La génération spontanéeL'idée que la vie puisse émerger du monde inerte est vieille comme le monde. Les civilisations antiques croyaient que les pucerons sortaient des bambous, et que la boue pouvait engendrer des vers ou des grenouilles. Cette théorie de la génération spontanée, due à Aristote, traversera le moyen âge et sera encore évoquée à la Renaissance. Au XVII e siècle, un médecin flamand, Van Helmont, tente de prouver scientifiquement le bien fondé de la génération spontanée. Helmont mélange des grains de blé avec une chemise souillée de sueur humaine et après 21 jours d'incubation, obtient ... des souris ! Sorties du néant, ces dernières prouvaient de manière irréfutable que le monde de l'inanimé pouvait laisser place au monde du vivant. Dans cette expérience et dans celles qui suivront, la croyance en une génération spontanée sera souvent due à une mauvaise interprétation d'observations réelles. La théorie de la génération spontanée sera égratignée pour la première fois par Francesco Redi, qui prouve en 1668 que l'apparition d'asticots sur un morceau de viande en putréfaction n'a pas lieu si l'on prend soin de recouvrir les bocaux d'une fine mousseline. Après la découverte des micro-organismes par Antony Van Leeuwenhoek, la génération spontanée réduit son domaine d'influence et tend à se restreindre au monde microscopique. De nombreux savants de renoms comme Buffon adhérent à l'idée que les animalcules qui grouillent dans la moindre goutte d'eau se forment spontanément. John Needham, un ami de Buffon, tente de stériliser différents milieux organiques en chauffant des fioles hermétiquement closes. Après quelques jours, ces dernières pullulent de microbes. Ces derniers semblent capables d'apparaître n'importe où ! L'un des détracteurs de la théorie de la génération spontanée, l'abbé italien Lazzaro Spallanzani, n'a cependant qu'une confiance limitée dans le protocole opératoire de Needham. Il reprend les expériences de ce dernier, en augmentant les températures et le temps d'ébullition. Plus aucun microorganisme ne se développe dans les fioles scellées ... Malgré ces expériences frappantes, la croyance l'emporte sur la réalité, et la génération spontanée est toujours considérée comme un fait scientifiquement prouvé. En 1860, Félix Pouchet publiera même un ouvrage sur le sujet. Deux années plus tard, en 1862, Pasteur donnera enfin le coup de grâce à cette théorie en montrant que le développement d'organismes dans un milieu préalablement stérilisé est uniquement dû à une contamination par des microbes contenu dans l'air ambiant. Au XIXe siècle, les scientifiques pensaient également que la différence entre le vivant et le minéral tenait à l'action d'une émanation mystérieuse, la force vitale. Selon la théorie du vitalisme, les composés organiques devaient être impossibles à fabriquer à partir de composés minéraux. En 1828, en réussissant la synthèse de l'urée à partir de cyanate d'argent, Friedrich Wöhler mit un terme au vitalisme (Wöhler lui-même refusa de croire les résultats de son expérience, et il faudra attendre la synthèse de l'acide acétique en 1845 pour que le vitalisme disparaisse définitivement). Avec la réfutation de la génération spontanée, l'origine du vivant redevient un mystère. En 1859, Charles Darwin révolutionne la biologie en publiant l'un des ouvrages les plus célèbres de tous les temps, L'origine des espèces. Cet ouvrage sera le fruit de nombreuses années d'observations que Darwin effectue lors de son périple sur le Beagle, entre 1831 et 1836. Au cours de cette période, Darwin se rendra sur les îles du Cap Vert, au Brésil, sur la Terre de Feu et aux îles Galápagos. Il commence à interpréter ses observations deux ans après son retour en Europe, mais, désireux de rassembler le maximum de preuves avant de publier le moindre résultat, il passe de nombreuses années à peaufiner sa théorie. Ce n'est que pour éviter de perdre la paternité de sa découverte (un anglais, Wallace, travaille lui aussi sur le concept d'évolution) que le savant publie son ouvrage dans l'urgence en 1859. Pour Darwin, l'évolution des organismes est rendue possible par l'apparition d'un grand nombre de variations au sein d'un groupe, les variations présentant un avantage étant valorisées par sélection naturelle. Malgré le fait que la problématique de l'évolution biologique soit fortement liée à la question des origines de la vie, Darwin restera très prudent sur le sujet. Dans une communication personnelle écrite en 1871 et adressée à son ami botaniste Joseph Hooker (travaillant à Cambridge), il suggère que des petites mares tièdes ont pu représenter des environnements favorables à la vie. Selon lui, la présence de composés chimiques ainsi que l'existence de sources d'énergie aurait pu permettre l'apparition de composés protéiques qui auraient ensuite évolué vers des formes plus complexes. Tous les organismes actuels résulteraient alors de l'évolution biologique d'un organisme primordial, qui détiendrait la clé du mystère des origines de la vie.
La panspermieEn 1865, l'allemand Hermann Richter estime que l'on fait peut-être fausse route en cherchant les origines de la vie sur notre planète. Selon lui, la vie pourrait venir des profondeurs de l'espace, et la Terre aurait très bien pu être ensemencée par des particules célestes grouillants d'êtres vivants, les cosmozoaires. Enfouis au cœur des météorites, ces derniers pourraient traverser l'atmosphère terrestre sans subir de dommages importants. Cette théorie est considérée avec un grand sérieux par le monde scientifique. Lord Kevin développera une théorie similaire et Pasteur lui-même cherchera des microorganismes dans les météorites. En 1903, Svante Arrhenius reprend l'idée de Richter en l'améliorant. Arrhenius est persuadé que l'espace est peuplé de spores qui vagabondant dans les immensités interstellaires, poussés par le rayonnement des étoiles. Il étudie en détail le problème du déplacement de ces spores, ainsi que leur capacité de résistance aux températures excessivement basses du milieu cosmique. Selon lui, le fait que des spores d'organismes terrestres soient encore viables après avoir été plongées dans de l'azote liquide prouve que celles-ci peuvent parfaitement s'accommoder du froid spatial. A l'époque, on ignorait cependant l'existence du vide, du rayonnement ultraviolet et les rayons cosmiques. Cette théorie, qui affirme que la vie vient du Cosmos, porte le nom de panspermie. Aussi séduisante soit-elle, la panspermie ne fait cependant que repousser le mystère des origines de la vie, en le déplaçant de la Terre vers l'espace. Si la vie est née en même temps que l'Univers, et qu'elle existe depuis toujours, cela explique sa présence sur Terre, sans pour autant résoudre le problème de son apparition dans l'Univers. Malgré son age honorable, l'hypothèse de l'ensemencement des planètes par des météorites porteuses de germes est toujours d'actualité. Comme nous le verrons par la suite, la découverte de la résistance des bactéries aux conditions extrêmes du milieu spatial, ainsi qu'à la chaleur dégagée lors d'un impact météoritique et de la rentrée atmosphérique, a remis la théorie de la panspermie sur le devant de la scène. Oparin et l'évolution chimiqueL'étude de l'origine de la vie va faire un bond en avant avec les travaux du biochimiste soviétique Aleksandr Oparin. Ce dernier publie en 1924 un ouvrage judicieusement intitulé L'origine de la vie, dans lequel il développe une théorie audacieuse. Pour lui, l'évolution biologique aurait été précédée d'une évolution chimique. Oparin affinera ses idées dans un second ouvrage publié en 1936, qui connaîtra une diffusion plus large (il sera traduit en anglais deux années plus tard). Oparin suppose que l'atmosphère terrestre primitive devait être bien différente de notre atmosphère actuelle. Dépourvue d'oxygène, elle était par contre riche en méthane et ammoniac. Dans cette atmosphère, des molécules comme l'acide cyanhydrique ou le formaldéhyde peuvent se former. Ces composés se dissolvent ensuite dans les océans, mers et lacs, avant de se combiner pour donner naissance à des molécules d'intérêt biologique, comme les acides aminés (composants des protéines), les sucres et les bases azotées (composants des acides nucléiques). Ces briques du vivant, en s'assemblant entre elles grâce à l'action catalytique de composés organiques ou de matrices argileuses minérales, finissent par former les macromolécules (protéines et acides nucléiques) constitutives des cellules vivantes. Des structures colloïdales en forme de petites sphères creuses apparaissent simultanément. Avec le temps, ces petites vésicules concentrent les macromolécules. Puisant dans le milieu extérieur les éléments nécessaires à leur croissance, capables de se reproduire et soumis à la sélection chimique naturelle, ces systèmes chimiques ont fini par devenir vivant. Les premières cellules étaient nées... La théorie d'Oparin est une sorte de génération spontanée, mais qui intervient sur une période de temps très longue, et elle ne constitue donc aucunement une réfutation des travaux de Pasteur. Quelques années plus tard, en 1927, et sans avoir eu connaissance des idées d'Oparin, un biologiste anglais, John Burton Haldane, avance la même hypothèse. Pour ces deux chercheurs, la vie serait donc apparue suite à la synthèse de molécules organiques dans l'atmosphère, suivi de leur dissolution dans des lacs ou des océans. Dans ce milieu aqueux, la matière se serait complexifiée pour donner naissance aux premières cellules (hétérotrophes, puisque ces dernières se nourrissaient de matières organiques). Pour décrire les processus et les molécules aboutissant à l'émergence du vivant, Oparin invente le terme prébiotique. L'expérience de Stanley MillerL'hypothèse d'Oparin/Haldane, bien que séduisante, devait être vérifiée par l'expérimentation en laboratoire. L'environnement terrestre ayant profondément changé, il n'est effectivement plus possible d'observer sur Terre cette évolution chimique. Les molécules qui se formeraient aujourd'hui par des processus prébiotiques seraient immédiatement détruites par l'oxygène atmosphérique ou consommées par des êtres vivants. En 1953, Stanley Miller, un jeune étudiant de 23 ans préparant sa thèse sous la direction du prix Nobel de chimie Harold Urey (1934, découverte de l'eau lourde), tente de simuler la synthèse de molécules organiques dans un environnement rappelant celui de la Terre primitive. Pour Oparin, l'atmosphère terrestre était un milieu réducteur. Le jeune chimiste fabrique donc une atmosphère similaire à celle de la Terre primitive en mélangeant dans un ballon de l'hydrogène, du méthane, de l'ammoniac et de la vapeur d'eau. En guise de lacs, Miller verse au fond de son ballon une petite quantité d'eau, qu'il chauffe avec beaucoup de soin (la Terre primitive étant considéré comme un environnement chaud). Pour finir, Miller soumet son modèle de terre primitive à des décharges électriques sensées simuler les éclairs orageux zébrant la basse troposphère terrestre. Après plusieurs jours, Miller constate qu'un matériau sombre et peu engageant s'est déposé sur les parois du ballon. L'analyse du dépôt montre que celui-ci est constitué de nombreux composés organiques, en particulier du formaldéhyde et de l'acide cyanhydrique (deux molécules qui jouent des rôles clés dans la synthèse de molécules organiques d'intérêt biologique), ainsi qu'une petite quantités d'acides aminés (4 en tout), en majorité de la glycine. Grâce à une expérience très simple, Stanley Miller venait de prouver que la synthèse des briques du vivant était possible à partir d'un mélange chimique très simple. Cette expérience lui a valu une renommée mondiale, et pas un livre traitant des origines de la vie ne débute sans citer les travaux de Miller. Après la publication des ses résultats dans un timide article de deux pages paru dans la revue Science, l'expérience de Miller a été refaite des centaines de fois par de nombreux laboratoires, dans de nombreuses variantes. Les chimistes ont testé des cocktails de différents composés gazeux (vapeur d'eau, monoxyde et dioxyde de carbone, ammoniac, sulfure d'hydrogène, acide cyanhydrique, hydrogène, etc), ainsi que différentes sources d'énergies (décharges électriques, chocs thermiques, rayonnement UV, X ou gamma, ondes de choc). Sur la Terre primitive, les deux principales sources d'énergie devaient être les éclairs orageux et le rayonnement ultraviolet solaire. En compilant les résultats, les chimistes se sont premièrement aperçus que la synthèse de composés organiques selon le modèle de Miller ne présentait pas que des avantages. Le premier écueil est du aux très nombreuses réactions chimiques qui prennent place dans les ballons. Certaines réactions parasites consomment des molécules importantes, ce qui diminue l'efficacité des bonnes réactions. L'eau peut également provoquer des réactions d'hydrolyse, et détruire ainsi certains réactifs de départ ou produits d'arrivée. Enfin, la dispersion des composés dans un milieu aqueux ne favorise pas le rapprochement des molécules, et limite donc le nombre de réactions chimiques pouvant avoir lieu. Ces séries d'expériences ont également montré que l'atmosphère la plus propice à la synthèse de composés organiques est une atmosphère réductrice, composé de méthane, d'azote et de vapeur d'eau, avec un soupçon d'hydrogène. Dans ces conditions, il est possible de former la quasi-totalité des acides aminés rentrant dans la composition des protéines ainsi que les bases puriques et pyrimidiques des acides nucléiques. A l'inverse, une atmosphère oxydée, riche en dioxyde de carbone, n'est guère favorable à des synthèses prébiotiques. Or nous savons aujourd'hui que l'atmosphère de la Terre primitive devait être semblable aux atmosphères de Mars et de Venus, qui sont composées principalement de dioxyde de carbone. Il est donc probable que l'atmosphère de la Terre primitive n'a pas contribué de façon significative à la synthèse de matière organique. Certaines réactions chimiques ont bien sûr pu produire des composés organiques d'intérêt biologique. Les réactions qui prennent place à la surface des grains en suspension dans l'atmosphère (chimie hétérogène), et pour lesquelles les études sont encore limitées, ont également pu jouer un rôle non négligeable. Néanmoins, il semble de plus en plus évident que les briques de la matière vivante ont été apportées sur Terre par une autre source que l'atmosphère ... |
Grâce à une série d'expériences remarquables, Louis Pasteur mis un terme à la théorie de la génération spontanée (Crédit photo : droits réservés).
Avec l'anglais Wallace, Charles Darwin est le co-découvreur de la théorie de la sélection naturelle. Bien que la problématique de l'évolution touche de près la question des origines de la vie, Darwin ne s'est guère aventuré sur ce terrain brûlant (Crédit photo : droits réservés). En 1924, dans un petit opuscule, le soviétique Oparin développe une hypothèse particulièrement intéressante. Selon lui, l'atmosphère de la Terre primitive était bien différente de celle qui entoure actuellement notre planète. Dépourvue d'oxygène, l'air était un milieu réducteur, propice à la synthèse de composés organiques. Dissous dans des mers ou des océans, ceux-ci pouvaient ensuite s'assembler jusqu'à former une véritable cellule vivante (Crédit photo : droits réservés).
Stanley Miller pose devant l'appareil qui a fait sa renommé. Historiquement, Miller n'a peut-être pas été le premier à réaliser la synthèse d'acides aminés. D'après le chimiste français André Brack, la paternité de cette synthèse pourrait revenir à Walther Löb qui, aurait réussi en 1913 à fabriquer de la glycine à partir d'un mélange de dioxyde de carbone, d'ammoniac et de vapeur d'eau en présence d'éclairs (Crédit photo : droits réservés). L'expérience de Stanley Miller. L'appareillage est rempli d'une atmosphère de méthane, d'ammoniac et d'hydrogène. Un ballon rempli d'eau simule un océan primitif (l'eau est chauffée par une résistance, ce qui contribue à enrichir l'atmosphère en vapeur d'eau). Deux électrodes, qui servent à produire des éclairs, fournissent l'énergie au système. Après une semaine de fonctionnement, différents composés organiques dont des acides aminés précipitent au fond du ballon (Crédit photo : droits réservés). |
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