboiements. Pourtant, il me suffisait de l'appeler par son nom pour qu'immédiatement elle stoppe. Un battement de main sur ma jambe droite, et la voici qui rebroussait chemin pour venir contre moi chercher une caresse. Bien que déjà matérialisé par la longe, le rapport affectif qui peut s'établir entre l'animal et l'homme prend ici une dimension palpable. Debout sur l'esker, Aila patientant à mes pieds, contemplant les paysages uniformes et infinis de la Taïga, je me suis laissé envahir par l'idée de continuer à courir avec elle sans m'arrêter, franchissant kilomètre après kilomètre. Juste retour des choses que cet animal qui, dressé par l'homme pour libérer son feu intérieur dans la course et l'effort, en vienne finalement des années plus tard à insuffler en retour à un autre humain, la volonté d'avancer.


En Finlande, tous les rennes sont des rennes d'élevage. Ce dernier se fait de façon extensive, les rennes étant libre d'aller et venir sur de vastes territoires. La viande de rennes est très appréciée, leur peau sert à confectionner de chauds vêtements et couvertures, et de nombreux outils et ustensiles sont usinés avec les os. Cliquez pour agrandir la photo


Photographier Aila est une tâche assez ardue. Dès que l'on s'approchait d'elle, cette chienne très affectueuse venait chercher des caresses. L'intensité de son regard rappelle néanmoins ses origines. Quelque part en elle, il y a encore une louve. Cliquez pour agrandir la photo


Fièrement dressée sur ses pattes, Aila attend impatiemment de reprendre sa course. Elle est photographiée ici au bord du lac Huosilampi, à l'heure du déjeuner. Il est assez facile d'imaginer qu'elle sourit. Cliquez pour agrandir la photo


Le parc d'Hossa, vaste terrain de jeu naturel pour les amateurs de nature, comporte de nombreux chalets et bivouac. Ces derniers sont bien entendu exclusivement bâtis en bois, dans le style tenons et mortaises. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama du lac Huosilampi, à midi. L'horizon est déjà en train de rosir, ce qui magnifie ces paysages enneigés à la beauté intemporelle.


Une seconde vue du lac Huosilampi. En Finlande, les paysages ont tendance à tous se ressembler. Les lacs sont autant de trouées dans le couvert forestier, et en sous bois, il est aisé de se perdre, à cause de la monotonie de l'environnement. Quelque soit la direction, tout n'est effectivement que pins, épicéas et bouleaux dont les branches plient sous la charge de neige. Le manteau neigeux recouvre tout, amortissant et masquant les sons. Pour peu que le temps soit couvert et qu'il neige, l'homme a l'impression de se déplacer dans du coton.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Aila : Début de la trace depuis Hossa : 09:59:40. Fin de la trace à Hossa : 15:43:15. Temps écoulé : 5h44. Longueur : 10,3 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

L'appel de la forêt


Carte satellitaire de la Scandinavie montrant la zone couverte durant le séjour.


Zoom sur le secteur de la Finlande visité. Les traces GPS sont mises bout à bout, le violet indiquant les trajets effectués en motoneige, le rouge les distances parcourues à pied ou en traîneau. La frontière Russe, toute proche (15 kilomètres), est indiquée en jaune.

Rien que par son nom, Taïga, la forêt boréale finlandaise semble avoir quelque chose de mystérieux et d'envoûtant. Une sorte de présence, ou d'âme. L'endroit me faisait déjà rêver en cours de géographie, le sentiment d'évasion étant renforcé, il est vrai, par les descriptions fascinantes qu'en faisait mon professeur, passionné par les territoires scandinaves. Son expérience n'était pas tirée des livres. Il avait vraiment planté sa tente dans les vastes étendues de toundra, et exploré les sombres forêts de conifères là haut, dans le Nord.

La forêt et les secrets qu'elle ne peut que renfermer m'ont toujours fasciné, tout comme les films ou les séries TV qui parviennent à en faire un personnage à part entière d'une histoire. Ainsi, elle joue un rôle de premier plan dans plusieurs épisodes d'X-files (ma préférence allant à l'épisode "Quand vient la nuit", ou une équipe de bûcherons libère une menace mortelle aux confins d'une forêt immense), et si elle n'apparaît que de manière fugace à l'écran, elle occupe belle et bien une place centrale dans le chef d'oeuvre de David Lynch, Twin Peaks (ne serait-ce que par les deux cimes perdues dans le brouillard visibles durant le générique de début, ou les apparitions de la femme à la bûche).

Partir en voyage dans un lieu lointain, situé en dehors de la carte grisâtre aux limites étouffantes que dessine le quotidien, c'est prendre le risque de confronter les tornades lumineuses de l'imaginaire à une réalité morne et triste. Pourtant, parfois, tout correspond presque exactement à ce qui a été rêvé.

En Finlande, cela commence par des petits détails, comme les planches résineuses d'épicéa d'une cabine de sauna située en pleine ville, et sur lesquelles se condensent en fines gouttelettes la vapeur d'eau qui emplit l'atmosphère. C'est bientôt le fin liseré rose pourpre qui vient délicatement souligner l'horizon à deux heures de l'après midi, indiquant que le soleil ne va pas tarder à disparaître, et qu'une nuit longue et froide va étendre son emprise sur les lacs, les marais et les forêts.

Puis vient la rencontre avec les chiens. L'intensité de leur regard, la découverte de leur énergie, cette incroyable force qui les animent lorsqu'ils galopent sur le manteau neigeux. Une course vitale qui s'effectue dans un silence parfait. Eux qui hurlent, aboient et gémissent, lorsque les attelages sont en préparation, que les morceaux de viande volent dans l'air du soir, qu'un rival un peu trop entreprenant s'approche d'une chienne en pleine chaleur, se déplacent comme des plumes qui flotteraient juste au-dessus du sol, en harmonie totale avec la nature qui se déploie devant eux, comme si, à cet instant, il ne faisait plus qu'un avec l'univers blanc du grand nord. Étonnante vision que ces animaux qui revendiquent à chaque instant leur droit à la liberté, avec une simplicité et une volonté farouche.

Illuminés pendant un court instant par le cône de lumière de ma lampe frontale, des dizaines d'yeux verts me dévisagent au travers des formes sombres et élancés des troncs, tandis que je me dirige vers un puit muni d'une pompe à main. Pendant que j'actionne avec vigueur la poignée pour remplir une bassine d'eau glacée, et bien qu'ils se soient fondus dans l'obscurité, je devine encore les regards visés sur moi. A quoi peuvent-ils bien penser en ce moment ? S'agissait-il réellement des Alaskans qui nous avaient conduits jusque là ? Ne pouvaient-ils pas être soudain redevenus loups, ce qu'ils n'ont d'une certaine manière jamais cessé d'être au fond d'eux mêmes, en dépit des dressages, des croisements et des sélections ? Le contact permanent avec cette nature polaire n'a t-il pas fait ressurgir ce qui était masqué ? Qui peut réellement soutenir, sans en être profondément affecté, le regard vert d'eau, perçant et hypnotique, de la forêt ?

Bibliographie

. Dernière mise à jour : 29 avril 2012. Des commentaires, corrections ou remarques ? N'hésitez pas, écrivez-moi!