Desolation Road

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Desolation Road
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Note : 4 etoiles
Auteur :
Ian McDonald
Editeur
:
Robert Laffont (*)
Parution : 1988 (1989 pour cette édition)
Epaisseur : 334 pages

Desolation Road de Ian McDonald (illustration de la version poche) Desolation Road raconte l'histoire d'une petite ville perdue dans le Grand Désert du quadrisphère nord-ouest de Mars, depuis sa création par un voyageur égaré, jusqu'à sa disparition dans les sables du désert, vingt trois années martiennes plus tard.

S'il est une chose impossible à faire avec Desolation Road, c'est de le résumer. Ce roman foisonne tellement de personnages qu'il constitue une oeuvre à part dans le paysage de la science-fiction. Dès les premières pages, on y rencontre le docteur Alimantado, fondateur de la petite ville perdue de Desolation Road et chronodynamicien génial, qui cherchera inlassablement la solution de l'équation du temps. Puis, très rapidement, monsieur Jericho, traqué sur la planète entière par des bandes rivales et porteur d'une mémoire collective un peu semblable à celle des Bene Gesserit de Dune.

Il y a ensuite la famille Mandella, qui a peine arrivée à Desolation Road, donnera le jour à des jumeaux, Limaal et Taasmin. Le premier deviendra le plus grand joueur de billard que l'Univers ait jamais connu, tandis que l'autre se lancera dans une quête mystique. Rajandra Das, clochard chanceux qui répare les machines d'une caresse. Grand mère Babouchka, qui grâce aux merveilles de la biotechnologie, pourra enfanter à nouveau. Mikal Margolis, qui, écartelé entre mère, femme et maîtresse, tentera de retrouver sa liberté. Persis Tatterdemalion, pilote dans l'âme clouée au sol malgré elle, et qui se reconvertira en tenancière d'un bar hôtel. Ed, Louie et Umberto Gallacelli, triplé charmeurs qui iront jusqu'à marier la même femme, même si un seul d'entre eux saura la rendre véritablement heureuse. Et encore Marya Quinsana, vétérinaire manipulatrice qui cherche une revanche sur la vie. Les familles Staline et Tenebrae, toujours en conflit et dont les enfants se révéleront être des monstres bouffis de violence, contenue ou affirmée. Ruthie Blue Mountain, jeune fille d'une grande laideur capable d'absorber la beauté des gens pour la réémettre dans un flash d'une beauté insoutenable. Ou encore Jean-Michel Gastineau, maître des sarcasmes, dont les réparties, aussi effilées que la lame d'un sabre, peuvent blesser physiquement.

Comme si cela ne suffisait pas, le lecteur déjà ébloui y croisera aussi des forains (comme Fleur du Lothian avec son Spectacle Itinérant d'Education Génétique, ou Adam black et son Extravagant Théâtre Educatif Intelligent), une locomotive douée de conscience, des Anaël, ange de métal au service de la bienheureuse Dame de Tharsis, des cyborgs désireux de mortifier le peu de chair qu'il leur reste, un diable tentateur tout droit sorti de Faust, un fantôme prisonnier d'une bulle temporelle, des guitaristes se livrant des duels mortels à coup de mélodies furieuses et survoltée et même ... des petits hommes verts !

Cette galerie haute en couleurs n'est qu'un des nombreux aspects de Desolation Road. Comme si son répertoire de personnages ne lui apportait pas assez de diversité, le roman oscille aussi entre plusieurs genres, et passe sans crier gare du comique au sérieux, de l'onirique au violent. Certains passages sont d'une grande poésie, comme cette scène magique ou le ciel déverse cent cinquante mille ans de pluie retenue sur les terres desséchées de Desolation Road. Ou celle, émouvante, ou un couple de vieillards se perd dans leur propre jardin devenu labyrinthe et se transforme en aulnes, dont "l'enchevêtrement de leurs branches et racines défiait à jamais toute tentative humaine de les séparer". D'autres passages sont beaucoup plus sombres, comme cette société ou les ouvriers sont identifiés par des numéros et portent des costumes gris de papier, et qui n'est pas sans rappeler les mondes totalitaires décrits par Orwell ou Huxley. La répression brutale d'une grève par ce régime tyrannique s'accompagnera d'une flambée de violence, qui frappera d'autant plus le lecteur que ce dernier était jusqu'à présent imprégné de calme et de sérénité.

Le style même du roman est mouvant, et des descriptions particulièrement travaillées peuvent côtoyer des passages ou la plume de l'écrivain semble avoir été frappée d'hystérie. Par ce biais, le texte arrive à merveille à transmettre au lecteur l'état d'esprit d'un personnage ou l'excitation née d'une situation particulière. Le roman regorge de nouveaux mots, forgés par la fusion de termes existants (un procédé classique en science-fiction), et l'auteur s'est amusé à changer les noms des mois, des planètes, à créer des titres à rallonge, et tous ces petits détails amusent, interpellent ou fascinent.

Comme tout roman de science-fiction qui se respecte, Desolation Road fait également la belle part aux inventions high-tech. Si le roman fourmille de gadgets aussi divers que variés, les dispositifs les plus impressionnants sont vraisemblablement ceux oeuvrant à la terraformation de la planète. Les puissants ingénieurs de ROTECH (recherche opérationnelle en terraformation et écosystème sous contrôle hyperspatial) ont effectivement un large gamme de moyens à leur disposition pour maintenir l'équilibre écologique et climatique de la planète rouge : canon à laser infrarouge pour réchauffer des régions données et créer des courants atmosphériques, magnétos déployant des boucliers magnétiques pour stopper les radiations solaires et cosmiques, ou encore vanas, miroirs gigantesques capables de faire briller des soleils artificiels dans le ciel de Mars. Les déserts sont parcourus d'orphes, immenses chenilles métalliques apportant la vie dans les régions les plus stériles, et les comètes s'écrasent à intervalle régulier pour venir irriguer les terres. Enfin, lorsque toute l'infrastructure au sol est enfin prête pour accueillir des colons, un Spatiovoilier du Présidium arrive et déverse son million trois quart de passagers à l'aide de navettes et d'ascenseurs spatiaux ...

Comme nous pouvons le voir, le moyen le plus simple de décrire Desolation Road serait de faire des listes, liste de personnages, de genre littéraire ou d'inventions technologiques. L'ensemble pourrait être effrayant, mais le talent d'Ian McDonald est tel que le lecteur n'est jamais perdu. Certes, la lecture de Desolation Road demande un peu d'attention, mais les efforts consentis ne l'auront pas été en vain. Car la véritable richesse de Desolation Road n'est pas dans ses personnages extravagants, mais bien dans l'enchevêtrement de leur histoire. Car les trajectoires des habitants de la petite ville forment un récit inextricable, passionnant, totalement impossible à prévoir ou à anticiper.

Pourtant, telle une locomotive, "seulement capable d'avancer en ligne droite et ce dans une gamme limitée de direction", ces derniers ne font rien d'autre qu'obéir à leur destinée. C'est sans doute pour cela que ces trains quelque peu anachroniques (bien qu'alimentés par fusion nucléaire) sont aussi nombreux dans Desolation Road. Ils sont les images vivantes de la prédestination de leurs passagers ou de leur conducteur. Desolation Road est d'abord et avant tout une réflexion brillante sur la condition humaine, le destin implacable des individus et des civilisations, et au-delà, sur la trame du temps.

Ecrit par un auteur dont l'imagination fertile transpire par tous les pores du papier, Desolation Road est un livre dense, attachant, d'une richesse inouïe. Servi par une écriture débridée, tantôt tranquille comme un ruisseau, tantôt déchaînée comme un torrent, c'est une oeuvre de science-fiction majeure, qui se termine de surcroît par un final éblouissant. A aucun moment le talent d'Ian McDonald ne fléchit, et si ce livre reste impossible à classer parmi les genres connus, il existe pourtant deux mots qui l'englobent totalement. Chef d'oeuvre.

(*) Ce roman est aussi disponible en poche.

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