Depuis que
l'homme a levé les yeux vers Mars, il n'a jamais cessé de vouloir s'y
transporter. D'abord par la pensée, puis par l'intermédiaire de nos
robots, nous avons commencé à explorer ce monde fascinant, à la fois si
semblable et si différent de notre planète, la Terre. Pourtant, nous
n'avons encore jamais osé franchir la dernière étape qui sépare le rêve
de la réalité. Ingénieur en propulsion spatiale et président de
l'association planète Mars (le chapitre français de la Mars Society),
Richard Heidmann nous livre ici ses réflexions sur la nécessité d'une
exploration habitée de la planète Mars.
Les premiers pas de l'homme dans l'espace furent glorieux. Dix années à
peine séparent l'envoi du premier satellite artificiel de la Terre,
Spoutnik 1, des premiers pas de l'homme sur la Lune. Aujourd'hui, à
l'aube du 21ème siècle, force est de constater que l'avenir
prometteur de l'humanité dans l'espace s'est mué en un immobilisme craintif. Depuis l'envoi de
l'homme sur la Lune, nos astronautes sont confinés en orbite basse. Déjà
ébranlée par l'accident de Challenger en 1986, la NASA a assisté
impuissante à la désintégration de la navette Columbia en février 2003,
et à la disparition tragique de son équipage. Doit-on continuer à mettre
en péril la vie de nos astronautes pour les envoyer tourner
continuellement, et pratiquement sans aucune raison valable, autour du
globe bleu de la Terre ? Ou sont donc passés le courage, la vision et la
persévérance qui animaient les hommes qui ont conquis notre satellite ?
C'est sur ces quelques faits et réflexions que commence Planète Mars,
une attraction irrésistible, de Richard Heidmann. Directement impliqué
dans l'exploration spatiale, l'auteur fait ce constat terrible : aussi
flamboyante qu'ait été son départ, la conquête spatiale est aujourd'hui
engagée sur une voie sans issue. Pourtant, contrairement à certaines
personnes, pour qui l'homme n'est pas fait pour les immensités froides
de l'espace, Richard Heidmann estime au contraire que l'humanité a droit
à un destin cosmique. Un destin derrière lequel se cache non seulement
la capacité de notre civilisation à essaimer dans les immensités du
cosmos, mais également et surtout son aptitude à échapper à
l'autodestruction. Pour Richard Heidmann, la première étape de ce long
périple - qui n'est finalement qu'une suite à celui entrepris par
l'homme depuis sa naissance sur Terre - est connue depuis fort
longtemps. Après avoir passé en revue les différentes destinations
possibles dans un court chapitre, une seule réponse pertinente apparaît
: Mars.
Mars oui, mais comment ? Et surtout, pourquoi, et avec qui ? Si ces
questions vous interpellent, vous ne ferez sans doute qu'une bouchée de
ce livre dédié à l'exploration de la planète Mars par l'homme. A n'en
pas douter, une telle aventure redonnerait un objectif ambitieux et
noble aux agences spatiales, perdues dans des programmes sans réelles
visions. Encore faut-il savoir, comme l'indique Richard Heidmann, rester
les pieds sur Terre, éviter de développer des scénarios qui ont plus à
voir avec la science-fiction que la réalité, et apprendre de nos erreurs
passées (comme le fiasco de la station spatiale internationale).
Après un court chapitre présentant la planète Mars, l'ouvrage dresse un
état des lieux de l'exploration martienne, et détaille l'architecture
d'une mission habitée "classique", qui pourrait être mise sur pied dans
les prochaines décennies. Si Richard Heidmann estime que nous sommes
aujourd'hui mieux préparé pour Mars que nous ne l'étions pour la Lune il
y a 35 ans, il ne sous-estime pas pour autant les difficultés de
l'entreprise, qui sont bien réelles, voire préoccupantes. La durée du
voyage, sans commune mesure avec un aller retour Terre - Lune, va ainsi
exposer l'équipage à bien des dangers. Les effets de l'apesanteur se
feront cruellement sentir (bien que l'on connaisse certaines
contre-mesures), et le risque d'exposition à des bouffées de radiations,
ou à des impacts de micrométéorites augmente. Les astronautes seront de
plus complètement isolés, et, avec les moyens de propulsions actuels,
dans l'incapacité de faire demi-tour immédiatement en cas de pépins. La
planète Mars recèle également ses propres dangers, dont le plus banal
n'est autre que la poussière. Omniprésente et composée de particules
très fines, celle-ci pourrait effectivement gripper les mécanismes les
plus fragiles, créer des courts-circuits, ou même empoisonner
l'équipage.
La réflexion que Richard Heidmann nous offre dans ce livre est toujours
réfléchie et modérée, passionnée tout en étant raisonnée, et tord le cou
à quelques idées reçues. Comme le montre la partie consacrée aux
difficultés d'une telle mission, Richard Heidmann ne néglige pas les
nombreux obstacles technologiques, scientifiques et psychologiques que
les nations qui s'aventureront sur la planète rouge auront à affronter
(ceux-ci étaient peut-être présentés de manière trop naïves dans "The
case for Mars", le fameux ouvrage de Robert Zubrin, le fondateur de la
Mars Society).
Devant un tel sujet, et tout en accordant au rêve la part qu'il mérite,
Richard Heidmann a également su éviter de tomber dans le grandiloquent
et le spectaculaire. L'auteur adopte ainsi une position critique par
rapport à un retour sur la Lune, considéré comme une étape clé du voyage
vers Mars dans la récente initiative d'exploration spatiale lancée par
le président Georges Bush en janvier 2004 (à ce sujet, et bien que son
financement soit plus que bancal, le programme Aurora de l'agence
spatiale européenne paraît plus réaliste et intelligent). L'auteur
dénonce aussi les arguments parfois fallacieux mis en avant par certains
promoteurs d'un retour sur la Lune, et qui reviennent régulièrement,
comme l'exploitation de l'hélium 3 contenu dans le sol sélène, ou la
construction de bases de lancement permettant d'atteindre Mars à moindre
coût. Il répond également à ceux qui ont coutume d'opposer les robots
aux hommes, et montre que ces deux entités, bien loin d'être
concurrentes, sont au contraire complémentaires.
Tout au long de quatre chapitres qui constituent le coeur de l'ouvrage,
Richard Heidmann aborde ensuite les enjeux de l'exploration habitée. Les
premières motivations qui viennent à l'esprit sont bien entendu d'ordre
scientifique, tant sont grandes les promesses de découvertes (Mars étant
un monde à part entière, et non pas un rocher mort comme la Lune). La
planète rouge permettrait de réaliser des avancées considérables dans
certains domaines comme la climatologie, la géologie, et bien sur, la
recherche des origines de la vie.
Une entreprise d'envergure comme celle qui conduirait des hommes à
fouler le sol poussiéreux de Mars aurait aussi d'importantes retombées
économiques, grâce à l'exploitation des innovations technologiques mises
en oeuvre au cours de la mission. Les Etats-Unis doivent une part de
leur leadership technologique aux missions Apollo, qui ont véritablement
bouleversé les capacités du pays. Richard Heidmann détaille longuement
les retours sur investissement qu'un pays impliqué dans l'exploration
habité de Mars serait en droit d'attendre, et force est de constater que
la liste est éloquente.
Viennent ensuite les enjeux géopolitiques, indissociables de la conquête
spatiale (l'exploration lunaire ayant d'abord et avant tout été une
course contre la montre entre les deux grandes superpuissances de
l'époque, les Etats-Unis et l'Union soviétique). Dans un chapitre
passionnant, Richard Heidmann passe en revue les différents pays qui
pourraient jouer un rôle dans l'exploration habitée de Mars. Tout pays
désirant une place de choix sur la scène internationale ne peut ignorer
les activités spatiales, que ce soit pour leur importance stratégique,
ou pour le prestige qu'elles confèrent. Il faut espérer, tout comme lui,
que les ambitions de la Chine (qui a lancé son premier taikonaute en
2003) puissent réveiller les esprits et jouer le rôle d'aiguillon pour
les Etats-Unis et l'Europe.
La section consacrée aux enjeux se termine sur les enjeux sociétaux, qui
comptent parmi les plus fondamentaux. Les retombées d'une mission
habitée martienne pour la société seraient effectivement considérables,
depuis une meilleure connaissance du climat ou des ressources en eaux,
jusqu'à des avancées dramatiques dans des domaines comme la médecine, la
robotique, les télécommunications. L'entreprise captiverait également le
public, et serait à même de susciter bien des vocations, en particulier
dans des pays marqués par une sévère désaffection pour les métiers
techniques et scientifiques.
En tournant la dernière page de ce plaidoyer rigoureux et argumenté pour
une exploration humaine de Mars, et au-delà, du système solaire, il est
difficile de ne pas être convaincu du bien fondé d'une telle entreprise.
Parce qu'il allie le rêve et la réalité, nul doute que cet ouvrage
enchantera les passionnés convaincus que le destin de l'humanité se
trouve dans les étoiles. Il donnera également du grain à moudre à tous
ceux que le sujet intrigue, et fera peut-être même changer d'avis
quelques sceptiques qui estiment que la Terre doit rester, pour le
meilleur et pour le pire, la seule et unique préoccupation des hommes
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