L'exploration spatiale, fenêtre de tir de 1969 : le tandem Mariner 6 / Mariner 7, les échecs soviétiques

La fenêtre de tir de 1969

Nous sommes en 1969. La fenêtre de tir vers Mars du mois de janvier 1967 n'a pas été mis à profit ni par les américains (occupé bien entendu par la préparation des missions Apollo et la mission vénusienne Mariner 5), ni par les russes (occupé eux aussi avec des missions lunaires et vénusiennes, en particulier Venera 4). Mais en 1969, Mars est de nouveau au centre de l'attention des scientifiques. Voyons donc dans un premier temps le programme américain pour cette année là ...

Deuxième salve de Mariner

Les sondes Mariner 6 et Mariner 7 étaient les premières sondes jumelles du programme américain Mariner à partir avec succès, l'une après l'autre, vers la planète rouge. Rappelons que la programme Mariner comprenait des sondes destinées à recueillir des renseignements sur les planètes au cours d'un seul et unique survol. Les principaux objectifs de deux missions étaient d'étudier la surface et l'atmosphère martienne comme préliminaires à des recherches futures (en particulier celle d'une éventuelle vie martienne) mais aussi de valider des techniques qui seront nécessaires pour les prochaines missions spatiales. Pour les ingénieurs et les techniciens, Mariner 6 et Mariner 7 constituent une répétition générale avant d'envoyer l'engin de leurs rêves : une sonde dotée de l'appareillage nécessaire pour se placer en orbite martienne et cartographier complètement la planète rouge. Le coût total des deux missions fut de 148 millions de dollars. Mariner 6 avait également un rôle à remplir en tant qu'éclaireur à très court terme. Il devait fournir des données utiles pour programmer avec efficacité la rencontre entre Mariner 7 et Mars, qui devait avoir lieu 7 jours plus tard.

Mariner 6

La sonde

Les deux vaisseaux étaient identiques, et étaient similaires du point de vue structure à leurs prédécesseurs, les engins Mariner 3 et Mariner 4. Chaque sonde était formée d'un prisme octogonal en magnésium isolé thermiquement, mesurant 1,38 mètres de diagonale et 45,7 centimètres de haut et qui formait le corps central. Une structure conique était montée sur le corps de la sonde et supportait une antenne parabolique grand gain de 1 mètre de diamètre. Une antenne à faible gain omnidirectionnel, fixée à l'extrémité d'un mat de 2,23 mètres de long, était enfichée à côté de l'antenne grand gain. 4 panneaux solaires mesurant chacun 2,15 mètres sur 90 centimètres, disposés en croix et fixés sur la partie supérieure de l'octogone, alimentaient la sonde en énergie. La surface des quatre panneaux solaires mesurait 7,7 m2 et assurait une alimentation en énergie de 800 W près de la Terre et de 449 W une fois en vue de la planète rouge, ce qui était encore suffisant pour couvrir les dépenses énergétiques de la sonde (380 W lors de la rencontre). Une batterie cuivre/zinc pouvait également fournir de l'énergie à la sonde en cas de problème avec les panneaux solaires. La partie inférieure du corps de la sonde était occupée par une plate-forme mobile sur deux axes qui supportait les instruments scientifiques. La hauteur totale de la sonde était de 3,35 mètres et son envergure de 5,8 mètres.

Les sondes étaient stabilisées sur trois axes, et le système de contrôle d'attitude utilisait le soleil et l'étoile Canopus comme points de repère dans l'espace, grâce à l'utilisation d'un capteur stellaire pour Canopus et de deux senseurs primaires accompagnés de quatre senseurs secondaires pour le pointage du Soleil. Les modifications d'orientation de la sonde étaient assurées par 12 éjecteurs d'azote montés à l'extrémité des panneaux solaires et par 3 gyroscopes. Le dispositif de propulsion proprement dit était contenu à l'intérieur de l'octogone central et la tuyère du moteur à hydrazine faisait saillie sur l'un des côtés de la structure prismatique. Le moteur développait une poussée de 223 Newtons.

Du point de vue des télécommunications, trois canaux étaient utilisables, chacun offrant des débits différents. Le canal A servait pour la transmission des données de télémétrie avec un débit de 8,33 bps ou 33,33 bps. Les deux autres canaux servaient pour la transmission des données scientifiques. Le canal B possédait un débit de 66,66 bps ou 270 bps, alors que le canal C était caractérisé par un débit bien plus important : 16 200 bps. Ce débit, alors même que les images seront bien plus importantes en taille que celles de Mariner 4 (5 265 920 bits contre 240 000 bits), permettra d'assurer la transmission de chaque image en moins de 5 minutes, c'est à dire pratiquement en direct (à comparer aux 8 heures nécessaires pour l'envoi d'un seul des clichés de Mariner 4). La capacité de transmission de Mariner 6 était 2000 fois celle de Mariner 4. Un enregistreur à cassette analogique pouvait stocker jusqu'à 33 images en attendant leur transmission et resservir plusieurs fois. Les autres données étaient transférées sur un enregistreur digital. Les magnétoscopes possédaient une capacité 70 fois plus élevée de celle de Mariner 4. L'ordinateur de vol pouvait être reprogrammé en cours de vol, et un plan de vol standard avait été chargé avant le départ.

Les instruments scientifiques

Chaque sonde emportait avec elle une charge scientifique composée de deux caméras : une à grand angle et à courte focale (50 mm) pour les vues d'ensemble, l'autre à angle étroit et à grande focale (500 mm) pour les vues détaillées. D'autres instruments scientifiques étaient montés sur la tourelle orientable : un spectromètre infrarouge sensible dans deux régions spectrales pour étudier la composition de la basse atmosphère, un spectromètre ultraviolet (de 110 nm à 450 nm) pour étudier la composition de la haute atmosphère et un radiomètre infrarouge pour mesurer la température du sol. Les sondes étaient cette fois exclusivement consacrées à l'observation planétaire et aucune expérience n'était prévue pour étudier le milieu interplanétaire pendant le voyage Terre Mars (comme c'était le cas avant). Les images des caméras ne seront plus carrées (le format de Mariner 4), mais rectangulaires. La résolution sera également meilleure (704 lignes de 935 pixels chacune) et l'éclairement est codé sur 8 bits et non plus 6, ce qui représente 256 niveaux de gris (au lieu des 64 niveaux de gris de Mariner 4). Le poids total des instruments embarqués atteignait 57,6 kg.

La mission

Mariner 6 décollera avec succès vers Mars, mais la sonde a bien failli suivre le destin des premières sondes de chaque couple de Mariner que les américains ont lancé à destination de la planète rouge (Mariner 3 pour le couple Mariner 3 / Mariner 4 et Mariner 8 pour le couple Mariner 8 / Mariner 9). 10 jours avant le lancement, alors que la sonde était installée confortablement en haut de son lanceur, un commutateur défectueux ouvrit la vanne principale de l'étage inférieur. Celui ci commença à se dégonfler comme un vulgaire ballon et alors que la pression qui supportait l'ensemble commençait à chuter, le corps cylindrique de l'étage se recroquevilla sur lui-même comme une vulgaire coquille de noix, dans un froissement de métal. Deux techniciens au sol, voyant se profiler le désastre, se ruèrent sur les pompes pour repressuriser l'étage inférieur et l'empêcher de se froisser d'avantage. Mariner 6 fut ôtée du lanceur maintenant inutilisable et transférée sous la coiffe d'une autre fusée et la sonde put partir comme prévu vers Mars. Les deux techniciens ont été décorés par la NASA pour leur bravoure et le sauvetage de Mariner 6.

Mariner 6 a été lancée à partir du complexe de tir 36B de Cap Canaveral le 24 février 1969. C'était la première sonde à profiter de la puissance du lanceur Atlas/Centaur, dont le développement houleux avait enfin pris fin. Ce lanceur comprenait un étage inférieur Atlas SLV-3C et un étage supérieur réallumable Centaur. C'est grâce à cet étage que Mariner 6 et Mariner 7 pourront emporter plusieurs instruments d'observation planétaire (alors que Mariner 4 n'avait pu emporter qu'une caméra). Les deux sondes pèseront d'ailleurs pratiquement le double de poids par rapport à leurs aînés (412 kg).

Une manœuvre de correction de trajectoire eu lieu à mi-chemin le 1er mars 1969. Quelques jours plus tard des boulons explosifs furent mis à feu pour débloquer la plate-forme scientifique mobile. Les explosions libérèrent des particules lumineuses qui trompèrent le senseur stellaire braqué sur Canopus et la bonne orientation de la sonde dans l'espace fut perdue. De manière à éviter ce genre de comportement désagréable pendant le survol de Mars, les ingénieurs décidèrent de placer pendant cette étape critique la sonde sous le contrôle exclusif des gyroscopes.

Le 29 juillet, 50 heures avant la rencontre fatidique, la tourelle orientable est pointée vers Mars, alors que les instruments étaient activés les uns après les autres. Mariner 6 était encore à 1 240 000 km de son objectif. Contrairement à Mariner 4, on avait effectivement prévu deux séries de prises de vue pour les deux Mariner. La première séquence démarrerait alors que la sonde était encore assez éloignée de la planète rouge, pour obtenir une vision d'ensemble du globe martien. La deuxième séquence devait avoir lieu au contraire au moment ou la sonde approcherait Mars au plus près, de manière à obtenir des vues détaillées des régions survolées.

2 heures après l'activation des instruments, les prises de vue commencent. 49 images (plus une 50ème qui sera incomplète) seront obtenues sur une période de 41 heures par la caméra à angle étroit. Le 31 juillet à 05:03 UT (temps universel), l'approche finale commence. La sonde suit une trajectoire horizontale et survole Mars d'ouest en est, légèrement au sud de l'équateur. La bande couverte par Mariner 6 commence à 0° de latitude et 60° de longitude ouest pour se terminer  à 10° de latitude sud et 320° de longitude ouest. Mariner 6 collectera 26 images détaillées de la surface. Les caméras répondent parfaitement aux sollicitations des techniciens et toutes les régions voulues défilent sous les yeux électroniques des objectifs photographiques : Aurorae Sinus, Pyrrhae Regio, Sinus Meridiani puis Deucalionis Regio.

Une panne dans le système de refroidissement du spectromètre infrarouge empêche celui ci de fonctionner correctement et aucune donnée ne sera disponible dans la bande spectrale de 6 à 14 microns. Le survol le plus rapproché a lieu à 05:19 UT à une distance de 3431 km. 11 minutes plus tard Mariner 6 passe derrière Mars, et la désormais classique expérience d'occultation radio peut commencer. La sonde émerge du globe martien 25 minutes plus tard. Après ce cache-cache avec Mars, Mariner 6 transmet les images et les données scientifiques qu'elle a recueillies. Comme nous l'avons vu précédemment, le système de communication est bien plus rapide que celui de Mariner 4 et toutes les informations utiles sont transmises en quelques jours. La sonde continue sur son orbite héliocentrique et sera employée de diverses manières par les ingénieurs et les scientifiques : tests techniques, essai de communication, photographie d'étoiles avec les caméras, observation dans le domaine ultraviolet de la voie lactée, etc. Une expérience inédite, destinée à confirmer l'un des effets de la relativité générale, a eu lieu avec Mariner 6. Il s'agissait de mettre en évidence le retard (de 5 nanosecondes) pris par un signal électromagnétique rasant le Soleil. Le 30 avril 1974, la sonde rentre en conjonction avec le Soleil, permettant à l'expérience d'avoir lieu. L'analyse des résultats confirma la théorie.

Lancement de Mariner 6

Pour leur départ, les deux sondes Mariner 6 et Mariner 7 pouvaient enfin profiter de l'étage supérieur cryogénique Centaur, bien meilleur au niveau performance que son prédécesseur, l'étage Agena. L'étage Centaur, couplé à un étage inférieur Atlas, formait le lanceur Atlas/Centaur, que l'on voit ici à l'œuvre lors du lancement de Mariner 6 le 24 février 1969 (Crédit photo : NASA).

La sonde Mariner 6

La sonde américaine Mariner 6. On distingue le corps octogonal métallique central, les quatre panneaux solaires disposés en croix, la coupole de l'antenne grand gain et le mat de l'antenne omnidirectionnelle en haut, et la tourelle orientable qui portait les instruments scientifiques en bas (on aperçoit même l'objectif de la caméra à angle étroit). Comme toutes les autres sondes Mariner, Mariner 6 devait se contenter d'un survol de Mars pour mener à bien ses observations planétaires. La caméra de la sonde effectua deux séries de prises de vue : l'une alors que la sonde était encore bien éloignée de son objectif, l'autre au cours du survol rapproché (Crédit photo : NASA/JPL).

Schéma technique des sondes Mariner 6 et 7. Cliquez sur l'image pour l'agrandir (Crédit photo : NASA/JPL).

Image de Mariner 6

L'une des 26 photographies que Mariner 6 ramena de son survol avec la surface martienne. Sur ce cliché, obtenu grâce à la caméra grand angle le 30 juillet 1969 à une distance de 3459 kilomètres, Mars montre encore une certaine ressemblance avec la Lune, mais cela ne sera pas le cas pour toutes les images. La région photographiée mesure 901 kilomètres sur 692 kilomètres (les images sont maintenant rectangulaires et non plus carré comme celles de Mariner 4). Elle montre une zone située au sud-est de Sinus Meridiani, à 15 ° en dessous de l'équateur et qui comprend une partie de Sinus Sabaeus et de la région de Deucalionis. Le large cratère à droite (cratère Flaugergues) mesure 257 kilomètres de diamètre. Le double cratère en bas à gauche se nomme Wislicenus. (Crédit photo : NASA/JPL).

Terrain chaotique

Cette photographie prise par la sonde Mariner 6 ne paye pas de mine, mais c'est pourtant un document historique. Alors que la sonde Mariner 4 n'avait mis en évidence sur Mars que des cratères d'impact similaires à ceux de la surface lunaire, le tandem Mariner 6 / Mariner 7 découvrit deux autres types de terrains, inconnus sur la lune : des zones plates sans reliefs, et des terrains chaotiques. La dépression visible en haut au centre de cette image correspond à un terrain chaotique. Tout semble indiquer que la cuvette s'est formée suite à l'effondrement de la croûte (Crédit photo : NASA/JPL).

Terrain sans reliefs

Obtenue par Mariner 7, cette image montre un terrain plat et morne, sans aucun relief. Combinée à la zone chaotique mise en évidence par Mariner 6, la découverte de cette région monotone (qui correspond en fait au bassin d'Hellas) prouvait que Mars était géologiquement plus complexe et intéressante que la Lune (Crédit photo : NASA/JPL).

Mariner 7

La mission

Mariner 7 fut lancée 31 jours après Mariner 6 à partir du complexe de tir 36A de Cap Canaveral grâce à une fusée Atlas/Centaur. Le décollage se passe sans problèmes et la sonde commence son voyage vers Mars. Le 8 avril 1969 a lieu une manœuvre de correction de trajectoire et le 8 mai, le système de contrôle d'attitude passe entièrement en mode inertiel (utilisation des gyroscopes) pour éviter le problème rencontré par Mariner 6. Le 31 juillet la télémétrie de Mariner 7 est brusquement perdue. C'est la panique au centre de contrôle. Les techniciens envoient de nombreuses commandes à la sonde avec l'espoir de reprendre le contact avant la date fatidique du survol de Mars. Finalement, ils réussissent à ordonner à la sonde de commuter sur l'antenne faible gain omnidirectionnelle pour établir les communications. Et la sonde arrivera à rebasculer plus tard sur son antenne grand gain, redevenue entre temps fonctionnelle. On ne sait pas très bien ce qu'il s'est vraiment passé, mais il semble que l'une des batteries, qui tombera en panne quelques jours avant la rencontre de Mariner 7 avec Mars, a fuit et laissé échapper des gaz qui ont causé l'anomalie.

Cet incident a bien failli coûter la vie à Mariner 7. Mais heureusement, moins de 7 heures avant le début de sa mission, la sonde retrouve un fonctionnement normal. Les techniciens n'auront même pas le temps de souffler et de se féliciter pour le dépannage réussi de l'engin spatial. Dictée par les lois de la mécanique céleste, l'heure du survol est immuable. Le 2 août 1969 à 09:32 UT, Mariner 7 commence les prises de vue éloignées de la planète rouge avec la caméra à angle étroit. Pendant les prochaines 57 heures, 93 images du globe martien de meilleures qualités que celles de Mariner 6 seront prises et transmises à la Terre. Cette première série prend fin 5 heures avant l'approche finale.

Celle ci ne va pas se dérouler comme ce qui était initialement prévu. Fort des résultats de Mariner 6, la sonde a en effet été reprogrammée et elle devra passer plus au sud que ne le prévoyait son plan de vol initial. A l'opposé de celle de Mariner 6, la trajectoire de Mariner 7 est polaire, et elle va se diriger du nord vers le sud. Une direction qui lui permettra d'obtenir des images encore plus rapprochées de la surface martienne et de collecter un plus grand nombre de données scientifiques sur la face éclairé de Mars. Ce supplément de données occupera de la place sur l'enregistreur digital de la sonde, qui ne pourra plus alors servir de backup pour les informations concernant la face non éclairée de la planète (et ces informations devront donc être transmises en direct). L'approche finale a finalement lieu le 5 août 1969 à 05:00 UT, à une distance de 3430 km de la surface martienne. 33 images seront prises par la caméra grand angle. 9 images montreront la région équatoriale vue de biais, 11 images la région polaire australe et sa calotte et les 13 images restantes couvriront deux régions remarquables de l'hémisphère sud, Noachis et Hellas. Mariner 7 couvre une petite zone centrée sur les bords de la calotte polaire australe (60° de latitude sud et 0° de longitude ouest) et une région plus importante qui commence à 10 ° de latitude nord et 20 ° de longitude ouest pour prendre fin à 30 ° de latitude sud et 105° de longitude ouest, englobant Thymiamata, Deucalionis Regio, Hellespontus, Hellas et Mare Hadriacum.

19 minutes après le survol, Mariner 7 passe derrière Mars et n'émerge que 30 minutes plus tard. Les données et les images seront transmises dans les jours suivants. Comme Mariner 6, Mariner 7 continuera à servir pour différents tests et expériences. La même expérience relativiste que celle de Mariner 6 sera conduite le 10 mai 1970.

Les résultats scientifiques de Mariner 6 et Mariner 7

Les premières conférences de presse sur les résultats préliminaires des deux sondes se sont déroulées dans une atmosphère électrique. L'été de l'année 1969 n'était pas seulement marqué par l'arrivé des sondes sur Mars, mais également par les premiers pas de l'homme sur la Lune. Le 21 juillet, 10 jours avant la rencontre de Mariner 6 avec Mars, Neil Armstrong et Buzz Aldrin marchent sur la Lune. On imagine donc bien l'état d'excitation qui devait régner alors, ce qui explique peut être les annonces spectaculaires et controversées qui ont eu lieu. Le responsable du spectromètre infrarouge annonce par exemple que l'instrument a détecté du méthane et de l'ammoniac à proximité de la calotte polaire australe. Sans statuer de manière définitive sur l'origine de ces deux composés, il rappelle que la piste biologique ne peut être écartée. En fait, les bandes d'absorption de ces gaz étaient en fait dues à la présence de dioxyde de carbone solide. Peut être pour corroborer sa déclaration, il donne également une température trop élevée aux régions polaires, confirmant la présence de glace d'eau sur la calotte. Le radiomètre infrarouge rendra ce résultat invalide. Cet instrument montrera également que les régions sombres sont plus chaudes que les régions claires et les relevés effectués du côté non éclairé du terminateur montreront que la surface martienne possède une inertie thermique très faible. Le spectromètre ultraviolet ne détectera aucune trace d'azote dans l'atmosphère martienne, ce qui déçoit beaucoup les partisans d'une vie martienne (le gaz ayant pu être d'origine biologique), mais mettra en évidence du monoxyde de carbone et un cocon d'hydrogène autour de Mars.

Au total, Mariner 6 et Mariner 7 ont obtenu 143 vues d'ensemble du globe martien et 59 images détaillés de sa surface. Les vues d'ensemble du disque martien avaient une résolution de 11 km à 43 km par pixel (les derniers clichés, qui ne montraient qu'une partie du globe martien, avaient une résolution de 4 km par pixel). Pour les vues rapprochées de la surface martienne, la résolution variait de 1 km à 2 km par pixel jusqu'à 100 mètres par pixel. Les images du tandem Mariner 6 / Mariner 7 couvriront 10 % de la surface martienne, une surface suffisante pour donner le coup de grâce aux canaux martiens. Mariner 4 avait permis de s'en douter, mais cette fois ci, c'est certain. La planète Mars romantique de Lowell, avec ses déserts arides et desséchés, ses canaux d'irrigation bordés de végétation, qui transportaient l'eau des calottes polaires jusqu'aux terrains cultivés par une civilisation déclinante et mourante, est définitivement enterrée. En fait, on savait déjà depuis longtemps que les visions de Lowell ne pouvaient être que fantasmagoriques. Mais à l'époque des Mariner, on croyait toujours que la planète Mars servait de refuge à des formes de vie : une vie végétale certes, mais une vie quand même. Il faut avouer que les observations menées depuis le sol étaient troublantes. Les différentes teintes prises par le sol au cours de l'année, le cycle d'apparition/disparition des calottes polaires, l'avancée d'une vague d'assombrissement qui partait des pôles, rejoignait l'équateur pour refluer ensuite, tous ces indices étaient la preuve qu'une intense activité avait lieu sur Mars, une activité chimique, climatique ou ... biochimique ! Les sondes Mariner 4, et surtout Mariner 6 et 7 ont ouvert avec bonheur l'ère de l'exploration spatiale martienne, mais elles ont aussi tué un peu du charme et de la magie que la planète rouge exerçait sur nous.

La cartographie traditionnelle de Mars prend également du plomb dans l'aile. Aucune corrélation marquante ne sera relevée entre les formations géographiques des clichés et les traditionnelles taches d'albédo (claires et sombres) du globe martien.

Contrairement à Mariner 4, certaines images montraient autre chose qu'une surface lunaire et Mars semblait donc quand même un peu différente de notre satellite. Après l'étude de tous les clichés ramenés pendant cette double mission, on distingue trois types de terrains. Le premier type de terrains est le plus courant : c'est celui des régions couvertes de cratères. Celles de l'hémisphère sud se révèlent les plus accidentés et les cratères d'impact de toutes tailles abondent. Le deuxième type de terrains est constitué par des régions désertiques sans relief marquant. Ce type est observé uniquement au niveau de la formation Hellas. Depuis la Terre, on pensait qu'Hellas était une région montagneuse, car des nuages blancs s'accumulaient souvent à cet endroit. L'un des scientifiques impliqué dans la mission avait prédit monts et merveilles à propos des images d'Hellas. Il commentait en temps réel les images prises par Mariner 7 devant les caméras des journalistes avides de sensations et tout le monde attendait les premiers clichés dans un suspense insoutenable. Quelle ne fut pas sa déception lorsque Mariner 7 renvoya l'image d'une région plate et norme, sans aucun relief marquant. On sait aujourd'hui qu'Hellas est le plus large bassin d'impact martien et que son plancher est situé plusieurs kilomètres en dessous du niveau moyen de Mars. Le troisième type de terrains rassemble des régions dites chaotiques, caractérisées par un sol fracturé et disloqué, une alternance de creux et de bosses, de collines et de dépressions. Ce dernier type de terrains témoigne d'une certaine activité géologique.

La calotte polaire a été observée avec succès par Mariner 7. La température aux alentours de la calotte polaire sud est de -118°C +/- 10°C, pratiquement la température du point de congélation du dioxyde de carbone sous la pression atmosphérique martienne (-125°C). La calotte n'est pas formée par de la glace d'eau, comme on l'avait d'abord cru, mais bien par du dioxyde de carbone solide ! Le CO2, composant majoritaire de l'atmosphère, pouvait donc se condenser sur les calottes polaires quand la température le permettait, et se volatiliser à nouveau lors de périodes plus clémentes. On a pris conscience à ce moment là que le cycle du CO2 constitue donc un élément majeur de la météorologie martienne, un point qui différencie fortement Mars de notre planète, caractérisée elle par le cycle de l'eau.

Les expériences d'occultation sont réalisées avec un matériel radio beaucoup plus sensible que celui de Mariner 4. Les scientifiques obtiennent quatre profils de température et de pression (deux profils pour Mariner 6, lors de la disparition et de la réapparition de la sonde, et deux autres pour Mariner 7 obtenus dans les mêmes conditions). Dans trois cas, la pression atmosphérique sera estimée à 6 ou 7 mbars. La dernière mesure indiquera 3,5 mbars au dessus d'une région qui porte le nom de Hellespontica Depressio. En fait de dépression, c'est tout le contraire ! Le faisceau radio a traversé à ce moment là l'atmosphère située au dessus d'un point particulièrement élevé de la surface martienne, et dont l'altitude sera estimée à 7000 mètres. Quant aux températures, elles montreront de forts écarts entre le jour et la nuit. L'occultation montrera également que l'ionosphère n'est présente qu'au niveau de la face éclairée de Mars.

Les déviations que les sondes ont subies lors du survol ont permis de donner de nouvelles valeurs encore plus précises à la masse de Mars, à son rayon et à sa forme (la planète apparaît de plus en plus irrégulière et cabossée).

Après Mariner 6 et Mariner 7, notre vision de Mars s'est un peu affinée. Les résultats de Mariner 4 sont globalement confirmés, même si Mars semble légèrement différente de la Lune. La planète rouge n'est qu'un monde peu intéressant, sans grand intérêt. Pourtant, tout comme la vision d'une planète semblable à la Terre des premiers observateurs et la fameuse affaire des canaux martiens, l'idée d'une Mars "grise" et lunaire n'est qu'une illusion. On ne le sait pas encore, mais la planète rouge a gardé pour elle tous ses secrets. Il faudra attendre Mariner 9 pour s'apercevoir que Mars, ce n'est ni la Terre, ni la Lune, mais Mars, tout simplement.

Lancement de Mariner 7

Le 27 mars 1969, Mariner 7 s'élance vers Mars (Crédit photo : NASA/JPL).

Mariner 7

Mariner 7 était identique à Mariner 6, mais elle n'a pas exécuté la même mission. Mariner 7 a effectivement emprunté une trajectoire polaire, contrairement à la trajectoire équatoriale empruntée par Mariner 6. Cela lui a permis d'obtenir des clichés intéressants de la calotte polaire australe et de mesurer sa température. On s'est alors aperçu que celle ci était suffisamment basse pour autoriser la solidification du dioxyde de carbone (Crédit photo : NASA/JPL).

Image de Mariner 7

L'une des 93 photographies que Mariner 7 a acquis avec sa caméra à angle étroit en août 1969, alors qu'elle se trouvait encore à bonne distance de Mars. On notera la calotte polaire sud, bien visible, ainsi que la tache circulaire marquant l'emplacement du volcan géant Olympus Mons. Cet édifice n'était cependant pas encore connu comme un volcan, et on pensait qu'il s'agissait d'un vaste cratère d'impact  (Crédit photo : NASA/JPL).

Zones de survol de Mariner 6 et Mariner 7

Les zones de passage des sondes Mariner 6 et Mariner 7. Mariner 6 (en haut) a survolé la région équatoriale de Mars, alors que Mariner 7 est passée bien plus au Sud. Le globe utilisé pour localiser les différentes images a été réalisé à partir d'observations terrestres. Notez qu'il ne comporte plus de canaux, contrairement aux cartes employées pour planifier la mission de Mariner 4 (Crédit photo : NASA/JPL).

Couverture photographique des sondes Mariner 6, Mariner 7 et Mariner 4

Carte de Mars montrant la couverture photographique de Mariner 4 (en bleu) et du couple Mariner 6 / Mariner 7 (en violet). La sonde Mariner 4 a photographié 1 % de la surface martienne, contre 10 % pour les sondes Mariner 6 et Mariner 7. La plupart des terrains survolés étaient situés dans l'hémisphère sud, ce qui explique la prédominance des cratères d'impact et l'aspect lunaire des clichés. Les merveilles de l'hémisphère nord, comme le canyon de Valles Marineris ou les volcans géants du dôme de Tharsis ne se sont pas encore dévoilées ... (Crédit photo : NASA/JPL).

Globe martien

Globe martien présentant les images de Mariner 6 et Mariner 7 (Crédit photo : NASA/JPL).

1969 du côté russe : échec du nouveau lanceur Proton

En 1969, l'année du lancement du tandem Mariner 6 et Mariner 7, les soviétiques avaient eux aussi des sondes à aligner sur les pas de tir de Baïkonour. Malheureusement, comme c'est bien souvent le cas avec eux, nous n'avons que très peu de renseignements sur ses missions. La seule chose que vous savons avec certitude, c'est que les deux missions ont été un échec. Avec les américains qui venaient de poser le premier pas sur la Lune, on comprend que les russes voulaient éviter ce genre de publicité. Pour ces deux lancements, les soviétiques disposaient d'un nouveau lanceur plus puissant que la traditionnelle fusée R7 Zemiorka, le lanceur Proton. Contrairement à la Zemiorka, le Proton ne dérive pas d'un programme de missile continental. Les tests du Proton commencent en juillet 1965 et en 1968, celui ci est équipé d'un étage supérieur permettant à une sonde d'échapper à la gravité terrestre et de s'élancer vers les planètes ou la Lune. Sa dénomination selon la nomenclature américaine du Département de la Défense (DoD) est SL-12, alors que d'après le code Sheldom du Congrès, le Proton s'appelle D-1-e. Avant son utilisation pour la fenêtre de tir de 1969, le lanceur Proton avait déjà réussi à propulser avec succès vers la Lune trois sondes, Zond 4, Zond 5 et Zond 6. Les deux sondes martiennes de 1969 ne vont cependant pas profiter de cette apparente fiabilité.

Mars 1969A

La première sonde porte, à défaut d'autre chose, le nom générique de Mars 1969A. Elle n'a jamais été annoncée officiellement, mais on pense qu'elle comportait un atterrisseur destiné à poser le pied sur Mars, éventuellement accompagné d'un orbiteur. La charge utile de la sonde reprenait sans doute une bonne partie des instruments embarqués sur les sondes suivantes Mars 2 et Mars 3. La masse de la sonde était déjà très importante, puisque qu'elle pesait plusieurs tonnes (3495 kg). Un poids conséquent dont le nouveau lanceur Proton pouvait très bien s'accomoder. Au moment du lancement, le troisième étage de la fusée (dénomination américaine SL-12/D-1-e, dénomination russe 11S824) explosa en plein vol 438 secondes après le décollage, le 27 mars 1969.

Mars 1969 B

La compagne de Mars 1969A n'a pas eu plus de chance. Nommé 1969B, elle était en tout point similaire à Mars 1969A, à l'exception de sa date de lancement qui avait été programmée quelques jours plus tard, le 2 avril 1969 (on trouve aussi quelques fois dans la littérature la date du 14 avril 1969). Cette fois ci, c'est carrément le premier étage du lanceur Proton qui est tombé en panne presque immédiatement après le décollage.

Le lanceur Proton

Les deux sondes martiennes de 1969 bénéficient de la puissance du lanceur Proton K. Celui ci servira pour lancer pratiquement toutes les autres missions Russes (Crédit photo : International Launch Services).

Sonde soviétique M69

La première version du modèle de sondes M69 que les soviétiques ont utilisé en 1969 (Crédit photo : droits réservés).

Tableau récapitulatif des missions vers Mars pour l'année 1969

Numéro

Date de lancement

Nom(s)

Pays

Lanceur et sonde

Résultat

10 24 février 1969 (Cap Canaveral, complexe LC36B) Mariner 6, Mariner F, Mariner Mars 69A, 03759 Drapeau américain Atlas SLV-3C s/n AC-20 / Centaur D-1A s/n 5403C. Sonde de type Mariner Succès : survol de Mars le 31 juillet 1969 à 3431 km de la région équatoriale. Obtention de 49 vues d'ensemble du globe martien et de 26 images détaillées de la surface. Mesure de la température et de la pression atmosphérique, ainsi que de la température de surface. La sonde a permis une étude améliorée de la densité et de la masse de Mars.
11 27 mars 1969 (Cap Canaveral, complexe LC36A) Mariner 7, Mariner G, Mariner Mars 69B, 03837 Drapeau américain Atlas SLV-3C s/n AC-19 / Centaur D-1A s/n 5105C. Sonde de type Mariner Succès : survol le 5 août 1969 à 3430 km de la région polaire sud. Obtention de 93 vues d'ensemble du globe martien et de 33 images détaillées de la surface. Mesure de la température et de la pression atmosphérique, ainsi que de la température de surface (en particulier de la calotte polaire). La sonde a permis une étude améliorée de la densité et de la masse de Mars.
12

27 mars 1969 (Baïkonour, complexe LC81L)

Mars 1969A

Drapeau soviétique

Proton 8K82K s/n 240-01 / 11S824.
Sonde de type M69 (s/n 521)
Echec : pas d'annonce officielle pour cette mission. La coiffe de protection ne se détache pas. Le deuxième étage continue son travail de poussé puis l'étage supérieur 11S824 du lanceur Proton K explose finalement (ou défaille) 438 secondes après le lancement.
13 2 avril 1969 (Baïkonour, complexe LC81P) Mars 1969B Drapeau soviétique
Proton 8K82K s/n 233-01 / 11S824.
Sonde de type M69 (s/n 522)
Echec : pas d'annonce officielle pour cette mission. Défaillance presque immédiate du premier étage du lanceur Proton K après le décollage. La fusée se crashe lamentablement à proximité du pas de tir.

 

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