Folklore martien

De toutes les planètes du système solaire, Mars est celle qui hante le plus les esprits des hommes. Lorsque l'on évoque les extraterrestres, on pense d'abord et avant tout aux petits hommes verts. Créatures visqueuses et dégoûtantes, êtres filiformes à la tête hypertrophiée et aux yeux globuleux, monstres de métal cracheur de feu, on leur prête des apparences multiples. Mais tout le monde s'accorde sur un point. Quelle que soit leur apparence, ils viennent tous de la planète rouge. Les extraterrestres sont d'abord des martiens, et bien peu viennent de la planète aux anneaux, ou de la lointaine Pluton. Dans l'inconscient collectif, Mars semble cristalliser nos espoirs les plus fous et nos craintes les plus vives, dès lors que l'on aborde l'éternelle question de l'existence d'une autre vie, intelligente ou non, dans l'Univers.

Dès qu'ils ont levé les yeux vers la voûte céleste, les hommes ont été frappés par la planète Mars. Sa couleur rouge sang, exacerbée par des variations brutales d'éclat terrifiaient les anciens, qui voyaient dans Mars un dieu courroucé et belliqueux.

Au XVIIè siècle, à une époque ou les instruments optiques ne permettaient pas d'apercevoir grand chose de la surface martienne, hormis un disque flou et quelques taches, Mars n'était plus déifiée, et la planète va même retomber dans une banalité toute terrestre. En 1686, dans son ouvrage Entretien sur la pluralité des mondes (écrit sous la forme d'un dialogue), Fontenelle estime que Mars n'a rien de curieux, et qu'elle ne mérite guère d'attention. La première carte de la planète est dressée en 1840 par Beer et Mädler, mais elle ne montre rien qui pourrait exciter l'imagination. Tout commence véritablement avec l'histoire des canaux martiens. En 1877, profitant d'une belle opposition martienne (un passage de Mars au voisinage de la Terre), l'astronome italien Giovanni Schiparelli va établir une carte incroyablement détaillée de la surface martienne. Cette dernière semble striée par des dizaines et des dizaines de lignes noires très fines, qui dessinent un maillage étonnamment géométrique. Pour baptiser ces lignes, Schiaparelli utilise le terme canali (chenal en italien). Canali sera cependant traduit ultérieurement par le terme canal, qui évoque indubitablement un ouvrage artificiel.

Les canaux font fasciner deux astronomes de renoms. Le premier n'est autre que le français Camille Flammarion. Passionné depuis son adolescence par la question de l'existence d'une vie extraterrestre, Flammarion va se lancer dans une étude de la planète Mars, depuis un observatoire qu'il a installé à Juvisy-sur-Orge. Dans son célèbre ouvrage la planète Mars - une compilation commentée de toutes les connaissances accumulés depuis lors sur Mars -, il émet l'hypothèse que les canaux ont été construits par des martiens.

Cette idée quelque peu audacieuse va enflammer l'imagination un américain, Percival Lowell, à tel point que ce riche diplomate va abandonner sa carrière pour se vouer corps et âme à l'étude de la planète rouge. Grâce à sa fortune personnelle, il fait construire un observatoire à Flagstaff (Arizona) à 2000 mètres d'altitude et rassemble une solide équipe d'astronomes. Depuis ce belvédère, il va scruter les moindres détails de la surface martienne pendant plus de 15 ans. Lowell dénombre les canaux martiens par centaines, et affine l'hypothèse de Flammarion. Non seulement les canaux sont l'œuvre des martiens, mais ils ont été mis en place pour lutter contre une désertification catastrophique de la planète. Pour acheminer vers les terres équatoriales desséchées l'eau des calottes polaires et sauver leur civilisation déclinante, les martiens se sont lancés avec ferveur dans un ouvrage d'ingénierie gigantesque. Sur Terre, à la même époque, les ingénieurs planchent sur le canal de Panama ...

Il ne fait aucun doute que les activités humaines influencent notre vision de l'Univers. Au XIXè siècle, les canaux étaient d'une importance cruciale pour le commerce international. La construction du plus grand d'entre eux, le canal de Suez (qui relie Port-Saïd, sur la Mer Méditerranée, à Suez, sur la Mer Rouge), fut comparée à celles des Pyramides. Commencée en 1859, sa réalisation prendra 10 ans et ne se terminera qu'en 1869. A l'époque, ces ouvrages monumentaux constituaient une signature de l'intelligence humaine. Une civilisation puissante se devait de tracer des voies de navigation aussi larges qu'étendues. Il n'était donc pas surprenant que les martiens fassent de même ...

La découverte de Lowell fait sensation, et l'astronome devient célèbre du jour au lendemain. Certains astronomes restent cependant dubitatifs. Lorsqu'ils pointent leurs télescopes vers la planète Mars, ils sont loin d'apercevoir le réseau géométrique de Lowell. On attend avec impatience les premières photographies de la planète, mais ces dernières ne permettent finalement pas de trancher. Il faudra attendre 1909, et les travaux d'Eugène Antoniadi, pour que la controverse prenne fin. Antoniadi, à l'aide de la lunette de 81 cm de l'observatoire de Meudon, démontrera le caractère illusoire des canaux, du à la piètre qualité des instruments optiques utilisés pour l'observation. Malgré cette mise à mort, le mythe des canaux aura la vie dure. On le découvrira encore sur les cartes de la planète Mars utilisées par les premières sondes spatiales américaines lancées à destination de Mars ...

Allo Mars, ici la Terre

En érigeant des constructions pharaoniques à la surface de Mars, les martiens se montraient l'égal de l'homme, et devenaient ainsi des êtres très intéressants à  côtoyer. La communication avec ces habiles bâtisseurs de l'espace est soudain une impérieuse nécessité ...

Les idées pour entrer en relation avec les martiens ne manquent pas. L'une d'elles, suggérée en 1869 par le savant français Charles Cros (co-découvreur du phonographe et de la photographie en couleurs) dans un article intitulé "Etudes sur les moyens de communication avec les planètes", est remise au goût du jour en 1908 par William Pickering. Ce dernier propose d'utiliser d'immenses miroirs paraboliques pour focaliser la lumière émise par de puissantes lampes électriques sur la surface martienne. Ainsi aveuglé, les martiens ne pourraient pas manquer de nous apercevoir dans leurs télescopes et lunettes. Selon Pickering, un tel système de signalisation pourrait être construit pour 10 millions de dollars. Le météorologiste et statisticien  Francis Galton avait lui aussi recommandé d'utiliser des jeux de miroirs pour communiquer avec les martiens en 1892, tout comme le français Francis Mercier au début du XX è siècle.

D'autres esprits enflammés proposent d'adresser des messages aux petits hommes verts en utilisant d'immenses étendues désertiques comme parchemin. Formés de lettres géantes tracées dans les sables du Sahara, ces messages seraient suffisamment voyants pour que les martiens n'aient aucune difficulté à les lire. Inspiré par cette idée, l'astronome Edward Emerson Barnard écrivit une nouvelle à la chute amusante : lorsque, après bien des efforts, les terriens arrivèrent finalement à demander aux martiens "pourquoi vous envoyez-nous des signaux ?", ces derniers répondirent très sérieusement "ce n'est pas à vous que nous parlons, mais aux saturniens !".

L'idée de communiquer avec les astres est très populaire, et en 1891, une riche veuve française, Clara Goguet Guzman, offre même un prix de 100 000 francs à quiconque parviendra dans les 10 années à venir à communiquer avec une planète ou une étoile, et à recevoir une réponse. Baptisé Prix Pierre Guzman (Madame Guzman souhaitait ainsi rendre hommage à son fils décédé), ce prix avait reçu l'aval de l'Académie Française des Sciences. Les tentatives de communication avec Mars sont cependant exclues : étant très proche de la Terre, la planète Mars est effectivement un objectif bien trop facile ! Malgré leur extravagance, tous ces projets peuvent être considérés comme les ancêtres des programmes de recherches d'intelligences extraterrestres de type SETI.

La Terre n'est cependant pas la seule à essayer d'établir des relations. Dans les années 1890, des observateurs attentifs repèrent des sortes de flashs à la surface de Mars, qui sont rapidement interprétés comme des "signaux de fumée" émis par les martiens (ce phénomène spectaculaire mais assez rare, encore observable de nos jours, est probablement du à la réflexion des rayons du Soleil sur des nuages composés de fins cristaux de glace, ou sur une surface gelée).

En 1895, le New York Herald annonce que d'immenses signes, formant le mot Shajdai, - Dieu en Hébreu -, ont été mis en évidence dans un dessin de la surface martienne réalisé en 1890 par Keeler. Le San Francisco Chronicle rapporte que ce dernier était un agnostique, et que ses observations n'étaient donc pas biaisées par une quelconque passion religieuse ! Question communication, les martiens semblent en tout cas avoir eu les mêmes idées que les Terriens ...

Avec la découverte des ondes radios, les tentatives reprennent de plus belle. Le célèbre physicien Serbe Nikola Tesla (1856-1943) intercepte en 1901 des signaux en provenance de Mars, et propose de construire un poste radio interplanétaire pour dialoguer avec les martiens. En 1919, son concurrent direct, le physicien Guglielmo Marconi (prix Nobel de physique en 1909 pour l'invention de la radio) capte des émissions radios semblant provenir de l'espace. Deux années plus tard, en 1921, il annonce que ces signaux extérieurs provenaient de la planète Mars, rejoignant ainsi les idées de Tesla. Le 22 août 1924, l'armée et la marine américaine maintiendront même un silence radio total au moment de l'opposition (le passage de Mars au plus proche de la Terre), pendant 3 jours entiers, pour faciliter l'écoute des signaux radios martiens !

Une autre forme très originale de communication va être mise en oeuvre pour atteindre Mars. Dans les années 1850, le spiritisme fait fureur, et nombreux sont ceux qui pensent que les martiens sont médiums ou télépathes. Ces théories sont d'ailleurs cautionnées par Camille Flammarion lui-même.

Le cas le plus intéressant est sans contexte celui décrit par le psychiatre suisse Théodore Flournoy dans son ouvrage intitulé "Des Indes à la planète Mars". L'ouvrage relate les transports spectaculaires d'une voyante hors du commun. En pratiquant des séances de spiritisme, une jeune genevoise de 30 ans, Hélène Smith (Catherine Elise Muller de son vrai nom) rentre effectivement en communication avec des martiens ! Elle est non seulement capable de décrire avec un luxe de détails les paysages qui s'offrent à elle lorsqu'elle visite Mars par les voies de l'esprit, mais elle donne aussi de nombreuses précisions sur les martiens eux-mêmes (physionomie, vêtements, pratiques sociales, langage). Au bout d'un certain temps, Hélène Smith parvient à maîtriser la langue martienne, qui possède son propre alphabet et sa propre syntaxe, même si, comme le note Flournoy, ce dernier ressemble étonnamment au français. Hélène Smith, qui pouvait aussi se réincarner en Marie-Antoinette ou prendre la vie d'une princesse indienne, était atteinte d'un trouble de personnalités multiples. Fortement influencée par les travaux évocateurs de Camille Flammarion, la jeune femme avait assuré à la planète Mars une place de choix dans les profondeurs tourmentées de son inconscient.

Le célèbre psychologue Carl Gustav Jung, a qui l'on doit notamment la notion d'inconscient collectif, s'est lui aussi penché sur un cas similaire à celui d'Hélène Smith. En 1902, dans une thèse intitulée "Psychologie et pathologie des phénomènes dit occultes", Jung décrit les transes médiumniques d'une de ses cousines âgée de 15 ans, Helen Preiswerk (les Hélènes sont-elles prédestinées à se déplacer sur Mars par la seule force de l'esprit ?). Au cours de ses transports, la jeune femme voit de nombreux canaux, ainsi que des martiens montés sur d'étonnantes machines volantes. Jung expliquera ce comportement en évoquant une nouvelle fois une dissociation de la personnalité.

La planète Mars semble donc vouloir s'enraciner au plus profond de l'inconscient, et pour beaucoup, ce monde rouge se confond avec soucoupes volantes et envahisseurs extraterrestres. Sa seule évocation réveille parfois des terreurs primitives, comme le montre le fameux canular d'Orson Welles.

Les martiens d'Orson Welles

Nous sommes le 30 octobre 1938, à la veille d'Halloween. Ce dimanche après-midi, Orson Welles rencontre l'équipe de CBS, pour finaliser le contenu d'une émission hebdomadaire intitulée Mercury theather on the Air. Halloween oblige, l'émission devra avoir quelque chose d'effrayant. Plutôt que d'évoquer de traditionnels revenants à la tête de citrouille, Welles décide de donner vie à des entités tout aussi terrifiantes, mais bien plus originales : il va réaliser une courte adaptation radiophonique du roman de Herbert Wells, la Guerre des Mondes.

Quand l'émission débute à 8 heures du soir, les auditeurs savent à quoi s'en tenir. L'ouverture indique clairement qu'il va s'agir d'une fiction dramatique. Reste que les gens branchés sur CBS sont encore peu nombreux. Une radio concurrente, NBC, diffuse au même moment une émission plus populaire que celle de CBS. Le programme de NBC débute avec une forte audience, jusqu'au moment ou le présentateur donne l'antenne à un musicien peu connu. De nombreux auditeurs changent alors de fréquence et rattrapent en cours de route l'émission de CBS. En peu de temps, l'audience de la radio double. Lorsqu'ils arrivent sur CBS, les retardataires tombent sur un show entrecoupé de plus en plus régulièrement de bulletins d'informations faisant étant d'un phénomène inquiétant.

L'émission a effectivement débuté comme un programme musical, les auditeurs étant invités à écouter Ramón Raquello et son orchestre, qui se produisent au moment même à l'hôtel Park Plaza, en plein centre de New York. Les notes de Tango sont cependant bientôt interrompues pour laisser place à un bulletin d'information émis par l'Intercontinental Radio News. A 19h40, le professeur Farrell de l'observatoire du Mont Jennings à Chicago aurait aperçu plusieurs explosions à la surface de Mars, une observation aussitôt confirmée par l'illustre professeur Pierson de l'observatoire de Princeton.

Les auditeurs sont à nouveau conviés à faire quelques pas de tango, mais leur répit est de courte durée. Jugeant l'événement important, CBS a estimé nécessaire d'interviewer le professeur Pierson par l'intermédiaire d'un journaliste, Carl Phillips. Sur les ondes, l'astronome se veut rassurant. S'il se montre incapable de fournir une explication pour l'explosion ayant eu lieu à la surface de Mars, Pierson estime que Mars ne présente pas de dangers, la planète étant en toute logique inhabitée (Welles et son équipe commettent d'ailleurs une erreur à ce moment là : Pierson indique que la planète Mars est très proche de la Terre, en opposition, alors que ce n'était absolument pas le cas en octobre 1938). Au beau milieu de l'interview, Pierson reçoit un télégramme annonçant qu'un tremblement de terre, vraisemblablement dû à l'impact d'un météore, vient d'avoir lieu à proximité de Princeton, près d'une ferme située à Grovers Mill dans le New Jersey.

Stupéfaits, les auditeurs apprennent alors par le biais du journaliste Carl Phillips, envoyé sur place, que la violente déflagration était due non pas à la chute d'une météorite comme on l'avait alors supposé, mais à l'atterrissage d'un étrange vaisseau de métal. Tandis que les badauds se pressent autour de l'engin, ce dernier, après avoir laissé entendre un étrange bourdonnement, se dévisse soudain par le haut. Des tentacules menaçantes se hissent bientôt à travers l'ouverture. Peu après, dans l'incrédulité générale, le martien mitraille la foule avec un rayon ardent, transformant son site d'atterrissage en brasier. Aucun doute n'est plus possible quant aux intentions de ces visiteurs venus de l'espace, qui atterrissent maintenant les uns après les autres. Après avoir semé la terreur à Grovers Hills en détruisant tout sur leur passage, des tripodes martiens, sortes de tanks montés sur trois pattes, mettent le cap sur New York. L'artillerie et l'avion, malgré des efforts acharnés, ne parviennent pas à stopper leur inexorable progression ...

Paniqués, des milliers d'auditeurs abandonnent leur maison et se lancent sur les routes pour tenter de fuir les martiens et leur folie meurtrière. Quand Welles annoncent que les martiens commencent à succomber les uns après les autres d'un mal terrestre contre lequel ils n'ont développé aucune résistance, il n'y a plus grand monde pour l'écouter. Sur les six millions d'auditeurs que comptait l'émission, un million croira à une invasion martienne. Certaines anecdotes donnent une idée de l'ampleur de la psychose crée par l'émission de Welles : des gens armés d'un fusil ont par exemple vidé leur tromblon sur des châteaux d'eau, croyant qu'il s'agissait de tripodes géants !

Orson Welles termine son émission en souhaitant un joyeux halloween à ses auditeurs, sans se douter un instant de ce qu'il a déclenché. Durant toute la nuit, CBS diffusera des démentis. Le lendemain matin, au cours d'une conférence de presse, Welles insistera sur le fait qu'il n'avait jamais eu l'intention de créer une telle panique. Des rappels de la nature fictive de l'émission avaient d'ailleurs été diffusés avant, pendant et après la prestation de Welles (certaines personnes croiront d'ailleurs que les flashs indiquant la véritable nature de l'émission émanaient d'un gouvernement désireux d'étouffer l'affaire !).

S'il parait aujourd'hui difficile de croire qu'une simple émission radio puisse générer pareil affolement, il faut replacer les choses dans leur contexte. En 1938, la planète rouge était un monde entrelacé de canaux géants vraisemblablement creusés par des intelligences supérieures. Dans l'esprit du public, une invasion martienne appartenait donc au domaine du plausible, d'autant plus qu'une terrible menace, bien réelle cette fois, se profilait à l'horizon. Un an environ après l'émission de Welles, les allemands envahissaient effectivement la Pologne ...

Welles et son équipe avaient également apporté un soin tout particulier au réalisme. Welles s'était par exemple inspiré des flashs d'information diffusés en 1937 lors de la destruction spectaculaire du zeppelin Hindenburg au-dessus de la base aérienne de Lakehurst le 6 mai 1937, catastrophe qui avait d'ailleurs eu lieu dans le ... New Jersey ! L'émission comportait des interviews de différentes personnes, depuis le témoignage d'un fermier ayant aperçu le premier engin, jusqu'aux avis d'illustres scientifiques en passant par des militaires faisant le point sur les attaques en cours. Certains intervenants, comme le professeur Pierson, affichaient d'ailleurs une bonne dose de scepticisme, ce qui rendait l'ensemble d'autant plus crédible. Si les bulletins d'informations paraissaient plus vrais que nature, la deuxième partie de l'émission, un long monologue du professeur Pierson, racontant sa fuite de Grovers Hills jusqu'à la déconfiture inattendue des martiens à New York, était déjà plus proche du récit que d'une couverture journalistique, et aurait du mettre la pouce à l'oreille des auditeurs ayant manqué le début ou le rappel en milieu d'émission. Malheureusement, de nombreuses personnes avaient vraisemblablement déjà quitté leur poste de radio à ce moment là. Welles a donc bâti son émission en s'appuyant sur les croyances et les peurs de l'époque. Son génie, et le vernis de véracité dont étaient recouverts les bulletins d'information fictifs ont fait le reste ...

Aujourd'hui, il semble impossible qu'un canular puisse déclencher une hystérie collective comparable à celle de 1938. D'abord parce que la radio est désormais un média de second plan, loin derrière la télévision ou Internet. Un flash diffusé par ce moyen serait aussitôt démenti par les autres médias. Ensuite, la popularisation de la science-fiction et les effets spéciaux du cinéma ont placé la barre très haut. Les moyens à mettre aujourd'hui en œuvre pour rendre crédible une invasion extraterrestre semblent donc dissuasifs. Grâce aux missions spatiales, nos connaissances sur la planète rouge ont également fait un bond de géant, et le public, qui peut découvrir chaque jour sur Internet de nouvelles images de Mars, serait beaucoup plus difficile à convaincre. Celui-ci a parallèlement développé une certaine méfiance vis à vis des médias, et les déclarations officielles n'auraient plus valeurs d'autorité comme au temps de Welles. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, les plaisantins qui voudraient reproduire l'exploit de Welles prendraient le risque, comme CBS, de s'exposer à de coûteux procès.

Peut-être jaloux du génie de Welles, certains mettent aujourd'hui en doute l'hystérie de masse déclenchée par son adaptation radiophonique de la Guerre des Mondes. Dans un article paru en octobre 2003 dans le Toronto Star, un journaliste a estimé que le véritable canular n'était pas l'arrivée des martiens, mais bien le fait que l'on ait cru qu'un million de personnes avaient paniqué. Il est donc possible que les conséquences de l'émission de Welles aient été exagérées, et que l'exode n'ait pas été massif. En lieu et place des milliers de personnes qui se seraient pressées sur les routes pour échapper aux martiens, seuls quelques-unes seraient véritablement sorties de chez elles ...

Les romans de science-fiction

Comme nous l'avons signalé, le célèbre canular radiophonique d'Orson Welles était basé sur un roman de Herbert George Wells, la Guerre des Mondes. Ce roman, paru en 1898, décrit l'invasion de la Terre par des martiens aux appendices tentaculaires montés sur des tripodes de métal. Au-delà d'un récit passionnant de science-fiction, la Guerre des Mondes était aussi une vigoureuse dénonciation des velléités colonialistes de l'Angleterre victorienne.

Après la Guerre des Mondes, les martiens et leur planète vont devenir de plus en plus présents dans les récifs d'anticipation. Edgar Rice Burroughs (le père de tarzan) publiera en 1917 le premier d'une série de 11 romans consacré à Mars. Le premier opus, "une princesse de Mars", se déroule en 1866. Pour échapper à des indiens, le capitaine confédéré John Carter trouve refuge dans une grotte de l'Arizona. Il est alors mystérieusement transporté sur la planète rouge, baptisée Barsoon. Il découvre une planète habitée par des créatures extraterrestres (dont des êtres dotés de quatre bras et d'une peau verte) et des êtres humains. John Carter mènera de nombreux combats aux côtés des martiens, et gagnera l'amour de la belle princesse Dejah Thoris.

Le cycle de Mars de Burroughs inspirera Ray Bradury, l'auteur des chroniques martiennes, probablement l'un des romans les plus émouvants et poétiques jamais écrit sur Mars. Dans cete merveille publiée en 1950, les martiens sont confrontés à un effroyable cataclysme. Une nouvelle fois, il est possible de faire un parallèle avec la situation sur Terre. A cette époque, nous sommes en pleine guerre froide, et les esprits sont terrifiés par les possibilités dévastatrices de l'arme atomique ...

Bradury inspira en retour Arthur C. Clarke. Dans son roman les Sables de Mars, paru en 1951, il sera l'un des premiers à aborder le concept de terraformation. Encore aujourd'hui, la planète rouge continue à inspirer de nombreux auteurs de science-fiction. L'histoire du premier débarquement humain sur Mars fait bien sur l'objet de nombreux récits, comme le Mars de Ben Bova (1992) qui décrit les problèmes technologiques, humains et politiques d'une telle aventure. Dans son uchronie Voyage (1996), Stephen Baxter réécrit l'histoire de l'aventure spatiale et spécule sur la mission martienne que la NASA aurait pu lancer en 1985, si les américains ne s'étaient pas contentés de poser le pied sur la lune. La colonisation de la planète, ainsi que la controverse de sa terraformation, sont également des sujets de prédilection. Dans ce domaine, l'œuvre phare est sans contexte l'étonnante trilogie de Kim Stanley Robinson (Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue, 1993-1996). L'envol de Mars de Greg Bear (1993), qui fait suite à la Reine des Anges, est également un petit chef d'oeuvre, au croisement de la hard-science et du space opéra.

Soucoupes volantes martiennes

Sur les murs de la petite pièce encombrée qui lui sert de bureau, le célèbre agent Fox Mulder de la  fameuse série X-Files a punaisé une affiche singulière : une image représentant une soucoupe volante survolant une région boisée, accompagnée de cette petite phrase en apparence anodine : "je veux y croire".

Une image vaut mieux qu'un long discours, et ce poster illustre à merveille la nature du phénomène OVNIs. Dans un monde aussi peu rationnel que celui des soucoupes volantes, tout n'est que croyance et suggestion. Comme nous allons le voir, à  l'origine d'une vague d'OVNIs, on trouve souvent une révolution technologique, ou un changement historique majeur. La perception sur tel ou tel point s'en trouve modifiée, et ce qui était auparavant inconcevable devient soudain tangible.

Les premiers OVNIs n'étaient pas des soucoupes volantes, mais des dirigeables fantômes, les airships. Les premières rumeurs remontent en 1848, au moment de la ruée vers l'or californienne. A cette époque, les chevaux et les diligences constituaient les principaux moyens de transports, et n'importe quel déplacement prenait du temps. Et c'est bien connu, le temps, c'est de l'argent, surtout lorsqu'il s'agit d'aller chercher de l'or ! Une compagnie New-yorkaise peu scrupuleuse annonça alors pouvoir mettre à disposition de ses heureux clients un nouveau moyen de transport : un dirigeable. Selon cette société, le vol inaugural, sensé rallier New-York à la Californie en 7 jours, était prévu pour le mois d'avril 1849. Une déclaration quelque peu mensongère, puisqu'il faudra attendre encore trente ans avant que le premier dirigeable digne de ce nom ne voit le jour en Europe. Quant aux premiers vols commerciaux, ils n'auront lieu qu'au début du XXè siècle. Reste que la publicité de la compagnie New-yorkaise a frappé les esprits, et que des rumeurs de ballons fantômes évoluant dans le ciel commencent à courir.

La première grande apparition des dirigeables fantômes a lieu en 1896 et 1897 en Californie, et les témoignages arrivent par centaines. Dans l'Iowa, un homme est happé vers le ciel par une ancre larguée d'un dirigeable. Des témoins aperçoivent à plusieurs reprises les occupants des vaisseaux, qui ressemblent à s'y méprendre à des êtres humains. L'incident le plus remarquable à lieu au Texas, le 17 avril 1897. Un dirigeable fantôme heurte un moulin à vent et explose, tuant son occupant. Ce dernier, qualifié de "martien", est inhumé dans un cimetière local. Pour certains, la planète rouge ne pouvait être que le port d'attache de ces cigares volants. Au moment de ces étonnantes apparitions, le dirigeable devait une réalité et deux ans avant cette première grande vague d'OVNIs, Percival Lowell avait publié son livre "Mars" ...

Aucun évènement majeur n'a lieu pendant la première moitié du XXè siècle. Les soucoupes volantes font véritablement leur entrée en 1947, après la seconde guerre mondiale et l'invention des avions à réactions. Le 24 juin, un pilote américain du nom de Kenneth Arnold s'envole à bord de son avion personnel pour rechercher un appareil militaire qui s'est abîmé dans la chaîne montagneuse des Cascades. Il aperçoit alors 9 objets brillants volants en formation. Le journaliste qui relatera cette observation utilisera le terme de soucoupes volantes, qui depuis fait partie du vocabulaire courant. Quelques jours plus tard, le 2 juillet 1947, un engin volant non identifié explose au-dessus du désert de Roswell au nouveau Mexique. L'affaire de Roswell est lancée ...

Les soucoupes volantes referont parler d'elles peu après le survol de la sonde Mariner 4 en 1965. Les images historiques de Mariner 4 ne montrent pourtant qu'une surface planétaire grise et constellée de cratères, sans canaux ni cités extraterrestres. Avec une grande déception, on découvre que la planète rouge, ce monde de promesses, n'est finalement qu'un astre mort et froid, similaire à la Lune. Les images de Mariner 4 auraient du mettre un terme aux fantasmes martiens. Pourtant, malgré leur côté austère, les premières images de Mars ont fasciné. Grâce à Mariner 4, les hommes s'étaient rapprochés de la planète rouge, et celle-ci devenait par la même occasion plus présente, plus réelle dans les esprits. Comme par magie, les soucoupes ont de nouveau obscurci le ciel.

En guise de conclusion

Aujourd'hui encore, alors que de nombreuses sondes spatiales violent en permanence l'intimité de la planète rouge en nous faisant découvrir son véritable visage dans le domaine du visible, de l'infrarouge et de l'ultraviolet, Mars ne cesse de nous fasciner. L'affaire du visage de Mars suscite encore bien des passions et même après l'acquisition de nouvelles photographies à haute résolution par la sonde Mars Global Surveyor en 1998, certaines personnes refusent d'y voir autre chose qu'un monument bâti par une intelligence extraterrestre. Leur obsession est telle que rien ne peut les convaincre , et il est fort probable que si la NASA avait le pouvoir de les envoyer sur place, ils refuseraient encore de prendre le visage pour ce qu'il est vraiment, à savoir une colline banale perdue dans une plaine tourmentée.

Une histoire hautement rocambolesque, relatée dans le journal l'Est Republicain, illustre bien cette fascination pour Mars et ce besoin de croire qui sommeille en chacun de nous. L'article raconte l'histoire d'un nancéen de 37 ans qui s'est endetté à hauteur d'un million de francs pour participer à la construction d'un engin spatial capable de le propulser sur l'astre rouge ! Le doux rêveur avait été contacté par un agent d'une organisation aussi secrète que puissante, une organisation qui s'était engagé depuis longtemps dans le clonage humain et la colonisation de Mars. En guise de démonstration, le futur martien est emmené par un agent "ami" à Euro Disney, l'attraction Space Moutains étant une représentation plus ou moins fidèle du véritable astronef. Un voyage au Portugal lui permet d'assister à un rassemblement de clones cagoulés. Bien entendu, cette initiation est loin d'être gratuite, et le nancéen reçoit régulièrement la visite d'un clone méchant. Ce dernier, bien qu'habillé différemment, est une copie conforme de l'agent "ami". Sa méchanceté et son incroyable ressemblance avec l'agent ami effraye quelque peu le voyageur, qui, sous la menace, s'empresse de signer un chèque de 50 000 F. Ce sera le premier versement d'une longue série, puisque le clone méchant soulagera d'un million de francs le portefeuille de son client. On l'aura deviné, toute l'affaire n'était qu'une véritable escroquerie. Les deux clones n'étaient qu'une seule et même personne jouant deux jeux différents, suivant qu'elle endossait l'habit du gentil ou du méchant. Certes, la victime de cette arnaque était psychologiquement fragile, et constituait une cible de choix pour des personnes versés dans l'art de la manipulation et de la suggestion. Reste que l'on ne peut manquer de se poser une question. Les escrocs auraient-ils réussi à soutirer autant d'argent s'ils avaient proposé un voyage vers Venus ou Jupiter ?

Percival Lowell

Percival Lowell a largement contribué au mythe d'une planète rouge habitée. Depuis son observatoire de Flagstaff dans l'Arizona, l'oeil rivé sur son télescope, il n'aura de cesse d'observer Mars et de cataloguer les nombreux canaux qu'il aperçoit à sa surface. Pour Lowell, ces canaux sont de gigantesques constructions artificielles, dressées par les martiens pour lutter contre l'assèchement inéluctable de leur planète (Crédit photo : droits réservés).

Nikola Tesla

Au début du 20e siècle, le célèbre physicien serbo-américain Nikola Tesla affirma avoir capté des signaux radios en provenance de la planète Mars. Parlant 12 langues et comprenant comme personne les lois de l'électromagnétisme, Tesla était fermement convaincu que les ondes radios était le moyen le plus efficace pour communiquer avec les martiens. Ce véritable génie, récipiendaire de nombreux prix (dont le Nobel) et détenteurs de plusieurs centaines de brevets, n'a malheureusement jamais reçu de son vivant la reconnaissance qu'il méritait. Critiqué, dénigré ou ignoré, l'homme qui jouait avec les éclairs mourut dans l'indifférence générale le 7 janvier 1943 (Crédit photo : droits réservés).

Les tripodes de la Guerre des Mondes

Les tripodes de la Guerre des Mondes sèment la terreur dans un village terrien. Ce roman de Herbert Wells publié en 1897 était une satire vigoureuse du colonialisme anglais (Crédit photo : droits réservés).

Le martien de Woking

Voici le seul martien ayant jamais marché sur la petite ville de Woking ! Pour commémorer le centenaire de la publication de la Guerre des Mondes de H.G. Wells, l'artiste Michael Condron a réalisé cette superbe statue représentant un tripode martien. Dans la guerre des Mondes, la première capsule martienne se crashait effectivement à Woking. Le tripode est accompagné de deux autres superbes œuvres d'art. La première est une capsule martienne, qui, lors de son impact, a retroussé des couches géologiques. La seconde comporte onze disques, inclus dans les chaussées piétonnes, et sur lesquels ont été dessinés des bactéries. Totalement impuissants face aux martiens, les terriens ne doivent effectivement leur salut qu'aux bactéries, contre lesquelles les envahisseurs n'ont développé aucune résistance ... (Crédit photo : Michael Condron).

Orson Welles

Le 30 octobre 1938, le grand Orson Welles réalise l'adaptation radiophonique de la Guerre des Mondes, le roman de Herbert Wells. Les auditeurs de CBS apprennent bientôt que d'étranges explosions ont été observées à la surface de Mars, tandis que de fortes secousses sont ressenties à proximité de Grovers Mill, une petite ville située près de Princeton, dans le sud du New Jersey. La situation, d'abord confuse, se précise à chaque nouveau bulletin ... L'émission va déclencher une panique générale : un million d'auditeurs va croire à une véritable attaque de martiens, et de nombreuses personnes terrifiées vont fuir leur domicile pour tenter d'échapper à un anéantissement quasi-certain ! La photographie ci-dessus, prise pendant l'enregistrement de l'émission, montre un Orson Welles concentré et habité par son rôle de présentateur (Crédit photo : droits réservés).

La planète rouge hante tellement les esprits qu'elle a sa place en psychanalyse. Dans son ouvrage intitulé "des Indes à la planète Mars", le psychiatre suisse Théodore Flournoy relate les transes d'une de ses patientes, Hélène Smith. Au cours de ses délires, la jeune femme visite la planète Mars et rencontre ses habitants. Elle ira jusqu'à maîtriser leur langage (bien qu'extraterrestre, ce dernier présente d'étranges ressemblances avec le français !). Psychiatre de génie, Flournoy avait pressenti, juste avant l'invention de la science freudienne, l'importance de l'inconscient dans les troubles de sa patiente.

Dirigeable au-dessus de Paris

Un ballon au-dessus de Paris en 1903. Avant de ressembler à des soucoupes, les premiers OVNIs étaient des dirigeables (les airships). Mais dans les deux cas, les martiens sont bien souvent aux commandes ! (Crédit photo : droits réservés).

Les OVNIs viennent de Mars

En 1895, Percival Lowell publie son premier ouvrage, Mars, dans lequel il expose avec passion sa théorie des canaux. Un an après, on assiste au premier débarquement de soucoupes volantes. Ces engins de locomotions typiquement extraterrestres vont refaire régulièrement leur apparition à des moments clés de l'Histoire, souvent caractérisés par la découverte ou la maîtrise de technologies aussi prometteuses qu'inquiétantes. Ainsi, en 1947, soit deux années après la seconde guerre mondiale, les OVNIS envahissent à nouveaux les cieux. La démocratisation du moteur à réaction, combinée aux débuts de la guerre froide, n'est sans doute pas étrangère aux survols de soucoupes volantes. Très rapidement, on va chercher l'origine de ces dernières du côté de la planète Mars, comme le montre cet article de l'édition du 8 juillet 1947 du journal France Soir. Notez qu'une origine russe est aussi evoquée. Armée rouge ou martiens, même combat ? (Crédit photo : droits réservés).

OVNI

Peu après la publication des premières images de Mars obtenues par la sonde américaine Mariner 4, on assiste à une recrudescence des observations de soucoupes volantes et autres OVNIS. Les images de Mariner 4 n'ont pourtant rien d'excitant : désolée et criblée de cratères d'impact, la surface de Mars ressemble à s'y méprendre à celle de la Lune. On est loin des oasis fleurissants et des canaux majestueux de Lowell. Malgré la déception qu'inspirent ces clichés, la planète rouge se fait plus présente dans les esprits, et les soucoupes volantes se multiplient comme par magie ... (Crédit photo : droits réservés).

Pendant la première moitié du XXè siècle, l'intérêt pour Mars décline. Les martiens continuent cependant à vivre dans les romans d'anticipation, et font souvent la couverture des revues de science-fiction (Crédit photo : droits réservés).

Marvin le martien

Créé par le dessinateur Chuck Jones, le Commander X-2 (plus connu sous le nom de Marvin le martien) lorgne la Terre d'un oeil intéressé (notez la petite brosse de son casque, particulièrement utile sur une planète aussi poussiéreuse que Mars). Malgré son côté adorable, Marvin est un envahisseur intelligent et coriace, comme tout martien qui se respecte ! (Crédit photo : droits réservés).

 

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