Mars 96

En 1987, les Russes dévoilent trois missions à destination de la planète rouge. Il s'agit de Mars 92, de Mars 94 et de Mars 96. Les deux premières missions doivent emporter un gros robot mobile qui gambadera à la surface de Mars ainsi qu'un ballon atmosphérique. Quant à Mars 96, son objectif n'était autre qu'un retour d'échantillons. Ces missions avaient en fait un objectif bien précis : la préparation d'une expédition habitée vers Mars pour le début du XXI éme siècle. D'après certains indices que l'on commence seulement à connaître, il semble bien que les Russes n'aient jamais abandonné l'idée d'aller sur Mars. Mais l'échec des missions Phobos et le démantèlement de l'Union Soviétique mettront à mal cette initiative. Le programme martien Russe subira des coupes budgétaires, des modifications de calendrier et l'abandon de certaines options comme le retour d'échantillons. Le projet est annulé avant de réapparaître sous les traits d'une sonde internationale, Mars 96.

Mars 96 était une mission très ambitieuse dans la pure lignée de la tradition d'exploration spatiale russe, pour laquelle de nombreux scientifiques avaient travaillé pendant plus d'une dizaine d'années. Véritable poids lourd de 6 tonnes, c'était la sonde la mieux équipée jamais lancée par l'homme et elle constituait probablement la dernière grande mission d'exploration planétaire russe. Avec Mars Global Surveyor, Mars 96 devait nous permettre d'approfondir notre connaissance de Mars et d'en apprendre plus sur sa composition, sa structure interne, sa surface, son atmosphère, son éventuelle activité magnétique et son enveloppe de plasma. Des études d'astrophysique étaient également prévues.

L'orbiteur de Mars 96

L'orbiteur de Mars 96 (d'un poids total de 6180 kg, dont 3 tonnes d'ergols), conçu par les bureaux d'études de la NPO Lavotchkin, était basé sur le design de la sonde Phobos. L'unité de propulsion était montée dans la partie inférieure de la sonde, deux larges panneaux solaires s'étendant de part et d'autre. La coupole de l'antenne de communication était fixée sur l'un des côtés de la sonde. En plus de l'orbiteur, la mission comportait aussi deux pénétrateurs et deux atterrisseurs.

Mars 96 transportait des expériences d'une vingtaine de pays dont onze européens (dont la France) et deux expériences américaines, soit 550 kg d'instruments scientifiques pour une vingtaine d'expériences en orbite et une vingtaine à la surface de Mars (7 pour les atterrisseurs et 10 pour les pénétrateurs). L'orbiteur emportait 12 instruments pour l'étude de la surface de Mars et de l'atmosphère, 7 instruments pour étudier le plasma, les champs et les particules, et 3 instruments pour les études astrophysique. Les instruments étaient fixés soit directement sur les côtés de l'engin, soit sur l'une des deux plates-formes spécialement prévues à cet effet, ou encore à l'extrémité des panneaux solaires.

Parmi les instruments de la charge utile, on trouvait une caméra allemande (HSRC) qui devait cartographier la totalité de la surface martienne avec une résolution de quelques centaines de mètres (contre 1 km pour les caméras des Viking). Elle était capable de distinguer des détails de 10 mètres à peine dans les meilleures conditions. Cette caméra n'est heureusement pas perdue et une version améliorée partira finalement vers la planète rouge à bord de la sonde Mars Express de l'ESA. Un spectro-imageur infrarouge français (Oméga) devait se pencher sur la composition de la surface et de l'atmosphère. Il s'agissait en particulier de rechercher des carbonates dans le sol martien (pour mener une étude de l'atmosphère primitive de Mars). Il était également prévu de mesurer le taux de fuite dans l'espace des ions afin d'élucider le mécanisme "d'évaporation" de l'atmosphère. Certains instruments étaient dédiés à l'étude de l'environnement en plasma, de l'ionosphère et du champ magnétique martien. Des expériences radios étaient également au programme et un dosimètre devait nous permettre d'en savoir plus sur les radiations.

Liste des instruments de Mars 96

Nom Description
ARGUS Système d'imagerie spectral stéréo avec la plate-forme de pointage TSP
HSRC Caméra CCD stéréoscopique haute résolution (0,4 à 1,0 micron) et multifonctions, fournie par l'Allemagne. Elle devait travailler principalement dans le visible
WAOSS Caméra TV stéréoscopique grand angle
OMEGA Spectromètre IR et visible (0,35 à 5,2 micron)
NC Caméra TV de navigation
THERMOSKAN Radiomètre
SVET Spectrophotomètre haute résolution (750 mètres/pixel)
SPICAM Spectromètre multicanaux fonctionnant avec la plate-forme de pointage PAIS
UVS-M Spectrophotomètre UV
LWR Radar à grande longueur d'onde (0,17 à 5 MHz). Au sein de l'expérience GRUNT, il aurait permis l'étude du sous-sol et la localisation des zones à forte teneur en glace
PHOTON Spectromètre gamma utilisé avec la plate-forme de pointage PAIS. Il pouvait réaliser des cartes géochimiques à haute résolution et déterminer l'abondance relative des éléments radioactifs naturels
NEUTRON-S Spectromètre à neutrons pour le repérage de l'eau
MAK Spectromètre de masse
ASPERA-C Spectrographe ionique
FONEMA Analyseur ionique : magnétosphère et vent solaire
DYMIO Spectromètre énergie-masse (étude de l'ionosphère)
MARIPROB Spectromètre pour l'étude du plasma ionosphérique
MAREMF Magnétomètre et analyseur électronique
ELISMA Etude du champ magnétique martien
COMPLEX Etude du champ magnétique martien
PLASMA Etude du champ magnétique martien
SLED-2 Spectromètre pour les particules chargées de basse énergie (magnétosphère)
PGS Etude du rayonnement gamma
PFS Spectromètre gamma qui aurait permis d'étudier les propriétés physiques et thermophysiques ainsi que la composition minéralogique de la surface martienne
LILAS-2 Spectromètre pour l'étude des rayons gamma solaires et cosmiques
EYRIS Photomètre avec la plate-forme de pointage PAIS
RADIUS-M Dosimètre et contrôle des radiations
MORION-S Microprocesseur, mémoire et interface centrale

Les stations au sol

Les mesures in situ étaient confiées à deux petites stations automatiques conçues selon le modèle des "fleurs de Lune" de l'ancien programme Luna et chargées d'expériences géophysiques, géochimiques et météorologiques.

Les petites stations étaient protégées par un bouclier cylindrique de 1 mètre de diamètre pour 1 mètre de haut, et d'un poids de 25,5 kg. L'atterrisseur lui même ne pesait que 10 kg. L'entrée atmosphérique était prévue à une vitesse de 5,75 km/s, avec un angle de 10,5 à 20,5°. Le bouclier était éjecté avant l'atterrissage et la station freinée par des parachutes. Après l'atterrissage, la petite sonde s'ouvrait grâce à quatre pétales triangulaires disposés à 30 cm de la base centrale. Les deux stations devaient atterrir dans la région d'Arcadia Planitia et d'Amazonis Planitia au nord ouest d'Olympus Mons (premier site d'atterrissage à 41,31° N et 153,77° W, deuxième site d'atterrissage à 32,48° N et 169,32° W, site de secours à 3,65° N et 193° W).

Elles devaient dans un premier temps étudier la structure verticale de l'atmosphère et prendre des clichés pendant leur descente, grâce à une caméra similaire à celle emporté maintenant par l'atterrisseur Mars Polar Lander (MARDI). Une mini station météorologique (Finlande), située à 1 mètre environ au dessus de la base centrale, avait pour but d'étudier les variations diurnes, nocturnes, saisonnières et annuelles de l'atmosphère martienne. Les pétales portaient également des instruments à leur extrémité : un magnétomètre pour l'étude du champ magnétique fourni par la France, un sismomètre pour détecter une éventuelle activité sismique (cette expérience avait été baptisée Optimism, en raison des maigres chances de trouver une activité sismique martienne) et un spectromètre Alpha Proton Rayons X (APXS similaire à celui du robot Sojourner) fourni par l'Allemagne pour déterminer la composition élémentaire du sol. Un dispositif américain nommé MOX (Mars Oxidant Experiment) était chargé de mesurer l'abondance en oxydes. Enfin, une caméra panoramique (France et Russie) était montée sur un mat fixé à la base centrale. La durée de vie des stations était de 700 jours, soit un peu plus d'une année martienne. L'alimentation électrique était assurée par une batterie, deux générateurs à radio-isotopes et une source secondaire. Un équipement radio assurait les communications avec la Terre via l'orbiteur.

Les pénétrateurs

Pour compléter les mesures de surface, les Russes avaient conçu deux pénétrateurs qui, en s'enfonçant à 6 mètres de profondeur dans le sol martien, devaient livrer pour la première fois des données physico-chimiques du sous-sol d'une autre planète. Ils étaient accrochés sous l'orbiteur, près du système de propulsion.

Une fois séparé de la sonde, le pénétrateur aurait allumé son propre moteur pour se placer sur sa trajectoire de rentrée. L'entrée atmosphérique était prévue à une vitesse de 4,9 km/s et à un angle de 10 à 14°, 21 à 22 heures après l'éjection du pénétrateur. L'engin aurait subi une décélération aérodynamique avant de compléter son freinage par l'ouverture d'un ballon. Ce qui ne devait pas empêcher un impact brutal avec le sol, à une vitesse de 80 m/s ! Le premier pénétrateur devait atterrir près de l'une des deux stations au sol, alors que l'autre (qui pouvait être libérée au cours de la même orbite) devait percuter le sol martien un peu plus loin.

Lors de l'impact, la partie inférieure du pénétrateur devait s'enfoncer dans le sol, alors que la partie supérieure restait en surface (en particulier pour la transmission des données). Ces pénétrateurs sont similaires à ceux de la mission Deep Space 2. Au programme, étude de l'activité sismique, détermination des caractéristiques mécaniques (au moment de l'impact), physiques, magnétiques et chimiques du régolite martien (ce qui incluait sa teneur en eau). Des observations météorologiques et une collecte de données sur le champ magnétique étaient également prévues. Une caméra CCD, monté sur un axe d'un mètre de haut devait enfin fournir des panoramas complets du site d'atterrissage. Les données scientifiques, acquises peu après l'atterrissage, devaient être transmises à l'orbiteur pour être finalement relayées sur Terre. Les pénétrateurs avaient une durée de vie d'une année terrestre.

La mission

Le lancement de Mars 96 était initialement prévu pour le 20 octobre 1994, mais il n'eut pas lieu et fut donc reporté pour l'automne 96.  La fenêtre de 1996, moins favorable que celle de 1994, a imposé une reconsidération du bilan de masse de la sonde. Après 11 mois de voyage, la sonde devait atteindre Mars le même jour que la sonde Mars Global Surveyor, soit le 12 septembre 1997. Dans un premier temps, Mars 96 se serait placée sur une orbite de transfert elliptique (300 x 52 000 km, 72 heures de révolution) avant de gagner son orbite finale (orbite polaire, inclinaison de 90°, 300 km d'altitude, 14,7 heures de révolution).

Les atterrisseurs auraient du être largués quatre à cinq jours avant l'arrivée de la sonde, de manière à diminuer la dépense en carburant et à alléger l'engin. Pour des raisons financières, la phase d'atterrissage n'avait pas pu être répétée sur Terre. Après l'insertion sur son orbite de transfert elliptique et 7 à 28 jours de manœuvres orbitales, l'orbiteur aurait du s'orienter correctement et éjecter le premier puis le second pénétrateur. La durée de fonctionnement théorique de la sonde était de deux ans.

Le lancement ...

Mars 96 quitte finalement la Terre le 16 novembre 1996, grâce à un lanceur Proton, une fusée à quatre étages. Le décollage se passe sans problèmes, et après la séparation du troisième étage, la sonde se retrouve sur une trajectoire suborbitale à 145 km d'altitude. A ce moment la, Mars 96 est attaché au quatrième étage du lanceur Proton (le Block D-2) qui doit arracher la sonde à la gravité terrestre et la lancer définitivement vers Mars. La sonde Mars 96 possédait également son propre étage propulsif, l'ADU, qui avait son rôle à jouer dans la dernière phase du lancement (l'injection sur orbite solaire).

Le Block D-2 devait s'allumer une première fois pendant 2 minutes pour placer la sonde sur une orbite circulaire de parking (148 km x 148), avec une inclinaison de 51,5°. Le deuxième allumage devait intervenir environ 50 minutes après : le moteur devait alors fonctionner une seconde fois pendant 7 minutes, pour placer la sonde sur une nouvelle orbite terrestre fortement excentrique (200 km x 314 000 km) avec une inclinaison de 51,8°. Le Block D-2, son travail terminée, devait alors se séparer de la sonde Mars 96. La dernière étape du lancement incombait au moteur ADU. Il devait permettre à la sonde de quitter son orbite terrestre excentrique en l'injectant sur une orbite solaire à destination de la planète rouge. Son allumage était prévu 2 minutes après l'extinction définitive du Block D-2, et il devait fonctionner pendant 3 minutes.

... et la fin de Mars 96

A 22:07 UTC, le contact télémétrique est perdu avec Mars 96 et celle-ci disparaît des radars. On pense immédiatement à une explosion, mais la vérité est tout autre.

Le premier allumage du Block D-2 se passe correctement. Mais la catastrophe survient lors du deuxième allumage. Le moteur du Block D-2 s'allume pour s'éteindre presque aussitôt, 4 secondes après, pour une raison qui reste inconnue. La sonde se retrouve alors sur une orbite basse de 145 km x 171 km, avec une inclinaison de 51,6°. Une orbite bien différente de l'orbite fortement excentrique qu'elle devait atteindre grâce au fonctionnement du moteur du Block D-2.

Mars 96 se sépare alors du Block D-2 et allume son propre moteur ADU. Mais ce moteur ne peut plus faire partir la sonde vers Mars. Comme Mars 96 est restée sur une orbite basse de parking, l'allumage du moteur ADU va juste élever l'apogée, alors que le périgée (le point de l'orbite le plus proche de la surface terrestre) va se retrouver dans les hautes couches de l'atmosphère terrestre. Mars 96 est maintenant sur une orbite de 87 km x 1500 km. Le périgée est bien trop bas et la pauvre sonde n'en a plus pour longtemps. A chaque passage, elle va subir la friction des hautes couches de l'atmosphère. Sa vitesse va diminuer, ainsi que l'altitude de son prochain passage à l'apogée (c'est d'ailleurs le principe du freinage atmosphérique, utilisé pour modifier les paramètres orbitaux de certaines sondes comme Mars Global Surveyor ou Mars Climate Orbiter).

Mars 96 va encore tourner deux fois autour de la Terre puis elle ne pourra plus échapper à son destin : sa rencontre avec les couches denses de l'atmosphère terrestre et sa désintégration. Son plongeon vertigineux se terminera dans une zone ovale présumée de 80 km sur 320 km, orientée sud-ouest nord-est, et qui inclut l'océan Pacifique, le Chili et la Bolivie (le centre est à 32 km à l'est de Iquique au Chili). Le superbe engin, véritable bijou de technologie et d'ingéniosité, qui devait lever tant de mystères sur la planète rouge, a terminé sa course au dessus d'un désert terrestre. Les délicats pétales des stations tordus sous des forces implacables, les instruments scientifiques pulvérisés dans une pluie de débris métallique, la superbe mécanique réduite à néant dans un feu d'artifice. Nul doute que le spectacle devait être magnifique. Nul doute aussi qu'il aurait brisé le cœur de ceux qui ont dépensé plusieurs années de leur vie sur cette sonde maudite. La planète rouge ne se laisse pas facilement apprivoiser.

La rentrée atmosphérique de Mars 96 a du se produire le 17 novembre 1996, entre 00:45 et 01:30 UTC. Les sources Russes indiquent que l'impact avec la surface terrestre a eu lieu entre 01:00 et 01:30. Vers 00:50 du matin, des témoins oculaires observent une météorite en train de se fragmenter en mille morceaux au dessus du désert d'Atacama, près de la frontière entre le Chili et la Bolivie, alors que le réseau de surveillance spatiale américain avait suivi la rentrée atmosphérique d'un objet à 00:49. D'autres observateurs pensent avoir vu des objets tomber au sol.

Mais nous n'avons en fait jamais rien retrouvé. Aucun fragment de métal tordu, aucune partie de la sonde elle même ou du quatrième étage. Aucune trace de radioactivité. Personne ne sait ou s'est écrasé la sonde Mars 96. Personne ne sait non plus précisément ce qui a frappé Mars 96 dans sa course vers la planète rouge. La cause du crash est inconnue et il n'est pas possible de savoir s'il s'agit d'un dysfonctionnement au niveau de l'étage supérieur de la fusée Proton (Block D-2) ou de la sonde Mars 96 elle même (celle-ci n'aurait pas envoyé de données au Block D-2, ou les données étaient corrompues ou invalides). Selon certains rapports, c'est le moteur ADU qui n'a pas fonctionné comme prévu, son arrêt prématuré ayant causé la perte de Mars 96. On peut encore lire dans certains comptes-rendus qu'après un allumage correct, il aurait brusquement cessé de fonctionner après 20 secondes, alors qu'il devait fonctionner pendant près de 3 minutes comme nous l'avons vu. En fait, pour être honnête, on peut seulement résumer l'accident en une seule ligne : un étage supérieur défectueux et une injection sur orbite solaire qui échoue. Nous n'en savons guère plus pour la simple et bonne raison que personne ne s'attendait à un dénouement pareil et que les moyens techniques qui auraient permis de suivre Mars 96 pendant cette étape de "routine" qu'est un lancement n'avaient pas été mis en œuvre. C'est ce manque de données télémétriques pendant une phase devenue subitement critique qui interdit toute conclusion.

L'allumage (le deuxième en particulier) et le fonctionnement du Block D-2 n'ont pas été observés directement depuis la Terre. Au moment du drame, la sonde était effectivement hors de portée des antennes des stations de poursuite Russes et aucune donnée de télémétrie n'a alors pu être recueillie. Le contrôle de mission est donc aveugle. Le navire de cosmographie Victor Patsaiev, qui aurait pu recevoir les signaux de Mars 96 au large des côtes africaines, n'était pas en poste à ce moment là, par mesure d'économie ! Les premières données de télémétrie sont reçues par la station de poursuite Russe à Evpatoriya en Crimée, bien après le long feu du Block D-2.

Encore aujourd'hui, sur le site Russe de l'IKI, on peut lire ce petit paragraphe qui date du 17 novembre 1996 : "Nous n'avons aucune raison de nous féliciter. La mission Mars 96 est un échec. La sonde est restée en orbite basse autour de la Terre et va s'écraser à sa surface".

Notons que le quatrième étage du lanceur Proton, le Block D-2, est responsable de 3 échecs de lancement : le satellite de communication militaire russe Raduga en février 1996, la sonde Mars 96 ainsi que le satellite asiatique Asiasat 3 en décembre 1997. Il est assez étonnant de lire le compte rendu de tir de ce dernier satellite et d'apprendre que, comme pour Mars 96, tout s'est déroulé correctement jusqu'au deuxième allumage du Block D-2 : le moteur a fonctionné pendant une seule petite seconde, alors qu'il devait rester allumer pendant 110 secondes !

La perte consternante de Mars 96 a été ressenti comme un véritable choc par la communauté scientifique internationale. Bien sur, certaines personnes avaient émis des doutes sérieux sur le manque de fiabilité de tels ou tels composants ou instruments scientifiques (les pénétrateurs par exemple). Malgré cela, avec une charge utile sans équivalent, des instruments venus de 20 pays différents et des équipes parfaitement compétentes pour les supporter, Mars 96 aurait permis de réécrire la science martienne. Ses promesses étaient énormes. Les résultats qu'elle aurait du engranger avaient de quoi faire pâlir d'envie le plus blasé des planétologues. L'échec de Mars 96 a entraîné une sévère perte de prestige vis a vis de l'astronautique Russe. Les ingénieurs s'étaient pourtant battu jusqu'au bout pour préparer et faire partir à temps la précieuse sonde. Sa destruction n'en a été que plus terrible pour eux. Un coup très dur pour l'exploration spatiale Russe, qui était déjà à bout de souffle. Mars 96 représente le dixième échec consécutif des Russes (mis à part les sondes Mars 5 et Phobos 2 qui ne sont que des demi échecs). La perte financière de Mars 96 est également énorme : 600 millions de dollars côté Russes et 900 millions pour les autres partenaires, dont 230 millions pour la France.

Le pire, c'est que les médias ont passé sous silence l'aspect scientifique de la mission et la catastrophe de sa perte pour présenter un autre point, bien plus désolant. Mars 96 transportait effectivement un composé fortement radioactif avec elle. Après l'incident en orbite et les premiers calculs sensés déterminer son point d'impact, on s'est vite rendu compte qu'elle allait frapper ... l'Australie ! Une sonde en perdition, quelques centaines de grammes de plutonium à son bord et un impact probable sur le continent australien. Un mauvais scénario de science fiction ? Non, tout simplement la réalité, ou presque. Certains médias ne pouvaient pas manquer ça !

Mars 96 emportait effectivement avec elle du plutonium 238, histoire d'alimenter ses générateurs radio isotopiques (RTG). Ce genre de générateur utilise la décomposition radioactive du plutonium pour produire de la chaleur, qui est ensuite convertie en électricité. Obtenu par l'irradiation de Neptunium 237, le plutonium 238 a une période de vie de 87 ans, ce qui est bien suffisant pour assurer l'alimentation en énergie d'une sonde spatiale pendant toute la durée de sa mission. Hautement radioactif, les particules alpha qu'il émet sont pourtant toutes arrêtées par un écran de quelques centimètres d'épaisseur. La masse totale de plutonium emporté par Mars 96 est estimé à 200 g. Les petites stations comportaient chacune 1 RTG avec 15 grammes de plutonium pour chaque. Les deux pénétrateurs emportaient aussi 1 RTG chacun. Le plutonium était conditionné pour résister à la chaleur et au choc d'un impact très important. Il a sûrement survécu à la réentrée atmosphérique.

Lorsque les ingénieurs Russes reçoivent les premières données de télémétrie de la station de poursuite à Evpatoriya en Crimée, ils se rendent bien compte que quelque chose cloche avec leur sonde. Ils demandent alors assistance à l'US Space Command aux Etats Unis. Celui-ci pointe ses antennes radio et traque bientôt un objet en orbite, qui ne va pas tarder à s'écraser sur Terre. L'US Space Command annonce sa chute dans l'hémisphère sud, en Australie. L'Australie risque de se retrouver sous une pluie de plutonium ! L'alerte est remontée jusqu'au Conseil National de Sécurité américain (National Security Coucil, NSC), qui informe le président Bill Clinton, alors en voyage dans les îles Hawaï. Un coup de fil, et le premier ministre australien est prévenu de l'imminence de la catastrophe. Les australiens mobilisent des unités militaires et se préparent au pire ...

En fait, ce que personne ne sait encore, c'est que la sonde Mars 96 ne peut plus causer de soucis, car elle s'est déjà écrasée dans le pacifique. L'US Space Command n'a en fait suivi que le quatrième étage de la fusée Proton. Les Russes calculent un nouveau point d'impact et annoncent que le Block D-2 va s'écraser dans le pacifique. L'US Space Command prendra conscience de son erreur de calcul et confirmera les prédictions russes. Tout cela se termine aussi brutalement que cela avait commencé. La catastrophe est évité et l'échec de Mars 96 est bien vite oublié par tout le monde. Tout le monde ? Evoquez donc avec un scientifique ou à un ingénieur impliqué dans cette aventure la perte de Mars 96. Vous serez alors surpris de voir que la cicatrice n'est pas prêt de disparaître.

Séquence des événements, depuis le lancement jusqu'au crash

16 novembre 1996
20:58:53 UTC Lancement de la sonde Mars 96 par une fusée Proton 8K82K / 11S824F depuis le complexe de tir 200 L du cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan. Succès des trois premiers étages.
21:03 UTC Premier allumage du Block D-2 : succès
21:05 UTC Extinction du Block D-2 : succès. La sonde est maintenant sur une orbite terrestre temporaire de 148 km x 148 km, inclinaison 51,5°
21:57:46 UTC Deuxième allumage du Block D-2 (à ce moment la, la sonde n'est pas suivie par les stations de poursuite au sol, et aucune données de télémétrie n'est disponible) : échec. Le Block D-2 s'éteint au bout de 4 secondes. Les conséquences seront dramatiques. L'orbite suivie par Mars 96 est maintenant de 45 km x 171 km, avec une inclinaison de 51,6°. Lorsque l'ADU s'allumera, les paramètres orbitaux de Mars 96 seront modifiés. La sonde suivra alors une nouvelle orbite ( 87 km x 1500 km) qui la conduira à sa perte.
22:06:51 UTC Séparation du Block D-2 et de Mars 96 : succès.
22:20 UTC Fin de la première orbite. Pendant la première orbite, la station de poursuite Evpatoriya en Crimée reçoit les premières données de télémétrie. L'orbite de la sonde est bien trop basse et les ingénieurs se rendent compte que tout ne tourne pas rond.
23:50 UTC Fin de la seconde orbite. Pendant cette deuxième orbite, 4 minutes de données de télémétrie sont recueillies puis interprétées.
17 novembre 1996
00:45 UTC -  01:30 UTC Crash de la sonde Mars 96 dans l'océan Pacifique, en Bolivie ou au Chili. L'endroit du crash n'est pas connu avec précision. L'impact avec la surface terrestre a lieu entre 01:00 et 01:30, d'après les sources russes. Le réseau de surveillance spatiale américain été suivi la rentrée atmosphérique d'un objet à 00:49 et des témoins oculaires ont reporté une chute météoritique au-dessus de désert de l'Atacama, près de la frontière entre le Chili et la Bolivie, à 00:50.
18 novembre 1996
01:13 UTC Entrée atmosphérique du Block D-2 de la fusée (approximativement à 42,2° S et 161,3° E).
01:20 UTC Crash du Block D-2 de la fusée près des côtes du Chili (approximativement à 50,9° S et 168,1° W).

Mars 98

Mars 98 a connu le même report que la mission Mars 96. Son lancement était programmé pour 1998, pour finalement être abandonné. Peu d'expériences avaient été prévues pour cette mission, et l'essentiel de la charge utile était réservée à un ballon fourni par le CNES et à un petit véhicule automatique au nom maintenant célèbre : Marsokhod.

L'orbiteur de la mission Mars 96 devait étudier la planète Mars sous toutes ses coutures grâce à une foule d'instruments scientifiques (Crédit photo : CNES/David Ducros).

Mars 96

Mars 96 représentait sans doute l'une des plus ambitieuses sondes spatiales jamais créée par l'Homme. Son échec fut une perte terrible pour l'exploration de la planète Mars (Crédit photo : droits réservés).

Largage des petites stations de Mars 96

Dessin d'artiste du largage des petites stations de Mars 96. Les stations sont enfermées dans une petite capsule munie d'un bouclier thermique. Après la traversée de l'atmosphère, le bouclier est éjecté et un parachute prend le relais. La descente se termine par le gonflage d'un ballon protecteur autour de la station. L'engin va rebondir un certain nombre de fois à la surface de Mars avant de s'immobiliser. Après l'abandon du ballon, la petite station s'ouvre comme une fleur en déployant ses quatre pétales sphériques (Crédit photo : CNES/David Ducros).

Petite station au sol de Mars 96

Les deux stations au sol du vaisseau Russe Mars 96 devaient atterrir grâce à un ballon protecteur. Il s'agit en fait de deux sphères, qui selon une technique mise au point dans les années 1960 pour les sondes luna, s'ouvraient en pétales de manière à replacer l'engin à l'endroit. L'entrée dans l'atmosphère était suivie du déploiement du parachute, de l'éjection du bouclier thermique, du largage de la sonde au bout de sa bride et finalement du gonflage du ballon protecteur avant l'arrivée au sol. Grande première, les stations devaient prendre des vues de la surface martienne pendant leur descente, grâce à une caméra CCD (500 x 400 pixels, résolution de 20 mètres/pixel à 1 centimètre /pixel). (Crédit photo : droits réservés).

Largage des pénétrateurs

Dessin d'artiste de la descente des pénétrateurs de Mars 96. Après son éjection, le pénétrateur subit une décélération aérodynamique avant de compléter son freinage par l'ouverture d'un ballon en forme de volant de badminton. L'impact avec le sol est violent et une bonne partie du pénétrateur s'enfiche dans le sol. (Crédit photo : CNES/David Ducros).

Le pénétrateur de Mars 96

Les pénétrateurs étaient constitués d'une partie inférieure, destinée à s'enfoncer dans le sol et d'une partie supérieure, beaucoup plus large et en forme d'entonnoir, sensée rester à la surface. La majeure partie des instruments était confinée dans un cylindre fin. On y trouvait un sismomètre, un accéléromètre, un thermomètre, un détecteur à neutrons et un spectromètre Alpha Proton Rayons X (similaire à l'APXS de Sojourner), un spectromètre gamma et une sonde thermique. Côté surface on recense des senseurs météorologiques, un magnétomètre, une caméra de télévision et le système de transmission des données (Crédit photo : CNES/David Ducros).

Omega

Oméga était l'imageur spectral de la sonde Mars 96. Cet instrument aurait permis d'observer la quasi-totalité de la surface de Mars et d'obtenir des images avec une résolution variant de 350 mètres à 10 km (dans un domaine spectral s'étendant de 0,4 à 5,2 microns et une résolution de 20 nm).(Crédit photo : droits réservés).

Optimism

Gros plan sur le sismomètre de l'expérience Optimism. Conçu pour enregistrer les ondes sismiques de longue période, il comprend un pendule (masse d'épreuve) supporté par un ressort. La détection du mouvement du pendule lors d'une secousse sismique est assurée  par deux capteurs (capacitif et inductif). Maintenu sous vide, le pendule est enfermé dans une demi sphère de titane parfaitement visible ici (Crédit Photo : IPGP/INSU/SODERN).

Le lancement de Mars 96

Le lancement de Mars 96. La sonde ne quittera jamais l'orbite terrestre (Crédit photo : droits réservés).

 Marsokhod

Le robot Marsokhod devait partir avec la mission Mars 98. Atteindra-t-il un jour la surface de Mars ? (Crédit photo : droits réservés).

 

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