Chroniques martiennes

Les conséquences de la perte de Mars Climate Orbiter


Dimanche 7 novembre 1999
La sonde Mars Climate Orbiter (Crédit photo : NASA/JPL)

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la perte de Mars Climate Orbiter, qui devait servir de relais de transmission pour l'atterrisseur, complique sérieusement la mission de Mars Polar Lander. Les ingénieurs sont actuellement en train de reconfigurer les séquences de commande impliquées dans les communications et d'envoyer de nouvelles informations à la sonde pour que celle ci puisse effectivement utiliser son antenne pour émettre et recevoir des données directement depuis la Terre. Les techniques de compression de données vont également être améliorées. Les scientifiques s'activent eux aussi fiévreusement pour réécrire une bonne partie des séquences de commandes des instruments et des plannings de travail. Le changement dans le mode de transmission des données affecte presque toutes les routines de la sonde, sans compter que celles ci avaient été testées intensivement et validées au cours d'un long processus de recette. Écrire des nouvelles séquences quelques mois avant l'atterrissage peut sembler un peu risqué. La tache est ingrate, un peu injuste et très lourde. Il sera pratiquement impossible de la réaliser sans erreur. Rien ne dit qu'un jour Mars Polar Lander n'essayera pas de communiquer avec un satellite relais fantôme...

La grande question que l'on peut se poser concernant Mars Polar Lander se résume ainsi : va-t-il y avoir oui ou non des pertes de données qui compromettraient sérieusement la mission, suite à la perte de Mars Climate Orbiter ? La NASA n'arrête pas d'insister sur le fait qu'aucune donnée de Mars Polar Lander ne devrait être perdue et que la mission se déroulera comme prévu, malgré l'absence de Mars Climate Orbiter. Mais d'un autre côté, une certaine panique semble régner chez les scientifiques, qui ne prennent pas la chose d'une manière aussi sereine que la NASA. Pour effectuer sa mission, Mars Polar Lander peut s'appuyer sur deux options qui ne s'excluent pas : l'utilisation de sa propre antenne pour émettre et recevoir des données et la présence en orbite de Mars Global Surveyor, qui pourrait jouer le rôle de relais de transmission pour les communications entre la Terre et l'atterrisseur. Selon la NASA, ces deux options devraient permettre de transmettre toutes les données générées par l'activité de la sonde.

Mars Polar Lander pourra donc entrer en communication avec la Terre avec sa propre antenne, mais avec un débit bien inférieur à ce qui était initialement prévu. Notons que la parabole qui équipe l'atterrisseur ne devait servir qu'en cas de besoin, lorsque le satellite de communication n'était pas en vue ou indisponible pour diverses raisons techniques. Ce système de secours est soudain devenu le principal moyen de communication de l'atterrisseur polaire, et pose un sérieux problème.

Les communications directes avec la Terre consomment effectivement une grande quantité d'énergie, qui aurait pu être conservé ou affecté à des instruments scientifiques si Mars Climate Orbiter ne s'était pas crashé. Il faut 15 fois plus de puissance pour transmettre directement les données vers la Terre que pour les envoyer vers un satellite relais en orbite basse !

Les ingénieurs sont donc confrontés à un sérieux problème de gestion des ressources énergétiques (obtenues grâce aux batteries et aux panneaux solaires). Comme les transmissions vont être de toutes façons coûteuses en énergie, les instruments scientifiques disposeront de bien moins de puissance, et ils ne pourront pas fonctionner aussi longtemps que prévu, ce qui va réduire au final la quantité de résultats que l'on était en droit d'attendre de la mission.

Le meilleur exemple concerne sans doute le TEGA, un instrument capable de chauffer fortement des échantillons de sols dans des petits fours pour en extraire des composés volatils comme l'eau ou le dioxyde de carbone. Il était initialement prévu que le TEGA puisse analyser un échantillon de sol par jour martien. Or cet instrument est un fort consommateur d'énergie, la température du four pouvant monter jusqu'à 1027°C (à comparer à la température ambiante qui va régner autour de l'atterrisseur !). Si le TEGA dispose de moins d'énergie, le processus d'analyse d'un seul échantillon s'étendra sur deux journées martiennes, ce qui perturbera par effet boule de neige les possibilités de fonctionnement des autres instruments. Enfin, il est même possible que certaines données scientifiques obtenues ne puissent tout simplement pas être transmises vers la Terre, faute d'énergie ou de temps.

L'absence de Mars Climate Orbiter se fait cruellement sentir dans d'autres domaines. Par exemple, les transferts de données via l'orbiteur auraient permis de rester plus longtemps chaque jour en contact direct avec l'atterrisseur. Au niveau du site d'atterrissage, certaines conditions météorologiques (poussière dans l'atmosphère, nappe de brouillard au petit matin) pourraient bien perturber d'une façon non négligeable la qualité des transmissions. De plus, comme la sonde va atterrir dans les hautes latitudes, le soleil sera toujours bas sur l'horizon, ce qui va limiter l'ensoleillement des panneaux solaires et donc l'énergie qu'il sera possible de recueillir. Et bien entendu, si l'atmosphère est poussiéreuse ou si les nappes de brouillard sont persistantes, cela ne va pas améliorer le problème, les panneaux solaires captant encore moins de lumière.

La sonde Mars Global Surveyor, qui est actuellement en orbite autour de Mars, pourrait également jouer le rôle limité de relais de transmission, au détriment toutefois de sa propre mission. Pendant qu'il relayera les communications de Mars Polar Lander, Global Surveyor sera obligé d'interrompre son travail de cartographie, ce qui risque de déplaire à quelques scientifiques. Bien entendu, l'emploi de Mars Global Surveyor comme relais de transmission constitue la meilleure solution, du point de vue de Mars Polar Lander, même si la sonde ne pourra relayer les données que dans le sens Mars - Terre, et non dans le sens Terre - Mars.

Pour la NASA, Global Surveyor peut servir sans problème de relais et va d'ailleurs participer à la mission de Mars Polar Lander. L'agence américaine a rappelé que bien avant la perte de Mars Climate Orbiter, Mars Global Surveyor était déjà sensée servir de relais pour les deux pénétrateurs Deep Space 2 qui accompagnent Mars Polar Lander.

Mars Global Surveyor devrait fonctionner selon deux modes : une partie de la journée en temps que relais de transmission, l'autre partie pour ses activités scientifiques (ce qui va nécessiter un fort temps d'antenne de la part du Deep Space Network). Mais il reste de nombreux points dans l'ombre. On ne sait absolument pas si le relais radio de Mars Global Surveyor va fonctionner comme prévu, avant de l'avoir essayé ! De plus, Mars Global Surveyor ne sera prête que quatre jours après l'atterrissage. Pendant les quatre premiers jours de sa mission, Mas Polar Lander ne pourra donc s'appuyer que sur sa petite antenne parabolique.

Si Mars Global Surveyor ne peut pas jouer son rôle de relais (pour une raison ou une autre), la NASA insiste sur le fait que l'antenne de l'atterrisseur pourra transmettre complètement toutes les données. Le problème de la consommation énergétique est bien entendu toujours là, ce qui n'a pas empêché la NASA (peut être à raison espérons le) de désapprouver les commentaires de certains scientifiques concernant les pertes sérieuses de données encourues par leur instrument. Selon les commentaires officiels, ce n'est pas tant la quantité de données qui compte, mais la qualité ! Quelques spectres pourraient donc bien nous en apprendre autant que plusieurs centaines, si ce sont les mêmes répétés de nombreuses fois.

La NASA ne cache donc pas les pertes de données, mais pense qu'il est possible de les compenser en programmant de manière intelligente et sensée les activités scientifiques, ce qui semble, il faut bien l'avouer, la meilleure option qu'il reste à Mars Polar Lander. Gageons que l'atterrisseur va nous montrer une partie de ses talents cachés (la sonde pourrait bien vivre plus longtemps que les 90 jours prévus) et que la mission, malgré un début apparemment désastreux, sera un véritable succès.

Reste que les passionnées de la planète Mars en seront pour leurs frais le jour de l'atterrissage. Contrairement à ce qu'il s'est passé pour Mars Pathfinder, les photographies à haute résolution de la surface martienne risquent de ne pas être disponibles immédiatement après l'atterrissage. Pendant les premiers jours de la mission, Mars Polar Lander n'aura à sa disposition que sa petite antenne et il faudra patienter plusieurs journées avant d'avoir les images complètes.

Si elles sont à couper le souffle comme celles de Pathfinder, cela ne me dérange personnellement pas trop. On a bien entendu 11 mois que Mars Polar Lander parvienne à destination. Alors quelques jours de plus ou de moins ...

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