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La disgrâce de Schiaparelli Lundi 24 octobre 2016 |
Atterrissage sur Mars : second échec
cuisant pour l’Europe Le mercredi 19 octobre 2016, l’Europe a essuyé un nouvel échec dans sa tentative d’accéder à la surface de Mars. Le module Schiaparelli, largué par le satellite Trace Gas Orbiter trois jours auparavant, a effectivement disparu corps et âme dans les derniers kilomètres qui le séparait encore de son objectif ultime. Quarante ans après les sondes Viking, l'Europe n'a toujours pas prouvé sa capacité à se poser sur la planète rouge. La délicate séquence d’entrée, de descente et d’atterrissage (EDL) avait débuté à 16h42 heure martienne, lorsque le module, protégé par son bouclier thermique, a percuté la limite supérieure de l’atmosphère martienne, à 121 km d’altitude. Pour pouvoir permettre aux ingénieurs de suivre en direct le déroulement des opérations (avec seulement 10 minutes de retard, délai incompressible dû au temps mis par la vitesse de la lumière pour franchir la distance Mars – Terre), un radiotélescope Indien (le Giant Metrewave Radio Telescope situé à Pune en Inde) s’était verrouillé sur le signal radio (la porteuse) de Schiaparelli. Hélas, en plein milieu de la descente, la liaison radio a brutalement été coupée. Cet événement n’était pas rassurant en soi, mais étant donné la faiblesse du signal, les ingénieurs gardaient encore espoir. Ce dernier fut presque totalement douché lorsque la sonde Mars Express, qui est en orbite autour de Mars depuis fin 2003, a transmis son propre enregistrement de la porteuse quelques heures plus tard. Une fois analysées, les données ont montré qu’une interruption était intervenue exactement au même moment que celle observée depuis la Terre. Une défaillance au niveau du segment sol ne pouvait donc plus être évoquée pour expliquer le silence angoissant de la sonde. A partir de là, les mauvaises nouvelles se sont succédées pour l'ESA. Peu après son atterrissage, le module Schiaparelli était sensé communiquer avec un satellite américain, la sonde Mars Reconnaissance Orbiter (MRO). Hélas, ce dernier ne recevra aucune donnée de l’engin européen. Un silence radio cohérent avec une perte catastrophique de l’atterrisseur. Il a cependant fallu attendre le 20 octobre à 3h00 du matin pour que le compagnon de Schiaparelli, la sonde Trace Gas Orbiter, transmette enfin à la Terre l’enregistrement télémétrique complet du plongeon de l’atterrisseur vers la surface martienne. Sans surprise, le signal est là encore perdu au même moment que celui noté la veille par le télescope terrestre et Mars Express. Les données télémétriques, toujours en cours d’analyse, laissent penser qu’un événement critique a entrainé le crash de l’engin. Elles montrent une déviation par rapport au scénario nominal au moment où le parachute (et le bouclier arrière auquel il est attaché) aurait dû être éjecté. Cet événement aurait notamment eu lieu plus tôt que prévu. Plus dramatique encore, les rétrofusées se sont bien allumées, mais n’ont fonctionné que pendant 3 secondes, au lieu des 30 secondes escomptées pour un atterrissage en douceur. Incapable de s'appuyer sur ses moteurs propulsifs pour freiner, le module Schiaparelli est donc tombé, aussi impuissant qu'une pierre, d’une hauteur estimée entre 2 et 4 kilomètres. La chute aurait durée 19 secondes pendant lesquelles le contact radio a été gardé, puis l’engin a frappé le sol à la vitesse de 300 km/h. La violence du choc dû être terrible, et l’engin a probablement été pulvérisé sous la force de l’impact, en laissant un cratère béant à la surface de Mars. C’est malheureusement exactement ce qu’ont montrées les images de la caméra de contexte (CTX) de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter le 20 octobre, après un survol de la plaine de Meridiani. Les clichés, qui sont pourtant de résolution moyenne, permettent clairement d’apercevoir le parachute, ainsi qu’une tache sinistre, large de 15 mètres et longue de 40 mètres. Avec ce témoignage accablant, aucun doute n'était plus permis quant à l'issue tragique de la mission (les images sont visibles ici). Grâce à sa super caméra HiRISE, capable d’acquérir des images avec une résolution de 25 cm par pixels (contre 6 mètres par pixel en moyenne pour la caméra CTX), MRO devrait renvoyer dans les jours qui viennent des clichés bien plus détaillés de la zone du crash. On devrait pouvoir y apercevoir l’étendue des dégâts, et admirer la contribution de Schiaparelli à l’exploration de la planète : un cratère oblong situé en plein centre de l’ellipse d’atterrissage, et entouré de débris fumants. Il n'est pas certain que l'astronome italien Giovanni Schiaparelli, célèbre pour avoir cartographié Mars (dont ses nombreux cratères) et qui a donné malgré lui son nom au module européen, apprécie le clin d'œil. La perte de Schiaparelli est un coup très dur pour l’Europe. Contrairement au discours officiel de l’ESA, qui cherche à tout prix à minimiser l’échec, ainsi qu’aux analyses de plusieurs commentateurs, la perte de Schiaparelli ressemble à tout, sauf à un succès. Certes, pendant la descente du module vers Mars, la sonde Trace Gas Orbiter est parvenue à se placer sans encombre en orbite martienne. Une réussite qui mérite d’être célébrée comme il se doit, non pas pour la manœuvre elle-même, mais pour le fait qu’elle a permis à plusieurs spectromètres sophistiqués de tourner désormais autour de l'astre. Trace Gas Orbiter embarque effectivement une charge utile d’exception, qui devrait permettre d’étudier de façon très fine l’atmosphère martienne, et de résoudre le mystère de l’origine des panaches de méthane qu’on y observe parfois. Il convient toutefois de rappeler que la mise en orbite d’une sonde autour de Mars est désormais une technique maitrisée par plusieurs agences spatiales. L’ESA avait déjà démontré cette capacité en 2003, avec l’insertion orbitale de Mars Express, et l’Inde a également réussi cet exploit avec Mangalyaan en septembre 2014, et ce pour un coût dérisoire. De plus, Trace Gas Orbiter vient à peine de débuter sa mission. La sonde va devoir affronter une année d’aérofreinage avant de pouvoir être à poste pour démarrer sa campagne d’observations scientifiques. Par rapport à une insertion orbitale, l'atterrissage sur Mars est une toute autre paire de manches. Réussi du premier coup par la NASA en 1976 avec les sondes Viking, il n’est depuis maitrisé que par les américains. Ces derniers parviennent aujourd’hui à déposer presque une tonne en des points très précis de la surface martienne (Curiosity). Les russes s’y sont toujours cassé les dents depuis 1960, et l’Europe vient donc d’échouer dans sa seconde tentative. Il est d’ailleurs triste de constater que sur ce plan, Schiaparelli a fait moins bien que Beagle 2. Si ce petit module, plus britannique que véritablement européen, n’a jamais donné signe de vie depuis son largage par Mars Express en décembre 2003, des images récentes à très haute résolution acquises par la caméra espion HiRISE de la sonde Mars Reconnaissance Orbiter ont montré qu’il est en fait, et contre tout attente, parvenu intact à la surface. Son échec serait dû à un déploiement partiel des pétales portant les panneaux solaires. L’une d’entre elles est restée bloquée, masquant l’antenne de télécommunication et mettant du même coup définitivement fin à la mission. Schiaparelli faisait partie intégrante du programme ExoMars, et son objectif avoué était bel et bien de se poser au sol, intact. Les seuls événements qui se sont bien déroulés sont une dépose de précision au point d'entrée, la traversée de l’atmosphère et la décélération sous bouclier thermique, l’éjection et le freinage sous parachute, l’éjection du bouclier thermique, l’activation du radar altimétrique et l’allumage des rétrofusées. Si l’on rajoute à cette check-list les données renvoyées par le package instrumental AMELIA, on pourrait avoir l’impression que les choses se sont plutôt bien passées dans l'ensemble. Ce serait pourtant une terrible illusion, car même si le module Schiaparelli était par définition un démonstrateur technologique, conçu pour tester grandeur nature un atterrissage sur Mars, il aurait dû pouvoir rejoindre le sol martien en un seul morceau. Atterrir sur Mars, c'est atterrir en douceur, sans aucun dommage structurel sur les engins robotiques. En 1996, la sonde Pathfinder de la NASA était elle aussi un démonstrateur technologique, mais sa "modeste" réussite a pourtant fortement contribué à relancer le programme martien, presque au point mort depuis 1976 et le triomphe écrasant des sondes Viking. Pathfinder a été une étape clé dans l’histoire de l’exploration martienne, et un immense succès, aussi bien technique que scientifique et médiatique pour l’agence spatiale américaine. Se défausser de l’échec de Schiaparelli en pointant du doigt le fait qu’il ne s’agissait que d’un démonstrateur technologique, ce n’est ni plus ni moins que se voiler la face. Derrière l’échec de Schiaparelli, c’est tout l’avenir du programme ExoMars de l'ESA qui va se jouer. Ce dernier était déjà fortement critiqué à cause de sa longueur, des changements incessants de scénario, d'un budget galopant et du report continuel des missions qui y sont liés. Il ne serait pas surprenant que la commission d’enquête, qui sera constituée pour enquêter sur les causes de l’échec, pointe une fatigue et une lassitude des équipes d’ExoMars. La perte de Schiaparelli ne laisse en tout cas rien présager de bon pour la prochaine mission du programme, l’ambitieux rover Pasteur dont le décollage est prévu pour 2020. Il y a effectivement un gouffre technologique entre Schiaparelli et le futur engin motorisé, et il n’est pas certain que l’ESA puisse le franchir au cours des 4 années suivantes, même avec son partenaire Russe Roscosmos. A cette situation embarrassante s'ajoute le fait que la mission elle-même n’est pas encore totalement financée : l’ESA va devoir convaincre les pays membres de l’Union Européenne d'autoriser une rallonge de 300 millions d’euros pour que le rover Pasteur puisse être envoyé vers l'astre rouge. Il n’est pas certain que l’argument comme quoi le module de descente, fourni par la Russie, soit d’une conception différente de celui de Schiaparelli, puisse rassurer les décideurs. Il est pourtant crucial de tirer toutes les leçons de l’échec de Schiaparelli, et de repartir à nouveau à l'aventure dans les plus brefs délais. En ce sens, la mission de 2020 doit absolument avoir lieu. Dans l’histoire de l’exploration spatiale, Mars a toujours été, et sera encore pendant longtemps, un objectif hautement prioritaire. La capacité à accéder à la surface de la planète désignera les vainqueurs et les laissés pour compte de cette nouvelle course à l'espace désormais mondialisée. Au travers de l'ESA, l’Europe ne peut définitivement pas rester dans les starting block, mais faire semblant d’avoir réussi quand on s'est planté en beauté n’est pas une dynamique appropriée à un nouvel élan. La situation actuelle doit absolument être comprise pour ce qu'elle est sans la moindre illusion : après deux tentatives infructueuses, et 40 ans après les sondes Viking, l’Europe ne sait toujours pas atterrir sur la planète rouge. Note : cet article sera mis à jour dès que la cause technique de l'échec du module Schiaparelli aura été identifiée. Le profil de descente suivi par l'atterrisseur sera également documenté. |
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